MONTRÉAL – On n’arrive jamais à ses fins sans un petit coup de main. Aujourd’hui, nos entraîneurs nous parlent d’un allié sans qui ils ne seraient pas devenus les hommes qu’ils sont aujourd’hui.

Dany Dubé : sur la route avec Clément

Clément Jodoin est le premier entraîneur avec lequel j’ai travaillé comme adjoint. Il a été le seul d’ailleurs puisque par la suite, j’ai toujours été entraîneur-chef ou associé. C’est lui qui m’a donné ma première chance et qui m’a fait grandir dans le milieu. C’est un gars qui m’a beaucoup appris.

Clément est un homme de hockey passionné et dévoué. Il m’a initié à toutes les facettes du métier d’entraîneur. Au lieu de me donner des responsabilités et de me dire « Va faire ça ! »,  il m’a plutôt accompagné et on a fait plusieurs choses ensemble. On a d’ailleurs brûlé sa petite Acadian, une voiture minuscule qui nous servait à aller faire du recrutement. On en a fait, du millage, là-dedans! On s’est raconté nos vies en long et en large et on a refait le monde du hockey plusieurs fois pendant les heures qu’on passait à rouler. Je me souviens d’une journée où on s’en allait à Thetford Mines. C’était la fin de l’automne, il faisait froid, il y avait de la gadoue sur la chaussée. À un moment donné, j’ai dit : « Clément, j’ai les pieds gelés. Je ne comprends pas, on dirait que le tapis est mouillé. » Il m’a répondu : « Tasse le tapis, tu vas comprendre. » Je l’ai écouté et j’ai vu un trou dans le plancher et la neige gicler à l’intérieur. Un peu plus et mon pied passait à travers!

Clément JodoinL’art du recrutement! C’est dans ces longs voyages que j’ai vraiment développé un œil pour identifier le talent. Clément me disait toujours : « La première fois que tu vas voir une équipe, il ne faut pas que tu cherches un joueur, il faut que le joueur vienne à toi. » Tout ce qu’il me demandait, c’était de noter le nom des gars que j’aimais. Ensuite, la deuxième étape, c’était d’identifier les profils qui cadraient avec notre équipe. C’était qui le vrai Patriote dans tous ces bons joueurs qui passaient sous nos yeux? On a laissé passer de très bons joueurs parce qu’on trouvait qu’ils ne cadraient pas dans notre philosophie et cette recette nous a bien servis. On a eu de très bons programmes avec des joueurs qui donnaient le bon mélange. Rares ont été les années où notre effectif n’était pas productif dans notre système de jeu. Dans la vie, ça arrive qu’on passe à une place où les choses n’ont pas vraiment fonctionné et on perd du temps à se demander si c’était notre faute ou celle de l’employeur. Souvent, il n’y a pas de coupable : les deux n’étaient tout simplement pas compatibles. J’ai toujours gardé ça en tête depuis mon association avec Clément. Aujourd’hui, mon fils est dépisteur et je lui dis de chercher des joueurs en fonction de l’ADN de son organisation. C’est trop important. Une très bonne personne qui n’est pas dans le bon environnement devient une moins bonne personne. Si tu ne penses pas à ça dans le recrutement, tu hérites de problèmes et non de solutions.

Avec le programme olympique, je crois que c’était l’une de nos grandes forces. On avait fait un exercice qui est demeuré longtemps dans le programme national. On avait fait notre alignement fantôme, notre formation idéale, sauf qu’on ne le remplissait pas avec des noms, mais avec des profils bien définis selon chaque poste. Qu’est-ce qu’on cherche pour chaque rôle ? Quelle personnalité veut-on pour le club ? Comment entend-on la développer? Ainsi, quand tu as des problèmes, c’est plus facile de les régler parce que tu n’as qu’à revenir à la base, à ton identité. Encore une fois, cette vision à laquelle j’adhère sans réserve est née du temps que j’ai passé avec Clément.  

L’autre gars qui a beaucoup influencé mon cheminement, c’est François Allaire. Avant qu’il devienne un entraîneur professionnel, François travaillait au Service des loisirs à la Ville de Mirabel. Il était venu faire un certificat en administration à l'UQTR. À cette époque, j’étais gardien pour les Patriotes. Michel Boucher, qui était mon entraîneur, avait rencontré François et lui avait dit qu’il pouvait s’occuper de ses gardiens. En parlant de moi, il lui avait dit qu’il avait un petit gars de la Côte-Nord qui était pas pire mais qui, techniquement, avait visiblement appris sur le tas. J’ai commencé à travailler avec lui et ç’a marqué mon cheminement. J’étais en fin de carrière. J’aurais pu aller en Europe, mais je ne voyais pas d’avenir pour un gardien étranger en France ou en Allemagne. Sauf que j’avais la passion du coaching et finalement,  je suis resté là. Aujourd’hui, avec le recul, c’est probablement l’une des meilleures décisions que j’ai prises.

Russ Anber : la prophétie de Vinnie Curto

Il y a deux personnes qui ont changé mon parcours. La première, celle à qui je donne toujours le crédit pour le fait que je sois devenu un entraîneur de boxe, c’est Vinnie Curto.

Curto était un boxeur du top-10 mondial durant les années 1970 et 1980. Américain natif de la région de Boston, il était venu habiter à Montréal pendant quelques années. Il a fait une dizaine de combats au Québec, dont un contre Eddie Melo au vieux Forum. Ça faisait peut-être un an que je m’entraînais au Club olympique quand, un bon jour, je vois ce type dans le gymnase. Son visage m’est familier, mais je n’arrive pas à l’identifier. De retour chez moi, je commence à passer à travers tous mes magazines de boxe. Je cherche, je cherche jusqu’à ce que je revoie le visage que j’avais vu en personne quelques heures plus tôt.

Images d'un combat de Vinnie Curto

Le lendemain, au gym, je m’approche et je lui demande : « Excusez-moi, êtes-vous bien Vinnie Curto? ». Je lui dis que je l’ai reconnu, je le complimente sur sa carrière et je lui demande s’il me laisserait l’accompagner pour son jogging matinal. Il accepte et le lendemain matin, on se rencontre pour aller courir sur le Mont Royal. Après notre course, on se salue et on se quitte. C’est devenu une routine presque quotidienne et plus ça allait, plus on passait du temps ensemble après la course. On s’est mis à aller déjeuner ensemble, à passer nos journées à parler et à s’obstiner sur la boxe. J’avais trouvé quelqu’un qui était comme une encyclopédie de la boxe. Il me parlait de sa jeunesse, des livres qu’il avait lus et au gym, il avait commencé à me demander de l’aide. J’attachais ses gants, je lui mettais de la Vaseline dans le visage, j’attachais son casque. Quand c’était fini, il me donnait constamment son opinion et ses conseils.

Une bonne journée, quelque chose est arrivé au gym. Je ne sais pas pourquoi, mais il a pété une crise et a commencé à s’engueuler avec les autres entraîneurs qui étaient là. Moi, j’étais collé sur le mur, je regardais ça sans dire un mot. Puis à un moment donné, au pic de sa colère, il m’a pointé du doigt et a crié à tout le monde : « Ce gars-là connait plus la boxe que vous tous mis ensemble! » J’avais 18 ans à ce moment-là et tous ceux à qui il s’adressait, c’était des grands entraîneurs de l’époque. J’étais fier, je me bombais le torse. Ça avait tourné beaucoup de gens contre moi, mais Vinnie m’avait permis de croire que je pouvais devenir un grand entraîneur. Cet automne-là, le 2 octobre, j’ai travaillé dans son coin contre Marciano Bernardi. C’était la première fois que je travaillais dans le coin d’un boxeur professionnel. Pour son combat suivant, contre Melo, c’est moi qui avais géré son camp d’entraînement qu’on avait fait à l’hôtel Montclair de Ste-Adèle. C’est grâce à lui que je suis devenu un entraîneur et encore aujourd’hui, quand quelqu’un lui parle de moi, il ne se gêne pas pour dire que c’est lui qui m’a mis sur la mappe!  

Mon autre mentor, c’est un monsieur – malheureusement décédé aujourd’hui – qui s’appelait John Davenport. John était entraîneur au meilleur, sinon l’un des deux meilleurs gyms de boxe aux États-Unis, le Second Street Youth Center à Plainfield, au New Jersey. On y a fait une rencontre Canada-USA où ses poulains avaient tous planté les miens. J’ai commencé à me lier d’amitié avec lui, tellement que j’ai commencé à amener mes boxeurs dans son gymnase pour participer à des compétitions au New Jersey sous la bannière de son club. À toutes les semaines, je descendais en voiture avec un ou deux de mes gars. On roulait le jeudi, on se battait le vendredi et on revenait le samedi. J’arrivais dans ces événements avec un ou deux boxeurs alors que lui en avait plusieurs. Dans le vestiaire, il me donnait des affectations, m’envoyant faire les mains d’untel ou travailler dans le coin d’un autre. C’était la première fois qu’un entraîneur de ce calibre me donnait une responsabilité aussi grande et me considérait comme son adjoint sur une grande équipe amateur. Ce gars-là est resté mon chum jusqu’à sa mort. Il est venu ici pour des camps d’entraînement avant les Jeux olympiques de 1988. C’est moi qui lui ai présenté Lennox Lewis, dont il est devenu l’entraîneur après son passage chez les professionnels.  

Olivier Brett : grandir avec Philippe

J’ai profité de la sagesse de Philippe Eullaffroy, le directeur de l’Académie de l’Impact, à plusieurs reprises au cours de ma carrière. Le premier contact s’est fait dans les équipes du Québec au niveau U14. Ça avait été une première rencontre super, il avait un bon bagage, mais j’étais un kid de 14 ans qui se faisait coacher par un gars qui en avait une trentaine. Je mentirais si je disais que ça a été le moment le plus marquant de ma vie. Mais après ça, j’ai joué une saison avec l’équipe de l’Université McGill et c’est là je l’ai rencontré pour la deuxième fois. Ça a été un gros, gros moment pour moi où je me suis rendu compte que Phil, il opérait juste à un autre niveau. Que ce soit le côté scientifique de sa préparation, le temps que tu voyais qu’il mettait pour ses speechs – je n’ai jamais vu quelqu’un donner des discours aussi inspirants – sa structure, ses exercices... C’était vraiment un environnement pro dans une ligue dont la saison dure trois mois. À ce moment, c’était vraiment frappant pour moi. Quand je suis déménagé de Québec à Montréal, bien des années plus tard, il est l’une des premières personnes que j’ai appelées. Je voulais lui demander si je pouvais le suivre afin de m’abreuver de son savoir. Le hasard a fait que son adjoint venait de le laisser en plan, il n’avait pas de remplaçant et c’est moi qui s’est retrouvé dans ce rôle. Philippe, même s’il n’était pas toujours au courant, c’est un gars avec qui j’ai vécu bien des moments importants dans ma vie.

Gaston Therrien : le caractère du Tigre

Même s’il ne m’a pas beaucoup fait jouer quand il m’a dirigé avec les Nordiques, Michel Bergeron est un homme qui m’a beaucoup inspiré. Il arrivait de Rosemont, comme moi, et ne parlait pas beaucoup l’anglais au départ. Il est arrivé à Québec dans un contexte difficile avec les Marc Tardif, Réal Cloutier, Serge Bernier. Mais il a fait son chemin. On m’a déjà dit que dans la vie, 98% des gens regardent la parade tandis que l’autre 2% est dans la parade. Si tu veux être dans la parade, tu dois jouer du coude. Michel l’a fait. Il a bousculé beaucoup de choses pour réussir et il a eu une belle carrière de dix ans dans la LNH, dont de belles années dans le marché new-yorkais. Quand je suis devenu entraîneur, après ma carrière de joueur, j’ai compris bien des choses sur la manière dont il m’avait traité. J’ai réalisé que dans le fond, il avait un travail à faire.

Jacques Demers est un autre fonceur. Je l’ai vu arriver à Fredericton, humilié, après avoir été congédié par les Nordiques. Ce n’était pas facile, mais il a rebondi et est devenu un très grand entraîneur.

Norman Flynn : une figure paternelle

Mon père est parti quand j’étais très jeune, ma mère était seule à la maison pour nous élever. On était une famille de dix enfants. À l’adolescence, le hockey était un défoulement pour moi. En Claude Therrien, j’ai trouvé une figure paternelle et l’homme qui allait véritablement m’ouvrir les portes du coaching.

J’ai joué pour Claude au niveau Midget AA à une époque où il n’existait pas un meilleur coach à St-Léonard. Vincent Damphousse a joué sous ses ordres. Pierre Turgeon aussi. Il m’a donné ma première chance en me confiant les rênes d’une équipe Pee-wee AA qu’il avait dû délaisser pour aller travailler dans le Midget AAA. J’ai dirigé deux ans à ce niveau, puis j’ai commencé à gravir les échelons. Je suis monté Bantam AA, puis Midget AAA avec Montréal-Bourassa. Claude et moi avons travaillé brièvement ensemble derrière le même banc, mais ça n’a pas duré. On était trop semblable. Trop de dynamite dans la même boîte. Ça n’a toutefois jamais affecté notre relation. Cet homme m’a tellement marqué qu’il a été garçon d’honneur à mon mariage.