PARIS, France – « C'est le vrai match qui commence », estime dans un entretien téléphonique à l'AFP Michel Platini, qui veut saisir le Tribunal arbitral du sport (TAS) pour tenter de lever sa suspension de huit ans de toute activité liée au soccer.

Q: Quel est votre état d'esprit?

R : « J'ai du mal à comprendre. Comment on en est arrivé là? J'effectue un travail, je demande à être payé, j'envoie une facture, on me paie, je paie des impôts là-dessus. C'est en 2011. C'est une dette qu'on m'a réglée, point. Puis en 2015, la justice suisse souhaite avoir plus d'informations. Et c'est parti du côté de la Fifa. Et beaucoup de gens sont contents du côté de la Fifa que ça parte, cette histoire. Et me voilà suspendu huit ans de toute activité liée au football. Elle a fait quoi la commission d'éthique de la Fifa entre 2011, quand j'ai été payé, et 2015? Elle dormait? Tout d'un coup elle se réveille... Ah oui, elle se réveille une année d'élection à la Fifa quand je me présente ! C'est très étonnant! »  

Q: Comment voyez-vous la suite ?

R : « Je me bats contre cette injustice, de tribunaux en tribunaux. Pendant ce temps, mon nom est jeté en pâture dans la presse. Ce que je ne comprends pas, c'est que c'est la même maison qui me paie, avec facture en 2011, et qui me traîne en 2015 devant sa commission d'éthique. Et qui m'empêche aujourd'hui de faire mon travail à l'UEFA, d'assister au tirage au sort de l'Euro-2016 à Paris et de préparer ce tournoi. Quoi qu'il advienne mon image aura été écornée, j'en aurais pris plein la gueule. On m'a mis dans le même sac que Blatter. »

Q : Vos deux noms sont liés dans la décision de la commission d'éthique...

R : « Les gens de la commission d'éthique sont davantage impliqués dans une question de calendrier - pour m'empêcher de me présenter à temps pour l'élection à la présidence de la Fifa - et dans la médisance que dans l'éthique. Ils ne sont pas éthiques, ils sont pathétiques. »

Q : La corruption n'a pas été retenue contre vous, ni contre Blatter

R : « Encore heureux! La corruption est inexistante dans cette affaire. Je pars de toute façon du principe que la vérité sortira, que mon innocence sera reconnue. On me reproche quoi ? Ah oui, j'aurais dû dire au comité exécutif de la Fifa ‘ah au fait, la Fifa me doit de l'argent, elle va me le payer’. Et on m'aurait répondu ‘oui et alors?’. Et aujourd'hui on me reproche de ne pas avoir dit ça. C'est honteux. Chacun son business, ce n'était pas à moi d'en informer le comité exécutif mais à ceux qui m'ont payé. »

Q : Vous qui n'aimiez pas perdre sur un terrain, comment avez-vous ressenti l'annonce de la suspension?

R : « Pas comme une défaite. C'est plutôt une victoire si on considère que la juge chargée de l'instruction à la Fifa avait réclamé la radiation à vie contre moi. La radiation à vie! Et pourquoi pas? Allons-y tant qu'on y est! Quelle rigolade! (ironique, ndlr). » 

Q : Devant quels tribunaux allez-vous vous défendre?

R : « Plus tard je saisirai les tribunaux civils suisses pour demander réparation. Mais d'abord, il y a le Tribunal arbitral du sport (TAS). C'est le vrai match qui commence. Avant, les dés étaient pipés devant la commission d'éthique. Comment voulait-on que ceux qui défendent la Fifa aillent contre l'intérêt de cette instance? Ces juges de la Fifa sont soit disant indépendants, mais c'est la Fifa qui leur paie leurs indemnités, par exemple. » 

Q : Le calendrier des appels n'est-il pas trop serré d'ici à l'élection du 26 février?

R : « Ce qui est embêtant, c'est que je n'ai aucune certitude sur le calendrier à venir. Tant que je n'ai pas reçu les motivations de la suspension, je ne peux théoriquement pas faire appel devant le TAS. Sans certitude sur le calendrier, je ne sais pas comment le match va se jouer. J'avais dit pour les scandales à la Fifa et au sujet de Blatter en mai ‘enough is enough’ (trop c'est trop), maintenant je dis ‘step by step’ (pas à pas). Je me battrai en tout cas pour sortir blanchi. » 

Q : Comment avez-vous trouvé le TAS quand vous y êtes passé la première fois le huit décembre?

R : « Les juges y étaient très attentifs. Mais c'est normal qu'ils n'aient pas levé ma suspension provisoire, car ça ne changeait rien pour la suite puisque la Fifa a alors subitement annoncé que la décision sur le fond allait tomber dix jours plus tard. »

Q : Défendre votre honneur, c'est plus important que de se présenter à la Fifa?

R : « Mon honneur, je l'ai toujours. J'ai la conscience tranquille. Il y a beaucoup de gens qui parlent mal sur moi, ça s'arrête là. Mais je reçois aussi beaucoup de soutiens, de beaucoup de fédérations qui me disent de me battre, de ne pas les laisser tomber. La question est ‘quel est le calendrier pour essayer de se sortir de ce traquenard?’. Et si j'ai gain de cause à temps, il faudra soumettre ma candidature avant le 26 janvier devant M. Scala (président de la commission électorale de la Fifa qui avait évoqué dans le Financial Times fin octobre de possibles "falsification des comptes" au sujet du fameux versement, ndlr). Encore un obstacle... »

Q : Y a-t-il encore une chance de se présenter à la Fifa avec un timing aussi serré?

R : « Je vais me battre. Puis je prendrai mes responsabilités en fonction de ce qui se passera. Il y a ma volonté et puis il y a celle des autres à prendre en compte. Toutes ces histoires font beaucoup de dommages, notamment au niveau de la crédibilité des institutions. Et j'ai toujours considéré que les institutions sont plus importantes que les personnes. »