Patrice Bernier joue chacun de ses matchs comme s’il s’agissait de son dernier. Je sais très bien que je ne vous apprends rien en écrivant ça. Vous avez pu le constater comme moi depuis de nombreuses années. Vient alors un paradoxe, puisque dimanche au Stade Saputo, il ne s’agira pas d’un match comme les autres, justement parce qu’il s’agira de son dernier. Même si c’est Patrice qui en a décidé ainsi, il y a des choses qu’on a encore du mal à s’imaginer. Comment va-t-il faire autre chose que jouer?

 

Tout ce qu’il a fait avec un ballon m’inspire. Une carrière exemplaire. Un rêve devenu réalité. Patrice est un joueur que j’ai eu la chance de côtoyer à l’Impact de Montréal et en équipe nationale, sans oublier une merveilleuse saison dans notre équipe junior au FC Select Rive-Sud - la belle époque où on s’improvisait pendant des heures tireurs de coups francs de l’extérieur du pied comme Roberto Carlos. Patrice a toujours été un coéquipier respecté. Un passionné de foot avec lequel on pouvait échanger. Un modèle que je n’ai jamais cessé d’admirer tant sa force de caractère m’a impressionnée.   

 

Même s’il excellait dans plus d’un sport et que le talent lui sortait par les oreilles, c’est aussi un athlète qui a travaillé très fort pour repousser les limites que le gros bon sens imposait à un Québécois ayant un plan de carrière audacieux au soccer professionnel. Il me semble d’ailleurs que « travailler fort » est un cliché qui ne rende pas réellement justice aux efforts et à la mentalité singulière de Patrice. Et s’il y a un hommage que je désire rendre au capitaine du bleu-blanc-noir au crépuscule de son parcours en tant que joueur, c’est en vous faisant part de quelques anecdotes qui vous donneront une idée de ce que ça représente d’être un champion au quotidien.

 

 

À l’été 1997, je faisais partie de l’Équipe du Québec des moins de 20 ans aux Jeux du Canada de Brandon au Manitoba. Lors du match de la médaille d’or, le noyau de joueurs de notre sélection avait une revanche à prendre sur l’adversaire de Colombie-Britannique, puisque ce groupe était sensiblement le même qui nous avait infligé une humiliante défaite de 8 à 4 quelques années auparavant lors des championnats nationaux - 8-4, vous avez bien lu (et il ne s’agissait pas de buts valant plus d’un point ou tout autre type de truc farfelu). Patrice Bernier

 

Même s’il était plus jeune de deux ans par rapport aux autres joueurs de la sélection, les entraîneurs avaient décidé d’ajouter Patrice à notre groupe pour les Jeux du Canada - ce qui représentait pour lui un petit tournoi de soccer au début août, question de se délier les jambes avant d'aller rechausser les patins pour les Foreurs de Val-d’Or à sa deuxième saison en LHJMQ.  

Évidemment, même si ça fait 20 ans, je me rappelle des moments forts de la compétition. Alors que nous sommes à égalité avec nos rivaux à la mi-temps, j’ai souvenir d’un Patrice Bernier qui prend le contrôle de la rencontre pour nous guider à une victoire de 3-1, un dénouement cathartique pour plusieurs joueurs encore marqués par la défaite des années précédentes. Mais au-delà de la médaille, j’avais aussi été marqué par l’attitude de Bernier en dehors du terrain.

 

À l’issue des Jeux de Brandon, je devais immédiatement aller rejoindre l’équipe de mon université au New Jersey pour une deuxième saison en NCAA. L’entraîneur américain m’ayant trouvé un peu frêle à ma première année, j’avais reçu un programme de musculation à suivre tout au long de l’été. Jeux du Canada ou pas, les tests physiques m’attendraient à mon arrivée à Teaneck, NJ. Des cinq joueurs qui partageaient pendant les Jeux la chambre où j’effectuais mes séries de push-ups et d’abdos juste avant d’aller me coucher, seul Patrice Bernier ne roulait pas les yeux au plafond en se disant: « Leduc, t’es ben crinqué… » En fait, Patrice était même enthousiaste à l’idée de m’accompagner, affirmant que ça ne nuirait pas à son éventuel retour sur la glace - ce qui ne veut pas dire que je ne l’étais pas légèrement, crinqué. Mais ce que j’en retiens, c’est que l’effort physique n’avait pour lui rien d’effrayant et que l’idée d’en faire plus était tout sauf répugnante. À la fin de la semaine, il complétait avec moi toutes les séries et ajoutait ses propres exercices d’appoint. Le contraste en terme de mentalité était déjà frappant par rapport à d’autres qui ne manquaient pas de talent, mais pour qui toute forme de temps supplémentaire était associée à une sorte d’aveu de faiblesse.

 

 

Lorsque Patrice est passé à Kaiserslautern, un club allemand réputé, après plusieurs saisons fructueuses en Norvège, j’ai décidé d’aller lui rendre visite pour tenter d’en apprendre plus sur les méthodes d’entraînement qui avaient la cote en Bundesliga. On est en décembre 2007, la saison de l’Impact est terminée depuis belle lurette, tandis qu’elle bat toujours son plein dans les championnats du Vieux-Continent. Mais Patrice, qui en est déjà à sa 7e saison en Europe, est blessé. Au moment où je monte à bord de l’avion pour aller le voir en Allemagne, il ne participe plus aux matchs de sa nouvelle équipe depuis quelque temps.

 

À mon arrivée à Francfort, il m’attend à la sortie de l’aéroport dans la Mercedes que le club met à sa disposition - on est loin de la Honda Civic que j’empruntais à mes parents quand on covoiturait à l’Impact lors de nos premières saisons. Mais Patrice n’est pas là pour se pavaner - et de toute façon, des Honda Civic, ce club allemand n’en offre pas. Il me propose donc d’aller directement au Fritz-Walter-Stadion, le domicile de Kaiserslautern, puisqu’il a l’intention d’essayer de s’entraîner pendant que les joueurs de son club profitent d’un congé. Même s’il a quitté l’environnement modeste de l’Impact depuis de nombreuses années, je constate que rien chez Patrice ne semble avoir changé. 

 

À notre entrée au vestiaire, il me refile immédiatement une tenue de joueur des Roten Teufel et une paire de crampons tout en annonçant à un entraîneur adjoint qu’il se sent prêt à aller sur le terrain. Quelques minutes plus tard, et quelques heures à peine après un vol au-dessus de l’Atlantique, Patrice Bernier et moi tapons dans le ballon sur une pelouse adjacente au stade où l’Italie avait vaincu l’Australie lors des 1/8èmes de finale de la Coupe du monde 2006. Le tourisme peut attendre. Et de toute façon, s’il y a un but à ce voyage, c’est de voir Patrice jouer en Allemagne. Mon hôte l’a bien compris, et il en ajoute une couche en me permettant de jouer avec lui. On avait beau se retrouver dans les infrastructures d’un club de Bundesliga, les sensations étaient pratiquement les mêmes que celles de jadis au Parc Laurier de Longueuil ou avec l’Impact de Bob Lilley au Soccerplexe Catalogna. La routine n’avait pas changé.

 

Pendant près d’une heure et demie, j’accompagne mon ex-coéquipier dans les exercices improvisés par l’entraîneur. On constate bien vite que la convalescence s’achève et que Bernier pourra retrouver ses coéquipiers dès le lendemain. L’expérience à quelque chose de surréel, mais en même temps, je ne peux pas dire que je suis tellement surpris. Avec Patrice, le ballon n’est jamais bien loin. Il donne un sens à tous ses actes, et je ne parle pas juste de ceux qui se déroulent sur un terrain. Cette séance d’entraînement imprévue est certainement le moment fort de mon voyage en Allemagne, d’autant plus que celui-ci prend ensuite une tout autre tournure lors d’une visite au marché de Noël et la découverte d’un vin chaud qu’on appelle glühwein… Je vous rassure tout de suite, Patrice, lui, savait se tenir loin de cette boisson épicée.

 

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À son retour au bercail en 2012, la place qu’on entend donner à Patrice au sein de l’Impact n’a pas tout à fait de la même envergure sur le terrain et en dehors. Si l’équipe marketing espère en faire son porte-parole, le personnel technique dirigé par Jesse Marsch hésite à lui confier un rôle prépondérant en tant que milieu de terrain. 

 

Patrice Bernier serein en vue de son dernier match

Lors de la dernière portion du camp d’entraînement à Orlando en Floride, l’entraîneur montréalais accepte de porter un micro de RDS pendant un match préparatoire. Les propos de Marsch feront l’objet d’un segment que nous préparons en vue d’une émission d’avant-match lors de la saison. Or, en dépit d’une performance honorable de Bernier - au moins un 6,5/10, dans mon livre à moi - les échanges entre Marsch et ses adjoints laissent clairement planer un doute quant à sa capacité à s’adapter à la MLS. Certains des subalternes de Marsch considèrent d’ailleurs qu’il n’est pas à la hauteur d’un point de vue physique et qu’il ne fondent pas vraiment d’espoir de le voir progresser sur cet aspect.

 

Même si le reportage qu’on préparait n’avait rien d’un éditorial, une partie de moi était révoltée à l’écoute de cette discussion. Sans doute que les liens d’amitié que j’entretenais toujours avec Patrice nuisaient à mon objectivité dans cette situation. J’avais envie d’aller dire ma façon de penser au préparateur physique de l’époque, lui mentionner son passé au hockey, sa mentalité hors du commun et toutes nos séries de push-ups... Mais, même si j’étais fâché, je n’ai rien dit à Jesse Marsch et à ses adjoints. Je n’en ai pas parlé à Patrice non plus. D’une certaine façon, j’ai voulu garder une distance et le protéger de critiques qui, moi, en tant que joueur, m’auraient abattu. Au final, la version du segment produite en onde était donc édulcorée par rapport au souvenir de ce que j’avais entendu.  

 

Bien sûr, on connaît bien aujourd’hui le différend entre la vision qu’avait Jesse Marsch pour l’Impact en 2012 et ce que Patrice Bernier était en mesure d’apporter à l’équipe. Faut-il rappeler les neuf buts marqués par le Brossardois lors de cette première saison? Ou encore sa participation au match des Étoiles à peine un an plus tard? Bref, ce qui m’aura le plus impressionné chez Patrice au cours de cette première année en MLS - et tout au long de sa carrière dans le circuit Garber - c’est son refus de se donner un rôle de victime. D’ailleurs, Patrice a tenu à rappeler lors de nombreuses entrevues qu’il n’entretenait pas de rancune à l’égard de Marsch. Loin d’accepter le jugement qu’on se faisait de lui au sein même de l’organisation, le numéro 8 du bleu-blanc-noir a su bien relever les défis qui se présentaient à lui en forçant ses détracteurs à changer d’avis. Foi de capitaine, tous les sceptiques auront été confondus.

 

À présent, ce qui lui reste, comme défi, c’est de se faire à l’idée qu’il n’a plus rien à prouver. Ce sera bizarre, même inconcevable, de ne plus le retrouver avec un ballon au pied. Mais s’il y a une chose dont on peut être sûre avec Patrice, c’est que l’histoire finit toujours bien.