On entre enfin dans le vif de cette Ligue des Champions. Avec l'arrivée des matches à élimination directe, la compétition prend régulièrement une dimension supplémentaire qui va continuer de croître jusqu'à la fin mai. Le format choisi depuis quelques années fait démarrer cette deuxième phase plus de deux mois après la fin de la première. Durant cette période, certains ont eu quelques semaines de trêve, d'autres non. Certains se sont renforcés durant les transferts d'hiver, d'autres plutôt peu. Et surtout, la forme et le fonds de chaque équipe ont forcément évolué pendant ces dix semaines. Ce qui était vrai à la mi-décembre, ne l'est parfois plus aujourd'hui.

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On peut difficilement aborder ces huitièmes de finale aller autrement qu'à travers la double confrontation anglo-italienne, Liverpool - Inter mardi, suivi d'Arsenal - Milan AC le lendemain. Liverpool confirme essentiellement ce qu'il a laissé entrevoir durant l'automne: une équipe capable de «coups» exceptionnels, capable de répondre comme personne lorsque l'enjeu le demande. Mais qui éprouve bien des difficultés à présenter un fonds de jeu décent sur la durée, à enchaîner les sorties de qualité. Qu'on le veuille ou non, l'équipe de Rafa Benitez repose sur une poignée d'individualités d'exception, Gerrard, Torres, Mascherano, éventuellement Carragher, capables de transcender le groupe. C'est relativement peu.

Babel est sans doute un joueur en devenir, Kuyt peut sans doute mieux faire, tandis que Crouch va bientôt atteindre un plafond dans son jeu comme dans son utilité. Derrière, Benitez a beaucoup misé sur une charnière Carragher - Agger, mais avec le Danois blessé depuis six mois, et Hyypia en seule solution, on eut se poser quelques questions sur le recrutement… Et surtout, Rafa n'est pas parvenu depuis deux ans à apporter une quelconque valeur ajoutée sur les cotés, tant offensivement que défensivement. Alors qu'en face, c'est l'armada qui débarque. Mine de rien, l'Inter pourrait présenter une «équipe B» qui aurait tout autant la gueule d'un prétendant que la A. Une escouade offensive (Ibrahimovic, Cruz, Crespo, Suazo, flanquée de Figo, Jimenez ou Stankovic) monstrueuse. Un entre-jeu (Viera, Cambiasso, Maniche, sans oublier des polyvalents comme Chivu ou Zanetti) dont le volume n'a que peu d'égaux dans cette LdC. Derrière, c'est assez costaud, merci (Cordoba, Materazzi, Maxwell, Maicon, Burdisso, et Julio Cesar dans les buts).

On veut bien écouter ceux qui disent que l'Inter n'est pas toujours à son meilleur en Ligue des Champions, n'empêche que Mancini nous semble avoir redressé son monde, tant dans le jeu que dans les mentalités, depuis le début de la saison. Reste à savoir si le roulement effectué depuis six mois, et les différents systèmes de jeu adoptés, ont augmenté le rendement de ce groupe ou l'ont rendu - comme dans le passé - un tantinet schizophrène. Anfield sera un joli test pour cette équipe à géométrie variable.

Un peu plus au sud, on pourra d'abord se demander comment Arsenal se sera remis de la sévère défaite subie à Old Trafford, samedi en Cup (0-4). À la décharge d'Arsène Wenger, Arsenal s'est présenté avec pas moins de huit joueurs absents sur blessures ou incertains le matin même du match, et qu'il n'a finalement inclus dans la feuille de match que 14 joueurs susceptibles de jouer mercredi.

Cet Arsenal reste un peu une énigme: dans son expression classique, exceptionnel de vitesse, de choix toujours judicieux, de recherche de la meilleure solution possible. Des garçons comme Hleb, Fabregas, Sagna, Flamini ou encore Adebayor, ont franchi un pallier depuis le début de saison. Libérés de l'ombre des «anciens» (Henry, Viera, Bergkamp, Campbell, Pirès, Cole), peut-être. À l'opposé, ces «New Model Gunners» n'ont pas encore fait leur marque face à un adversaire de la taille du Milan AC (on laisse de coté le 3-0 sur Séville en septembre pour des raisons évidentes).

Et les six-huit semaines à venir devraient nous en dire beaucoup sur le potentiel de cette équipe (Ligue des Champions, et Manchester, Chelsea et Liverpool à jouer en Championnat). Remarquez, Milan n'est pas au mieux non plus. Après un bon retour au mois de janvier, où il est allé reprendre des points dans sa course à la quatrième place de la Serie A, il peine à nouveau à faire la différence sur des équipes «faciles». Gattuso revient de blessure, ce qui devrait grandement améliorer l'équilibre de l'équipe. Tout comme Kaka, finalement opérationnel. L'ensemble a effectivement la même gueule que le Milan de ces dernières années. Solide, sûr de lui et bien rôdé. Capable, lui, de sortir le match qu'il faut au bon moment. On peut cependant se demander jusqu'à quel point il n'est pas en train de nous bluffer.

Derrière, c'est souvent limite-limite et ce Milan 2008 encaisse pas mal plus de buts «évitables» que ses prédécesseurs. Idem devant, où il lui faut un peu plus de possession, un peu plus d'occasions que par le passé pour faire la différence. Et on veut bien que les jeunes Pato ou Paloschi s'inscrivent dans l'avenir du club, on a du mal à les voir apporter une différence notable face à des Gallas, Touré ou Senderos. Au moins à l'aller…

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Peu de temps pour parler des autres rencontres, désolé. Mais, juste derrière ces deux-là, Roma - Real et Lyon - Man'U valent le coup d'œil. Deux favoris au départ. Le Real, malgré quelques hoquets récents en Championnat (deux défaites en trois matches), demeure tout aussi impressionnant dans sa capacité à allumer le jeu en l'espace de quelques instants. Il sera cependant privé de Robinho, Marcelo, Sneijder, Metzelder et Pépé à Rome. C'est-à-dire un flanc gauche limité (malgré le retour de Heinze) et une défense centrale où Sergio Ramos viendra épauler Cannavaro (donc un flanc droit avec Salgado, pas un premier choix). Van Nistelrooy est de retour après une blessure à une cheville: avec Raul, Baptista et Robben, ça vous fait tout de même un Real capable de marquer à l'extérieur. Combien en prendra-t-il? Avec le Casillas actuel, pas beaucoup.

Manchester va surfer sur son succès obtenu devant Arsenal samedi. Une petite stat au passage: les trois joueurs qui tirent le plus au but dans tout le championnat anglais sont CRonaldo, Rooney et Tevez. 1-2-3. La force de Sir Alex est tout de même d'avoir trouvé le système dans lequel les trois (plus Giggs) sont capables de s'exprimer quasiment au mieux. Avec Evra de retour à gauche et un axe Ferdinand-Vidic pas si mal, il n'y a que le flanc droit qui reste à la traîne. Et un verrou Carrick-Hargreaves pas mal mais pas exceptionnel non plus. Lyon est encore à la recherche de son équilibre: beaucoup d'interrogations en défense (trois défenseurs centraux blessés, d'où le recrutement de Boumsong en dernière minute). Un entre-jeu solide mais toujours dépendant de Juninho. Idem en attaque: beaucoup de talent (Ben Arfa, Govou), mais essentiellement un joueur actuellement capable de faire la différence, Benzema. S'il n'est pas muselé comme il faut (ou, plus exactement, si ses partenaires ont la possibilité de lui donner des ballons décents), il peut mener la vie dure aux Red Devils. Lyon a les moyens d'aller embêter Manchester. S'il ne se fait pas piéger dès le match-aller.

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Pour des raisons différentes, Avram Grant et Frank Rijkaard jouent gros sur ce tour. Le premier, face à Olympiakos, doit démontrer que «son» Chelsea a toujours les épaules du «Grand prétendant» qu'il était sous Mourinho. Quatre trophées encore possibles: Coupe de la Ligue anglaise (finale), FA Cup (quart), Championnat anglais (troisième), Ligue des Champions (huitièmes). Les échéances des six prochaines semaines vont faire ou défaire Grant. Surtout, il devra maintenant - enfin - gérer selon ses capacités un effectif de nouveau «plein-pot»: Obi Mikel, Drogba, Kalou, Essien sont revenus de la CAN, Lampard et Ballack sont de nouveau opérationnels, Anelka a été recruté et au cours des dernières semaines, Makélélé, Joe Cole et Wright-Philips ont marqué de gros points pour justifier leur présence. Il va falloir trouver non seulement une hiérarchie là-dedans, mais aussi - et surtout - une organisation du jeu à laquelle le boss de Chelsea semble s'être un peu soustrait ces dernières semaines. À Barcelone, Rijkaard joue ses dernières cartes. Avec un groupe encore diminué (Eto'o, Puyol, Oleguer, Deco, Touré incertains) et beaucoup d'interrogations dans le jeu. Barcelone, on ne l'a peut-être pas assez dit, est encore en transition dans son jeu. Un peu moins direct, un peu plus - ah, on ne va pas dire prudent, mais un peu plus réfléchi, sans doute. Face à un adversaire ultra-déterminé, qui va aller jouer tous les ballons et qui n'a pas perdu à Parkhead (pardon, Celtic Park) depuis plus de deux ans (il a battu Milan lors du premier tour 2-1), c'est dans la tenue de balle et le sang-froid que les Catalans doivent s'éviter l'embarras d'un sale match-retour.

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On reviendra plus tard sur Fener'-Séville et Schalke-Porto, assez séduisants mais juste un peu moins «sexy» que les autres. Séville a bien à se méfier de son voyage à Istanbul et d'un Fenerbahçe (entraîné par Zico) prêt à l'exploit. Porto part favori face à Schalke et revient dans un stade de légende (à Gelsenkirchen, là où le FCP de José a remporté la Ligue des Champions 2004). Avec Lissandro Lopez, Sektioui, Quaresma ou Lucho Gonzalez, le Portiste peut faire la différence dès l'aller. Comme il pourrait tout aussi bien se bouffer les doigts par complaisance.

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Pauvre Ronaldo! Rupture du tendon rotulien, le genou gauche après le genou droit. Sans parler des chevilles, et on en oublie… Il y a des joueurs, de grands joueurs, qui passent au travers d'une carrière avec un minimum de blessures majeures. Lui, il les collectionne! Le pronostic le plus optimiste lui donne neuf mois avant d'être apte à rejouer (convalescence, rééducation), très possiblement un an. Et là, on parle seulement de rejouer, de s'entraîner, pas de revenir à la compétition. Ce qui l'amènera doucement sur ses 33 ans. D'où la question logique: aura-t-il la force, l'envie de faire une nouvelle fois ces efforts? Cette blessure sera-t-elle celle de trop, celle qui tirera un trait sur un joueur et une carrière exceptionnels?

Nous assistons en ce moment au départ d'une génération fameuse… Les Bergkamp, Zidane, Batistuta… Des Figo, Nedved, Cafu, Thuram, Kahn, Vieri n'en sont pas très loin non plus, tandis qu'un Beckham ne fait plus que du tiers-temps. C'est la génération dorée des années 90. Celle qui a ramené le «glamour» dans le football, nous a donné la Ligue des Champions, l'arrêt Bosman et s'est ouvert les pages des magazines «people». C'est la Génération Pub, des agents et des deals avec les équipementiers, qui a inscrit les «droits d'image» en lettres d'or dans ses contrats. Qui a propulsé le jeu dans une nouvelle ère.

C'est sur le dos de cette génération que sont venus les droits TV et l'avènement du «foot-business» que certains présentent comme le «début de la fin» du football. Au vu de cet héritage, on aurait tendance à dire: non, c'est juste la fin du commencement.

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Un petit mot pour revenir sur la Coupe d'Afrique des Nations. Étrange. Elle laisse un goût un peu bizarre. Peut-être le plateau le plus relevé jamais présenté à la CAN. Un record de buts, avec une moyenne de trois par rencontre. Et pourtant… Hormis l'Égypte et jusqu'à un certain point la Tunisie, on a trop souvent assisté à la recherche de l'exploit individuel, à l'abandon de toute idée collective. Un confrère, en France, parlait d'absence totale de tout «projet de jeu», hormis les deux mentionnés plus haut. C'est, effectivement, l'impression laissée par ces blocs bâtis autour d'une ou plusieurs individualités, rarement bien équilibrés.

Les footballs d'Afrique, les joueurs d'Afrique, rayonnent comme jamais auparavant - essentiellement en Europe, non plus dans deux ou trois championnats mais partout. Ils s'affichent au sommet de la Ligue des Champions, en talent, en nombre et à tous les postes. Est-ce la raison pour laquelle les sélectionneurs - rarement aidés, il faut le dire, dans le temps, dans la logistique, dans les moyens - semblent bâtir des systèmes (?) à la va-vite? C'est juste une hypothèse.

Elle pourrait trouver confirmation dans le double succès égyptien (2006-2008). Un sélectionneur local, qui connaît donc par cœur toutes les ressources dont il dispose, d'autant qu'il a justement ce temps et ces moyens. Qui s'appuie sur une sélection évoluant essentiellement au pays: là non plus ce n'est pas un hasard, les grands clubs égyptiens sont remarquablement structurés, riches, et travaillent tous sur la formation de jeunes. Al-Ahly, Zamalek et Ismailia fournissent 15 des 23 champions d'Afrique. Et sont régulièrement présents dans les grandes compétitions de clubs du continent.

Au niveau terrain, cette cohésion saute aux yeux. Jeu au sol, propre, une ou deux touches de balle si possible. Du mouvement, toujours organisé autour du porteur du ballon pour lui offrir le maximum de possibilités. Une circulation simple, pas simpliste, des triangles, avec toujours la recherche du jeu vers l'avant, à partir d'une excellente assise défensive. Exécution parfaite. Avec, en outre, quelques individualités qui ressortent du lot (Hosny, Ahmed Hassan, Zaky, Gomaa, El Hadary) mais n'en rajoutent jamais. D'ailleurs, ceux qui veulent en faire trop (Mido il y a deux ans, Zidan après son premier match) sont vite mis au pas. Reste à voir ce que cette sélection fera d'ici au Mondial 2010.