MONTRÉAL – Les chiffres sont impressionnants, quoique pas nécessairement surprenants.

Pendant la séquence qui a englobé les trois premiers matchs du parcours éliminatoire du Toronto FC, Sebastian Giovinco a supporté le poids de l’attaque des siens sur ses frêles épaules. Quatre buts, deux aides, 23 tirs vers les filets adverses.

Bref, Giovinco a été... Giovinco. Le joueur par excellence de la saison 2015. L’attaquant qui génère, grosso modo, 60% de la production offensive de son équipe. Le premier de l’histoire de la MLS à conclure deux saisons consécutives avec au moins 30 points à sa fiche. Rien de bien inhabituel.

Puis le TFC est arrivé à Montréal pour y disputer le match aller du Championnat de l’Est et l’instant d’une soirée, Giovinco a eu l’air d’un vulgaire mortel. Il a récolté une passe décisive, c’est vrai, grâce à un lobe d’une sublime légèreté dirigé vers le cuir chevelu de Jozy Altidore. Mais dans l’ensemble, l’Impact a su effacer la menace italienne de l’équation en route vers un gain de 3-2 contre ses grands rivaux. Pour seulement la troisième fois de sa carrière en MLS, Giovinco, erratique dans l’exécution de ses coups francs, n’a obtenu aucun tir cadré dans un match dont il a disputé les 90 minutes.

Et ce tour de force réalisé par la troupe de Mauro Biello n’est pas qu’une histoire d’un soir. Depuis son arrivée en Amérique du Nord, le Turinois n’a pas nécessairement ménagé l’ennemi montréalais. En huit matchs de derby, il a marqué trois buts et en a préparé cinq autres. En avril, il a inscrit un doublé au Stade Saputo pour permettre au TFC d’infliger à l’Impact sa première défaite de l’année à domicile.

Mais depuis, l’Impact semble avoir trouvé une façon de limiter les dégâts. Incluant son caméo dans le match retour de la demi-finale du Championnat canadien, en juin, Giovinco n’a pas marqué à ses quatre derniers matchs contre le Bleu-blanc-noir, récoltant « seulement » deux passes décisives au cours de cette séquence.

« Je ne veux pas tout dévoiler, mais je pense qu’on est plus intelligent qu’on l’a été dans le passé face à lui », se contente de dire le défenseur Wandrille Lefèvre, bouche cousue, lorsque mis devant les faits.

Naturellement, Lefèvre n’est pas le seul à vouloir entretenir le flou au sujet de la recette du succès de l’Impact face à la Fourmi atomique. Laurent Ciman estime que la clé, c’est de régler le problème en amont en coupant les lignes de communication menant au dangereux buteur. « Je pense qu’il faut stopper l’alimentation qui s’appelle [Michael] Bradley. Si on arrive à le bloquer, lui, les ballons arriveront moins fréquemment. Sans rien vouloir enlever au talent de ces joueurs, si les passes arrivent de Zavaleta ou Moor derrière, c’est plus facile pour nous. »

Mauro Biello, sans surprise, ne s’éloigne pas trop du discours générique de l’entraîneur qui cache jalousement ses secrets. « Le truc, ce n’est pas vraiment sorcier. C’est l’espace, c’est la couverture. Il faut toujours être attentifs quand on n’a pas le ballon, bien communiquer. Arrêter un joueur comme ça, c’est un travail collectif. »

La théorie la plus transparente vient finalement d’Hassoun Camara, qui explique que c’est en définitive un rempart défensif plus compact et solidaire qui a permis à l’Impact d’avaler Giovinco la semaine dernière.

« Je pense que ce qu’ils voulaient, c’est qu’Ambroise [Oyongo] et moi, on sorte sur les latéraux pour donner plus d’espace à Giovinco dans l’axe, en un contre un face à Victor [Cabrera]. Et c’est ce qu’on a voulu éviter. Je crois qu’on a eu un match très intelligent à ce niveau qui se voit un peu moins chez les spectateurs. On est restés très serrés sur Victor et Laurent, ce qui a permis à nos défenseurs de jaillir et d’essayer de ne pas les voir du match. »

« Ça a été un match difficile pour Giovinco, résume Camara. Je ne pense pas qu’il en ait connu beaucoup comme ça. Il va nous falloir un autre système de jeu à l’extérieur, mais voilà, on va essayer de répéter la chose. »

« Vulnérable quand c’est un peu dur »

Dans le but de créer de l’espace pour son maestro, l’entraîneur du Toronto FC, Greg Vanney, a modifié, en cours de match, son schéma tactique à trois défenseurs (3-5-2) pour revenir à un 4-4-2 plus traditionnel. Giovinco a alors été décalé d’un cran en milieu de terrain pour jouer derrière les attaquants Altidore et Tosaint Ricketts.

Paré à tous les scénarios, Biello ne serait pas surpris d’avoir à contrer cette stratégie dès le début du match retour.

« Pour nous, ça pourrait être une bonne chose comme une mauvaise chose, expose le stratège montréalais. La bonne chose, c’est qu’il reculerait et irait chercher des ballons un peu plus profondément, ce qui aurait pour effet de l’éloigner du but. Mais d’un autre côté, c’est un gars qui est capable de déséquilibrer et il pourrait attirer nos milieux de terrain. Alors comment on va gérer ça? Il s’agira d’établir une bonne communication entre nos trois gars en milieu de terrain et de bien se relayer les responsabilités dans la rotation qu’on doit faire. Ainsi, on peut continuer à fermer les espaces tout en gardant un œil sur un gars comme Giovinco. »

Et pourquoi se contenter d’un œil quand on peut, en toute subtilité, appliquer sur le diminutif attaquant une bonne main ferme ou encore un petit coup d’épaule? Camara, qui ne s’est lui-même pas gêné pour le faire d’entrée de jeu la semaine dernière, est d’accord pour dire qu’une approche plus robuste peut être une façon efficace pour sortir Giovinco de son match.

« Oui, c’est peut-être sa limite, approuve le longiligne défenseur. Je le trouve un peu vulnérable quand il sent que c’est un peu dur. Comme je dis, on respecte le joueur, c’est vraiment un très bon joueur. Mais à la fin, nous on va tout faire pour se qualifier. »

« Que ce soit lui ou un autre joueur, quand c’est le temps d’être agressif et physique, si on a une chance de fermer l’espace vers le ballon et de mettre un peu l’épaule, nos joueurs sont au courant que c’est comme ça qu’on veut jouer, établit Biello. L’adversaire le fait contre nous, on sait qu’un gars comme Altidore va utiliser ses capacités physiques. Il faut faire pareil. »

On ne musèle pas Sebastian Giovinco éternellement. Le New York City FC était parvenu à le contenir dans son dernier rendez-vous de saison régulière contre Toronto, puis dans le match aller de la demi-finale de l’Est qui a opposé les deux équipes le mois dernier. Lors du match retour, l’Italien a débloqué avec un tour du chapeau, son cinquième en MLS, et une passe décisive. Le NYC FC est aujourd’hui en vacances.

Ça explique sans doute pourquoi, chez l’Impact, on a la tape dans le dos timide ces jours-ci. On sait qu’à l’autre bout de l’autoroute 401, une bombe à retardement est prête à exploser à tout moment. Avec raison, Giovinco inspire toujours la méfiance dans le camp montréalais.

« On a bien fait contre lui dernièrement, mais on a encore du chemin à faire et du travail à faire. Contre un joueur comme ça, tu ne peux jamais t’endormir », prévient Biello.

« Plus il reste longtemps sans marquer, plus on s’approche du moment où il va marquer, calcule Lefèvre, lucide. C’est généralement comme ça. Alors il faut faire attention. »