Une situation délicate
Une situation délicate

QUÉBEC - Le gouvernement Marois s'est élevé mardi contre la suspension infligée par un organisme canadien à la Fédération de soccer du Québec parce qu'elle refuse d'autoriser le port du turban par les joueurs pendant les matchs.

L'Association canadienne de soccer (ACS), qui a annoncé lundi soir la suspension immédiate de la fédération québécoise, s'immisce dans un dossier qui ne la regarde pas, a soutenu la première ministre Pauline Marois lors d'un court point de presse à l'Assemblée nationale.

« Je trouve cela inacceptable. Je crois que la fédération québécoise a le droit d'établir ses propres règlements, elle est autonome, elle n'est pas assujettie à la fédération canadienne et à cet égard, je la supporte dans ses orientations », a-t-elle fait valoir.

L'organisme responsable du ballon rond au Québec a déchaîné les passions au pays avec sa décision de bannir le port du turban, du patka ou du keski sur les terrains de soccer. La mesure a été décriée par de nombreux commentateurs, surtout dans la presse anglophone, comme étant un geste d'intolérance, contraire à l'esprit du multiculturalisme, voire raciste.

Le président de l'Association canadienne de soccer (ACS), Victor Montagliani, a justifié la suspension en expliquant que l'ACS avait demandé la semaine dernière à la fédération québécoise de renverser la décision. Devant « l'inaction » de l'organisme québécois, l'Association canadienne a pris des mesures, a-t-il souligné, afin d'assurer que le soccer « demeure accessible au plus grand nombre de Canadiens ».

Ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville estime que l'ACS n'a pas le pouvoir de dicter ses lignes de conduite à la fédération québécoise.

« Ce n'est pas à la fédération canadienne de dire à la fédération québécoise comment gérer les terrains de soccer au Québec. Je ne comprends pas pourquoi l'Association canadienne ne respecte pas l'autonomie de la fédération québécoise, en quoi ça les regarde ce qui se passe sur les terrains de soccer du Québec », a-t-il lancé.

Voilà pour la forme. Sur le fond, M. Drainville est demeuré prudent et a refusé de dire qu'il appuyait la décision de mettre le turban à l'index.

« On respecte l'autonomie de la fédération québécoise de prendre ses décisions », s'est-il limité à dire.

De son côté, la ministre responsable du Sport, Marie Malavoy, a dit s'inquiéter pour le sort des jeunes joueurs de soccer québécois qui risquent de payer le fort prix pour cette suspension à moins de deux mois de la tenue des Jeux du Canada, à Sherbrooke.

« Je serai présente aux Jeux du Canada à Sherbrooke dans peu de temps et je sais qu'il y a des jeunes qui sont parmi les meilleurs et qui rêvent d'y aller. Je souhaite que l'Association canadienne nous laisse tranquilles et nous laisse prendre nos décisions car ce sont des jeunes qui risquent d'en souffrir à très court terme », a-t-elle affirmé.

Quant à lui, le chef parlementaire libéral Jean-Marc Fournier s'est montré soucieux de l'allure du débat qui ne sert, à ses yeux, ni l'intérêt des jeunes ni l'intérêt du sport.

Le dossier ne pourra pas se régler « à coups de bannissement et d'exclusion », a-t-il dit, lançant un appel « à la nuance, la prudence et la patience ».

M. Fournier désapprouve la décision de la fédération québécoise d'interdire le turban, du moins tant qu'il ne sera pas démontré que son port présente des risques pour la sécurité des joueurs.

D'ici là, il faut « permettre à tout le monde de jouer et s'il y a des problématiques de sécurité, qu'on les étudie comme il faut et après on verra ».

À Ottawa, le ministre d'État Maxime Bernier a quant à lui applaudi sans réserve la décision de l'Association canadienne de punir la fédération québécoise. Selon lui, le Québec devrait faire montre de « plus d'ouverture » envers les diverses particularités religieuses.

« Nous sommes d'accord avec la décision de l'Association canadienne et nous croyons que les joueurs de soccer québécois ont le droit de porter un signe religieux qui n'affecte pas la sécurité du sport. Donc, je souhaite qu'on ait plus d'ouverture au Québec en ce sens », a-t-il dit.

Son collègue ministre d'État aux Sports, Bal Gosal, n'a pas voulu exprimer une position aussi tranchée en faveur de l'Association canadienne. Il a plutôt invité l'organisme national et le fédération québécoise à trouver vite un terrain d'entente dans ce dossier.

Mais la finalité est claire: « Nous voulons que tous nos enfants puissent jouer au soccer peu importe leur origine ou leur religion, nous voulons que le sport soit accessible pour tous », a dit le ministre.

Le chef libéral Justin Trudeau s'est lui aussi montré d'accord avec la décision de l'Association canadienne.

« J'ai un fils de cinq ans qui joue au soccer et l'idée de devoir lui expliquer pourquoi un ami à lui ne pourrait pas jouer à cause de sa religion, je ne trouve pas ça raisonnable au Canada et je suis tout à fait d'accord avec les sanctions », a-t-il dit.

Saputo tente de calmer le jeu

Devant l'ampleur de la controverse, même le président de l'Impact de Montréal, Joey Saputo, a senti le besoin de sauter dans la mêlée.

Même s'il considère que les jeunes ne devraient pas être exclus des matchs de soccer à cause du turban, l'homme d'affaires est néanmoins d'avis que l'Association canadienne a fait une erreur en imposant une suspension à la fédération québécoise.

« La décision de l'Association canadienne de soccer de suspendre la fédération québécoise est exagérée. Toutes les parties devraient consacrer leurs efforts à trouver un terrain d'entente pour le bien du sport », a-t-il déclaré.

M. Saputo a rappelé que la décision de la Fédération de soccer du Québec était basée sur un règlement de la FIFA qui laisse place à l'interprétation. Par conséquent, il estime que « les accusations de racisme » à l'endroit de l'organisation québécoise « sont déplacées ».