MONTRÉAL – La nouvelle du remplacement de Philippe Eullaffroy à la tête de l’Académie de l’Impact de Montréal a été accueillie avec stupeur par ses anciens protégés.   

Vendredi dernier, Eullaffroy est devenu bien malgré lui le visage d’une vague de mises à pied effectuée par le Bleu-blanc-noir. Son passage de dix ans au sein du club s’est terminé sans même un remerciement public de la part de ses patrons. Dans les diverses villes du continent où sont dispersés les jeunes qu’il a jadis pris sous son aile, la confirmation de son départ a circulé comme une mauvaise blague. 

« Ça a été un choc, avoue Maxim Tissot, qu’Eullaffroy avait recruté à l’Attak de Trois-Rivières en 2009, un an avant la fondation de l’Académie. Je ne m’attendais vraiment pas à ça. On dirait que c’est vraiment une page qui se tourne, non seulement à l’Académie, mais au club au complet. »

« Je ne l’avais pas vu venir du tout, se désole Wandrille Lefèvre, qui a utilisé ses plates-formes personnelles pour dénoncer avec véhémence le sort réservé à celui qu’il considère comme son mentor. Je dois t’avouer que s’il y a bien quelqu’un que je croyais à l’abri d’une décision comme celle-là, c’était pas mal lui. »

La consternation a vite traversé les frontières. De St. Louis, où il se prépare pour la relance de la saison de la United Soccer League (USL), Jérémy Gagnon-Laparé a vite constaté que son incompréhension était partagée.

« Je me suis retrouvé en discussion sur Facebook après l’avoir appris. On était cinq ou six joueurs, des amis très proches qui avons joué ensemble, et on essayait tous de comprendre. » 

Les trois anciens Académiciens sont autant d’arguments en faveur de l’indéniable talent de formateur d’Eullaffroy, un scientifique de formation qui a d'abord cheminé dans sa France natale avant de venir tester ses méthodes dans le réseau universitaire québécois. Dans les balbutiements de la structure éducationnelle dont l’homme de 53 ans a été l’architecte, ils ont chacun été recrutés, modelés et livrés au niveau professionnel, où ils ont évolué en Amérique du Nord et en Europe. 

Les exemples similaires sont nombreux : Maxime Crépeau, Anthony Jackson-Hamel, Ballou Tabla, les frères Mathieu et David Choinière et Karl Ouimette ne forment qu’un échantillon du groupe de jeunes qui ont été façonnés à la même école pour le soccer de haut niveau.

Mais ce n’est pas pour sa capacité à former des joueurs de soccer qu’Eullaffroy est d’abord reconnu par ceux dont il a été le tuteur.  

« Évidemment, son rôle est de former des joueurs de foot, reconnaît Lefèvre. Sauf qu’à ses yeux, il forme surtout des hommes. Pour des jeunes qui entrent à l’Académie à 10, 11, 12 ans, il se voit comme un éducateur qui est là pour les aider à s’affirmer et à développer leur personnalité, tout ça sans aucune concession sur les études. » 

« Peu importe le joueur, il mettait beaucoup d’emphase sur l’importance des valeurs comme le respect, l’humilité, l’ambition, explique Gagnon-Laparé, qui a fait le saut de l’Académie à l’équipe première en 2014, à l’âge de 19 ans. C’était très important pour lui et il le communiquait bien avec ses joueurs, il mettait ça au clair dès le départ. Je pense que c’était plus important pour lui que ce qui se passait sur le terrain. » 

Un deuxième père 

Eullaffroy a marqué Lefèvre à un point tel qu’il va aujourd’hui jusqu’à la considérer comme un « second père ». 

« Il y a des jours où, s’il a décidé qu’il doit livrer un message particulier ou s’il sent que le groupe part dans une mauvaise direction, il marque le coup. Il peut être dans l’éducation sévère et dure, mais en même temps, c’est quelqu’un qui va savoir te récompenser pour tes bons coups, qui va t’offrir en exemple. Il va toujours mettre de l’avant la logique collective, mais en mettant aussi en lumière des performances, des accomplissements individuels. Non pas pour que cette personne soit mise sur un piédestal, mais pour qu’elle serve de guide à la logique collective. »

Gagnon-Laparé a en mémoire une compétition qu’Eullaffroy avait mise en place pour faire assimiler l’importance de l’effort individuel pour le bien du collectif. À chaque entraînement, des matchs à formations réduites étaient disputés avec une rotation s’effectuant dans la composition des équipes. Au terme de chaque journée, l’entraîneur compilait la fiche de chaque joueur pour, à la fin de la saison, récompenser d’un trophée celui qui s’était retrouvé le plus souvent du côté des vainqueurs. 

« Avec lui, chaque séance était importante et il avait toujours quelque chose dans sa mire. Tu sentais toujours que tu jouais pour un objectif à court ou long terme », appréciait celui qui a passé trois saisons avec l’Impact. 

« Il tient un discours très honnête aussi, renchérit Lefèvre. Les jeunes qui arrivent à l’Académie, il leur dit : "Il y a au mieux 10% d’entre vous qui vont devenir professionnels. Ça veut dire qu’il y en a 90% d’entre vous, devant moi, qui ne signeront jamais ce contrat. Mais votre travail néanmoins est important, non seulement pour permettre à ce 10% de signer pro, mais parce qu’ultimement vous allez vous créer une expérience, un bagage et vous allez devenir l’homme qui vous permettra de faire autre chose de votre vie. Alors ce n’est pas du temps perdu". »

Des chiffres qui ne mentent pas 

Dans un cadre bien établi, suivant une méthodologie qui lui était chère, Eullaffroy savait encourager la créativité de ses talentueux poulains. 

« Je pense qu’il a toujours valorisé l’expression, approuve Tissot, qui a joué une quarantaine de matchs avec le Fury d’Ottawa en plus de remporter le championnat de la NASL avec les Deltas de San Francisco depuis son départ de Montréal en 2016. Il voulait que les joueurs s’expriment sur le terrain. Je pense que c’était sa force. Tu te sentais à l’aise avec lui. Si je prends mon cas en particulier, je jouais comme défenseur latéral et j’avais commencé à monter davantage, à prendre mon couloir en 2009-2010. Des fois, je trouvais que je faisais un peu n’importe quoi et il me disait : "Non! Tu le fais un peu n’importe quand, mais tu ne fais pas n’importe quoi!". Il m’a vraiment poussé à continuer de le faire. Ça a forgé le joueur que je suis devenu aujourd’hui. C’est pour ça aussi que je suis capable de jouer en tant qu’ailier. » 

« À l’approche d’un match, c’est quelqu’un qui te dit : "Voici le principe de base dans lequel je veux vous voir jouer défensivement et offensivement, voici comment je veux qu’on parte de l’arrière. Après, vous faites ce que vous voulez", développe Lefèvre. C’est-à-dire que grosso modo, à partir du moment où tu es rendu à un certain point sur le terrain et que tu as respecté le jeu dans la manière de bâtir, tu as carte blanche. Que le latéral droit se retrouve en position de numéro 10 ou que l’ailier se retrouve comme attaquant, ça lui est égal. Pour un jeune en plein développement, ça laisse la totale liberté de laisser libre cours à son imagination. »

Avec une décennie d’accomplissements à sa feuille de route, le bilan d’Eullaffroy ne convainc pas tout le monde. C’est la question qui agace le plus Lefèvre, celle autour de laquelle il a débattu avec le plus de vigueur avec ceux qui arguent que trop peu d’Académiciens ont évolué vers un premier rôle avec la première équipe pour que le départ de leur enseignant soit pleuré. 

« C’est sûr que c’est plus facile de juger quelqu’un sur le tangible, sur des données sur lesquelles tout le monde risque de s’entendre. Et ici, le tangible, c’est le nombre de pros qu’il a placés à l’Impact – c’est quand même l’objectif numéro 1 – mais aussi ailleurs. Parce que l’Impact peut bien se tromper parfois, le cas du gardien no 1 des Whitecaps de Vancouver en est un exemple! Et il y en a d’autres. Masta [Kasher], Jems Geffrard, Louis Béland-Goyette... » 

« Combien de pros a-t-il formés?, plaide Lefèvre. Je n’ai plus le chiffre exact, mais en dix ans, il doit bien y en avoir une bonne quarantaine. En tout cas, on est au-dessus de 10%, donc au-dessus de ce que sont les statistiques mondiales en termes de capacité à former des joueurs vers des contrats pros. Et moi, c’est ça ma réponse. Lui, il forme de joueurs. Ce que l’Impact en fait, il n’a pas à être jugé là-dessus. Ce n’est pas son affaire. »