OTTAWA – La question est décochée comme un coup franc.

Ça doit bien faire deux jours qu’on se demande comment on abordera Thomas Meilleur-Giguère. Quand, finalement, son imposante silhouette vient déposer une ombre sur le terrain de la Place TD, aucun autre angle d’attaque ne semble possible.

Peut-être ira-t-elle frapper le mur. Probablement qu’elle frappera le mur. Le kid a 19 ans. Mais il faut l’essayer.

T’es heureux ici, Thomas?

« Oui, mais c’est un ‘heureux’ différent, répond le jeune homme sans aucune gêne. C’est pas le ‘heureux’ que j’étais quand je disputais toutes les minutes, tous les matchs... Ça, ça me manque. Je pourrais être plus heureux qu’en ce moment, mais je m’arrange bien. C’est pas si pire, pour vrai. »

À l’Impact de Montréal, Meilleur-Giguère a toujours été considéré comme un espoir de premier plan. L’an passé, lors de la dernière saison d’opération de l’équipe réserve du club, il en était le deuxième plus jeune joueur. Son seul cadet était Ballou Jean-Yves Tabla.

À l’âge de 18 ans, il a joué près de 2000 minutes en United Soccer League, une sorte d’antichambre nord-américaine de la MLS. Quand l’Impact, après la dissolution du FC Montréal, a conclu un partenariat avec le Fury FC pour y transférer ses éléments les plus prometteurs, le défenseur de Repentigny a fait partie de la transaction.

Meilleur-Giguère s’imaginait une transition simple, sans heurt. Partout où il avait joué, il avait fait partie des incontournables. Montréal ou Ottawa, ça n’allait rien changer.

« Je ne croyais pas que je serais un partant immédiatement en arrivant, mais je me disais : ‘Je vais arriver, faire deux ou trois entraînements, le coach va voir que je suis bon, que je domine et ensuite, il va se dire qu’il n’aura pas le choix de me faire jouer, de me donner ma chance. »

Le Fury a jusqu’ici joué 16 matchs et sa chance, Meilleur-Giguère l’attend encore. Il n’a joué qu’une minute, une seule, depuis le début de la saison. Pour la première fois de sa jeune carrière, sa patience est mise à l’épreuve.

« Au début, je ne m’attendais vraiment pas à cette situation-là, admet-il candidement lors d’un long entretien en bordure du terrain où il retrouvera son ancienne équipe ce soir dans le cadre d’un match amical. Je suis arrivé ici et l’équipe était déjà faite. J’ai vite réalisé que je devrais me glisser dedans à quelque part, trouver une ouverture. Dans ce temps-là, il faut attendre des mauvaises performances et depuis le début de la saison, il n’y en a pas vraiment eu. On a quand même une bonne saison, on est toujours solide défensivement. Ça fait que c’est dur. Moi, j’attends et quand ça va venir, ça va venir. »

Une fois le choc initial encaissé, Meilleur-Giguère a ajusté sa compréhension de la situation et a vite retrouvé une certaine sérénité. « Je n’avais pas le choix, parce que si je me disais tout le temps ‘faut que je joue, faut que je joue, faut que je joue’, je deviendrais fou! », dit-il en riant.

Dans la capitale fédérale, il a finalement trouvé un environnement propice au développement et à l’épanouissement. Il habite seul dans son tout premier appartement, pas très loin de celui partagé par les trois coéquipiers québécois qui l’ont suivi dans cette aventure. Et sur le terrain, il bûche, probablement comme il n’a jamais bûché.

« Si j’ai un regret, c’est que je pense avoir pris (sic) trop de choses pour acquises l’an passé. Je jouais tout le temps, c’était parfait, c’était fantastique. Je me disais que c’était facile et que ça allait toujours être facile! Venir ici, ça m’a ramené les deux pieds sur terre et ça m’a fait grandir. Je le remarque surtout à l’extérieur du terrain, en tant qu’homme. Mentalement, j’ai plus de facilité à tout contrôler. Et pour ce qui est du terrain, je n’ai rien perdu. Je suis chanceux, parce que ça ne se perd pas. »

Des minutes internationales

S’il se permet d’afficher autant de confiance en son jeu, c’est que Meilleur-Giguère n’est pas complètement inactif depuis le début de la saison. La veille de sa rencontre avec RDS, il était à Montréal pour prendre part à un match amical entre le Canada et Haïti en prélude aux Jeux de la Francophonie, pour lesquels il s’envolera jeudi.

« Pour l’instant, je suis chanceux. J’ai les Jeux pour me donner des minutes et grandir et je trouve que je vois les progrès que je fais à l’entraînement. Hier, ça a paru contre Haïti, j’ai joué un gros match. Quand j’ai joué contre le semi-pro de Blainville aussi, j’ai marqué sur un truc qu’on pratique toujours ici. Je vois du progrès quand même, donc je reste fort mentalement. »

L’anecdote rappelle les propos maintes fois répétés par l’entraîneur de l’Impact, Mauro Biello, qui insiste régulièrement sur l’importance, pour les joueurs qu’il doit laisser de côté, de se défoncer dans l’ombre du lundi au vendredi afin d’éventuellement mériter leur place sous les projecteurs du samedi.

« Ce n’est pas tout le monde qui peut le faire, reconnaît Meilleur-Giguère. Il y en a qui ne sont pas capables mentalement et qui arrêtent. Ils arrêtent de travailler ou ils se disent ‘Je vais faire mon travail, mais sans plus parce que je sais que je ne jouerai pas de toute façon’. Mais moi, je sais qu’à la fin de cette saison, il y a plein d’opportunités qui s’en viennent. Il y aura la présaison avec l’Impact; c’est sûr que je vais faire le camp avec les pros. Et j’aurai les Jeux olympiques des moins de 23 ans dans quelques années, pour lesquels les camps commenceront sûrement bientôt. Donc dans tout ce que je fais, je pense à m’améliorer. Ça serait mieux de jouer, mais... »

S’inspirer de Fisher

En 2016, Meilleur-Giguère patrouillait la charnière centrale du FC Montréal avec un certain Kyle Fisher, qui profitait de la proximité de l’équipe réserve pour peaufiner son jeu en attendant qu’une porte s’ouvre chez les pros. Un an plus tard, il joue aux côtés de Laurent Ciman, sa récompense pour plusieurs mois de travail acharné.

Meilleur-Giguère se dit inspiré par la réussite de l’ancien choix de première ronde de l’Impact.

« Je suis surtout content pour lui. À certains moments l’année dernière, il pensait qu’il n’était peut-être pas du tout dans les plans de l’équipe, mais il a travaillé et il est resté fort mentalement. Aujourd’hui, il joue, il s’est imposé. Je le prends en exemple en souhaitant que ça envoie un petit message aux entraîneurs en haut, que ça leur rappelle que les jeunes sont là quand même. L’année prochaine, peut-être qu’ils me verront et qu’ils se diront : ‘Pourquoi ne pas l’essayer?’»

Parce que oui, même s’il a trouvé un bonheur différent à Ottawa, même s’il se sent membre à part entière de la famille du Fury, même s’il est convaincu qu’il pourrait éventuellement y devenir partant, c’est encore à Montréal que Thomas Meilleur-Giguère imagine son avenir.

« Pour l’instant, je pense juste à l’Impact. Pour les deux ou trois prochaines saisons, c’est ce que je veux, c’est là que je veux jouer. Mais si après je vois que ça ne donne rien, il faudra que je m’essaie ailleurs si je veux faire ça de ma vie parce que c’est difficile, ce n’est pas un métier facile. Mais je suis prêt à le faire. Je ne suis pas inquiet. Mon niveau n’a pas baissé et je suis encore confiant. »