MONTRÉAL – La carrière professionnelle de Patrice Bernier a pris naissance sur la rue Crescent, dans un café italien qui, malheureusement pour ses propriétaires, n’a pas eu la longévité de celui qu’on connaît aujourd’hui comme le numéro 8 de l’Impact de Montréal.

Autour d’une table du petit établissement, Bernier était accompagné de son père Jean, du président de l’Impact Joey Saputo et de l’entraîneur-chef Valerio Gazzola. Le jeune homme de 20 ans sortait d’un parcours écourté avec l’équipe U23 canadienne, qui venait de voir s’envoler ses espoirs de qualification en vue des Jeux olympiques de Sydney. Il s’entraînait avec l’Impact, mais n’avait pas officiellement joint les rangs de l’équipe et n’était pas intéressé à le faire.  

Les deux hommes assis en face de lui avaient l’intention de le faire changer d’idée.

« Je voulais connaître ses plans, raconte Gazzola, qui a accepté de replonger dans ses souvenirs lorsque joint par RDS. Je savais qu’il y avait aussi le hockey dans sa vie, mais je me rappelle très bien lui avoir dit que si une carrière de hockeyeur pouvait être intéressante, il avait tous les atouts pour réussir au soccer. »

Gazzola, qui avait déjà été le pilote de l’Impact de 1994 à 1997, venait de récupérer l’équipe à la suite du départ de Zoran Jankovic. Après avoir pris quelques matchs pour évaluer son effectif, il avait sorti la hache et abattu ce qu’il considérait comme du bois mort. Inversement, une poignée de nouveaux joueurs avaient été mis sous contrat. Bernier, qui avait fini par se laisser convaincre, avait été sans contredit la plus grosse prise du lot.  

« Non seulement il possédait le talent pour tirer son épingle du jeu sur le terrain, mais il avait le caractère d’un leader, retient Gazzola. Le temps me donne aujourd’hui raison, mais déjà à l’époque, je lui avais dit qu’il avait la personnalité pour être le capitaine d’une équipe. Il était calme, posé, réfléchi. Ce que vous voyez aujourd’hui, ce n’est pas le résultat de quinze ans de métier. Il l’avait dans sa jeunesse. »

Patrick Leduc, qui avait survécu à la purge initiée par Gazzola, était, déjà à l’époque, un bon ami de Bernier. Pour lui, il était clair depuis longtemps que son coéquipier était promis à un rôle de meneur.     

« J’avais joué avec lui aux Jeux du Canada en 1997. Il était plus jeune, il était surclassé pour jouer dans l’équipe du Québec des moins de 20 ans. À ce niveau, on s’approchait drôlement de l’Impact. Certains de nos coéquipiers s’entraînaient avec l’équipe, mais déjà, Patrice était un indiscutable au sein du groupe. »

Deux classes sociales se partageaient alors le vestiaire de l’Impact. L’équipe étaient menée par un contingent de vétérans établis avec à sa tête De Santis, Biello et Diotte, notamment. Derrière poussait la relève qui avait pour noms Bernier, Leduc, Ribeiro et Pizzolito.   

« Patrice était capable de faire le pont entre les deux, soutient Leduc. Il se tenait avec nous parce qu’il avait notre âge, mais lui, il avait un accès privilégié aux joueurs vétérans, de par ses performances et peut-être aussi sa personnalité. Tu sentais qu’il avait déjà fait sa place. Sa crédibilité, il l’avait dès qu’il est arrivé alors qu’habituellement, pour un jeune, ça peut prendre un an ou deux avant de "mériter" l’estime des autres. »

« Il était très respectueux envers les plus vieux, les anciens, ajoute Gazzola. Je n’ai jamais eu un joueur qui se plaignait de Patrice et vice versa. Un leader parle quand il faut parler, mais il faut livrer la marchandise quand c’est le temps et dans ce sens, Patrice le faisait très bien. Que ce soit à l’entraînement ou dans un match, il y avait des moments où à lui seul, il montrait l’exemple à suivre. »

Une polyvalence naturelle

Bernier était un joueur au potentiel offensif évident à son arrivée à l’Impact en 2000. À l’Université de Syracuse, son alma mater, il avait terminé sa deuxième et dernière saison avec huit passes décisives et une place sur la première équipe d’étoiles de l'Association Big East. « Il avait fait des ravages », synthétise Leduc.

Mais chez les pros, le jeune milieu de terrain a aussitôt été initié à des responsabilités différentes.

« Je me souviens qu’à ses premiers matchs, Patrice nous dépannait plus qu’autre chose, raconte Valerio Gazzola. Je m’explique : il avait sa place dans le onze partant, mais on le mettait où on avait un besoin. Si un défenseur latéral ne jouait pas bien ou était blessé, Patrice jouait comme défenseur latéral. Si on jouait en 4-4-2, je pouvais l’utiliser comme ailier. Il avait toutes les capacités pour réussir où on le plaçait. »

« On a vite vu sa valeur dans un rôle plus défensif, un peu plus reculé, corrobore Patrick Leduc. Il s’adaptait et je pense que son expérience au hockey n’y était pas étrangère. Je crois que son sens de l’anticipation était peut-être encore plus grand qu’on le soupçonnait. Dans les catégories plus jeunes, c’était un joueur tellement supérieur qu’il allait évidemment provoquer quelque chose si on le mettait en attaque. Mais à un niveau plus élevé, contre des joueurs plus talentueux, il était capable de s’adapter et, surtout, de les neutraliser. Il faisait la différence en étant aussi bon qu’eux. »

« Je vais essayer de trouver le mot exact en français, mais en anglais on dit nothing fazed him, renchérit Gazzola. Il n’y a rien qui pouvait le surprendre ou l’impressionner. Parfois, on ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais il était toujours prêt pour n’importe quelle situation. C’est sûr qu’il avait des préférences quant aux positions qu’il voulait occuper, mais mon Dieu, il était tellement dominant à ce moment-là! »

Selon les notes de presses disponibles sur le site internet de l’Impact, Bernier a amorcé 27 matchs et obtenu trois mentions d’aide à sa saison recrue en A-League. Il a marqué le premier but de sa carrière l’année suivante et en a inscrit quatre à sa dernière.

« Je me souviens d’un but qu’il a marqué en 2002 contre Pittsburgh, revoit Leduc. Je m’en souviens parce que c’est moi qui lui avais fait la passe, mais je n’avais aucun mérite! Je lui avais remis le ballon, il avait dribblé quatre ou cinq joueurs et l’avait mis dans le coin.

« Avec l’expérience, il était éventuellement passé à la phase offensive, poursuit celui qui œuvre aujourd’hui à titre d’analyste pour le compte de RDS. Aujourd’hui, il est un joueur complet. Il l’a toujours été, c’est juste que ça a pris un peu plus de temps à ressortir chez les pros. »

« Quand il a commencé en MLS, il a joué comme milieu offensif ou même comme numéro 10 et on voyait qu’il avait le talent pour le faire, rappelle Gazzola. Aujourd’hui dans le soccer moderne, on veut former des joueurs intelligents qui ne sont pas seulement bons techniquement, mais rapides dans leur prise de décisions. Pour ça, il faut être capable d’identifier une situation et les moyens de s’en sortir. Patrice était capable de faire ça à un très jeune âge. »

Toujours fidèle à ses racines

De plus verts pâturages attendaient Bernier. En 2003, à l’âge de 23 ans, il s’est exilé en Norvège pour poursuivre sa carrière avec le club de Moss. Mais le Québec a toujours gardé sa place dans le cœur du Brossardois, qui ne manquait jamais une occasion de renouer avec ses vieux amis.

« Je peux te dire qu’à chaque fois que je l’ai revu pendant qu’il était en Europe, c’était sur un terrain de soccer de la Rive-Sud, ou encore à Laval ou Montréal. C’était clair qu’on jouait! », évoque Leduc.

« Patrice, c’est un peu un maniaque dans le sens où il n’arrête jamais. À Noël, il y a une tradition sur la Rive-Sud entre les anciens du FC Select. Au Boxing day, on se rencontre et on joue au soccer. Je l’ai vu plusieurs années consécutives à ce match. À l’époque, je jouais aussi dans une ligue à Laval pour me tenir en forme et  Patrice, quand il était de passage, venait jouer. Il y a eu des matchs très relevés dans cette ligue, on comptait parfois jusqu’à quatre ou cinq gars de l’équipe nationale. Mais Patrice était d’une vitesse tellement supérieure à la moyenne! Je me surprenais parfois à le regarder jouer. Il n’était pas en saison et il était tellement plus fort que nous, techniquement, physiquement et avec sa vision. Il s’amusait, mais il était aussi très compétitif. »

Valerio Gazzola a bien sûr remarqué la même chose : qu’il soit séparé par un océan ou un pont enfourchant le fleuve St-Laurent, Patrice Bernier a toujours voulu rester en contact avec ses frères du foot québécois.

« Il y a quatre ou cinq ans, pendant le congé des Fêtes, on avait commencé à jouer au soccer intérieur pour garder la forme. Il y avait Sandro Grande, John Limniatis, Patrice... C’était bien plaisant. On ne s’appelle pas à toutes les semaines, mais deux ou trois fois par année, on va se croiser. Avec ces joueurs-là, même si ça fait un an qu’on ne s’est pas vus, on dirait que ça fait une journée. »