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Là où l'Antichambre commence

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À RDS, l'Antichambre et le 5 à 7 se partagent le studio 31, au troisième étage. Mais la « vraie » antichambre, ce grand bureau vitré en coin, est au premier. Un endroit qui a toujours été beaucoup plus que neuf postes de travail, une grande table et cinq téléviseurs.

Le show, c'est ici qu'il commence. Anciens joueurs et entraîneurs, journalistes, ils passent tous nous voir. La plupart du temps, pour jaser, se préparer, se crinquer avant d'aller en ondes. Parfois, pour s'amuser, décompresser. Souvent, pour manger. Alain Crête, premier animateur de l'émission, vient encore y faire son tour. Puis, y'a ceux qui viennent pour s'obstiner. Le fun qu'on peut avoir à mettre de l'huile sur le feu, je vous dis pas. Tant que ça se fait avec respect, bien sûr. Eux l'ont jouée, la game. Et même s'ils n'en ont jouées que trois, ce sera toujours trois de plus que toi. Il faut aussi que les gars s'en gardent pour les caméras, tantôt...

Mario est toujours le premier sur place. Il ne ratera pas l'occasion d'accueillir quiconque se pointera après lui, sourire narquois accroché au visage; « Tu parles d'une heure pour arriver! » À ce moment, on est l'un de ses joueurs en retard à un entraînement en 96. Et pendant un instant, on se sent spécial de se faire engueuler par le Bleuet.

Jacques Demers, l'homme le plus généreux que j'ai eu la chance de côtoyer. Le coach entrait dans le bureau d'un pas assuré. Et là, il prenait des nouvelles. De tout le monde. Tout le temps. Comment va la famille? Ça va bien chez vous? Et après vous avoir fait sentir important, il lançait; « Pizza pour tout le monde à soir, je m'en occupe! » C'était alors le moment d'essayer de l'en dissuader. Mettons. « Jacques, t'as tout payé la dernière fois... ». Trop tard, le coach avait pris sa décision. On t'aime et on pense souvent à toi, Jacques. J'espère que tu le sais.

On est bien conscient du privilège que l'on a de faire ce métier. Le sport, au-delà d'être une formidable soupape individuelle, est un puissant véhicule de divertissement collectif. Divertir. Et se divertir. À ce sujet, Luc Bellemare s'est avéré un choix naturel après le départ de Stéphane Langdeau, en 2018. Luc, il faut toujours avoir l'esprit aiguisé avec lui. Tu ne veux pas être celui qui comprend une seconde en retard son douzième jeu de mots de la journée.

Je me souviens de PK, entré comme une tornade dans nos bureaux. De Guy Lafleur, plus grand que nature. D'un party de Noël avec Yvan Cournoyer qui s'est terminé aux petites heures. Mais peu de souvenirs ne restent aussi imprégnés que la visite du grand Vladislav Tretiak, en 2012.

Un peu avant sa venue au pays, on avait osé demander à l'ex-gardien de l'Armée Rouge s'il accepterait de recevoir les tirs de Cournoyer et de Paul Henderson, en ondes, dans notre studio. Tretiak, qui allait bientôt souffler 60 bougies, a accepté, presqu'à notre étonnement. Il est arrivé un peu tard ce soir-là, si bien que je n'ai pas eu le temps me présenter avant le début de l'émission. Après le premier segment, pause de 3 minutes. C'était le temps à ma disposition pour aider l'homme à enfiler l'équipement de gardien.

Je n'avais pas une seconde à perdre. « Bonjour M. Tretiak, je suis vraiment honoré de vous rencontrer, mais là j'ai besoin que vous vous penchiez immédiatement sur ces jambières! ». Avec l'enthousiasme d'une recrue, le gardien légendaire me répliqua « Oh yeah, sure! » et se jeta à plat ventre sur l'équipement. J'étais là, accroupi sur Tretiak, en train d'attacher les sangles de ses jambières comme j'attachais celles de mon meilleur chum avant de nous rendre à la patinoire du coin. Un moment qu'on n'oublie pas.

De grands athlètes nous ont impressionnés par leur humilité. Georges St-Pierre, qui a sorti ses ceintures de champion du monde d'un sac d'épicerie, avait pris le temps de serrer la main à tous les techniciens sur le plateau. « Moi, c'est Georges... ». Mikaël Kingsbury, l'invité qui s'est assis le plus souvent dans nos fauteuils, avait les mains pleines à son arrivée dans le stationnement de RDS. « Tiens, prends ça » dit-il en tendant deux globes de cristal à mon collègue Gabriel Bouchard. « Ah oui, j'ai failli oublier... » ajouta-t-il en ramassant en coup de vent sa médaille d'or olympique. Elle traînait là, dans le porte-gobelet de sa voiture. Le king des boss, aussi bon être humain que skieur.

Je ne crois pas qu'on puisse atteindre le plateau de 3000 émissions de télé sans être pertinent. Ou sans évoluer. Aujourd'hui, la technologie nous permet de téléporter un joueur du Canadien dans notre studio après les matchs. Via Facebook live, les fans peuvent maintenant participer aux débats. Et au cœur de notre équipe, l'ajout de premières de classe comme Andrée-Anne Barbeau et Manon Rhéaume a amené une touche qui manquait, dans le passé.

En 15 ans, le talk-show s'est aussi diversifié. Ne vous méprenez pas, on aime encore quand Mario tape du poing pour appuyer un joueur québécois, on aime encore quand ça brasse. Mais un soir venu, on peut aussi décortiquer un avantage numérique, analyser l'efficacité d'une organisation au repêchage durant la dernière décennie ou aborder la vente d'une équipe de la NFL.

Remercier chacune des personnes qui a œuvré au succès de l'Antichambre serait une entreprise périlleuse. Comme de tenter de nommer tous les joueurs qui ont porté l'uniforme du Canadien depuis 3 ans. Certains sont partis, d'autres sont arrivés. Mais cette ambiance de camaraderie, celle qu'on recherche tous quand la vie se prend un peu trop au sérieux, elle est encore là, 3000 fois plus tard, dans ce grand bureau vitré du premier étage.

Texte de Samuel Thibault, chef de pupitre de l'Antichambre