COVID-19 : Au pied de l'Everest, le coronavirus met les sherpas au chômage
Sports divers mercredi, 1 avr. 2020. 08:17 samedi, 14 déc. 2024. 16:07À cette période de l'année, Khumjung devrait grouiller d'alpinistes cheminant vers l'Everest. Mais avec la fermerture de la montagne en raison de la pandémie de coronavirus, la bourgade himalayenne est vide et les sherpas népalais ont perdu leur gagne-pain.
Comme de nombreux pays, le Népal s'est coupé du reste du monde pour freiner la propagation du virus et a interdit l'accès à ses illustres sommets enneigés, au moment même où la haute saison aurait dû battre son plein.
Dans les maisons au toit de pierre de Khumjung, situé à proximité du sentier menant au camp de base de l'Everest, les cordes et piolets sont restés rangés. Les échoppes, thés et auberges, normalement utilisés par les alpinistes s'acclimatant progressivement pour la cime de 8 848m, sont déserts.
Pour les guides et porteurs sherpas, l'annulation de la haute saison de l'Everest - de début avril à fin mai - représente une catastrophe économique. Travailler pendant cette période permet de nourrir leur famille pendant tout le reste de l'année.
« Avec l'annulation de la saison, personne n'a d'emploi. Des vols (d'avions et d'hélicoptères, ndlr) aux magasins en passant par les porteurs, il n'y a aucun travail », s'inquiète Pemba Galzen Sherpa, un guide qui a gravi 14 fois l'Everest.
Le camp de base abandonné, tous les travailleurs locaux qui y étaient déjà arrivés sont redescendus. Les mains vides, « out le monde rentre à la maison », s'attriste-t-il.
Situés en haut de la hiérarchie des travailleurs de la montagne, les guides gagnent normalement entre 5 000 et 10 000 dollars durant la saison. Mais ce sont les petites mains des expéditions, comme les porteurs ou les cuisiniers, qui risquent d'être le plus durement frappés.
« Ces gens n'ont aucune épargne ou contrat auquel les organisateurs d'expédition sont tenus », explique Damian Benegas, qui mène des cordées sur l'Everest depuis près de deux décennies.
Phurba Nyamgal Sherpa, qui gravit l'Everest et d'autres sommets népalais depuis l'âge de 17 ans, est préoccupé par l'avenir, comme les centaines de montagnards habituellement employés par les expéditions d'himalayistes.
« Nous n'allons pas sur les montagnes parce que nous le voulons, mais parce que c'est notre seule option pour travailler », dit à l'AFP ce Népalais de 31 ans, fils d'un gardien de troupeaux de yaks, qui vit à Khumjung avec sa femme et son filles de six ans.
Risques sanitaires
L'année dernière, l'Everest avait connu une année record avec 885 personnes montées au sommet, dont 644 depuis le côté népalais. La Chine a elle aussi fermé son accès au toit du monde cette année.
Au-delà des sherpas, l'absence de visiteurs étrangers affecte toute l'économie népalaise. Le tourisme représente 8% du PIB de ce pays pauvre d'Asie du Sud et y génère plus d'un million d'emplois, selon des chiffres du World Travel and Tourism Council.
Se remettant lentement du séisme dévastateur de 2015, le Népal espérait attirer le chiffre record de deux millions de touristes étrangers en 2020. Une ambition désormais remisée.
Malgré les difficultés engendrées par la situation, les résidents de la région de l'Everest approuvent la décision du gouvernement népalais d'interdire les touristes et de fermer ses montagnes.
« Ça nous a coûté nos emplois mais c'était la bonne décision à prendre », estime le célèbre montagnard Phurba Tashi Sherpa, 21 sommets de l'Everest à son palmarès.
Le risque de contamination est en effet réel. La saison de printemps voit passer des centaines de randonneurs et alpinistes par les village de la zone. Au camp de base, sportifs et employés népalais vivent dans la promiscuité de tentes.
Plus l'altitude monte, plus l'air se fait rare et la respiration difficile, ajoutant aux risques sanitaires si une épidémie de coronavirus éclate dans le pays.
Le Népal n'a jusqu'ici compté que cinq cas confirmés de coronavirus sur son territoire depuis le début de la pandémie, et aucun mort.
Mais le coronavirus ferait des ravages s'il arrivait jusqu'aux villages himalayens isolés. « À Khumjung, nous n'avons qu'un petit hôpital et pas assez de ressources. Imaginez si les gens commencent à tomber malades ici...», dit à l'AFP Phurba Tashi Sherpa.
Pour sa part, le guide Phurba Nyamgal Sherpa s'alarme: « si la maladie arrive, même l'argent n'y peut rien. Les gens meurent même dans les pays développés, alors qu'est-ce qu'il nous arriverait au Népal ? »