Par Éric Leblanc - L'histoire de Jonathan Duhamel est loin d'être banale. Au terme d'une bataille de huit jours durant laquelle il a même fait fondre en larmes un rival, le Québécois de 22 ans a dominé ses 7318 adversaires pour se hisser au sommet des Séries mondiales de poker et il pourrait devenir le premier Canadien à remporter la compétition la plus prestigieuse de cette discipline.

Duhamel a traversé avec brio un parcours d'obstacles pour se forger un véritable Mont Everest de près de 66 millions (65 975 000) de jetons dans cette épreuve très exigeante mentalement.

Grâce à ce résultat, Duhamel s'est assuré d'être le meneur au niveau des jetons lorsque les neuf participants ayant obtenu leur siège à la table finale amorceront les hostilités le 6 novembre, après une pause de quatre mois, pour obtenir le bracelet le plus convoité et surtout la cagnotte de 8 944 138$ remise au gagnant.

Même si la tâche s'annonce colossale, le Québécois ne s'en cache pas, il a un seul objectif dans sa mire : la victoire.

«Je serai content peu importe la position que je termine, mais j'ai un seul but et c'est de terminer premier surtout que je suis le chip leader», avoue Duhamel en entrevue au RDS.ca. «Je sais que tous les autres adversaires sont bons et que ce sera difficile, mais je veux gagner et je vais tout faire pour y arriver.»

Les neuf finalistes de l'édition 2010 sont déjà assurés de toucher une récompense minimale de 811 823$, mais un triomphe de Duhamel couronnerait des Séries mondiales exceptionnelles pour le Québec.

Vincent Jacques a parti le bal avec une deuxième place dans un tournoi préliminaire impliquant 2092 participants et Pascal Lefrançois et Miguel Proulx ont enchaîné quelques jours plus tard en méritant chacun une victoire et un bracelet.

Au jeu des comparaisons, Jacques, Lefrançois et Proulx ont en quelque sorte gonflé le gâteau du Québec alors que Duhamel devient le crémage.

«C'est vraiment incroyable de voir le succès des Québécois comme Lefrançois, Proulx et Jacques. Mais pour être honnête ça me surprend que ce ne soit pas arrivé avant parce que je sais que le noyau de joueurs au Québec est très relevé», avance sans hésiter Duhamel qui pourrait devenir le troisième plus jeune champion des Séries mondiales.

D'ailleurs, celui qui a quitté les études pour devenir joueur professionnel de poker en 2008 apprécie grandement le fait d'être de retour à la maison.

«J'ai passé sept semaines à Las Vegas et j'avais très hâte de revenir chez moi pour revoir ma famille et mes amis. Je commençais à m'ennuyer et je voulais revenir pour profiter un peu de l'été au Québec. De plus, ça permet aussi de faire retomber légèrement la poussière», admet le talentueux joueur.

Après avoir été grandement sollicité à Las Vegas, Duhamel traverse maintenant le tourbillon médiatique québécois et il constate l'ampleur de sa performance.

«Je commence un peu à redescendre du nuage, mais j'ai encore de la difficulté à réaliser ce qui m'arrive. C'est assez incroyable et je vais avoir besoin de plus de temps pour y arriver», confie-t-il avec une voix teintée d'étonnement.

La main inoubliable du tournoi!

Le chemin pour accéder à la table finale du tournoi regroupant les plus grands noms de la planète et un nombre impressionnant de 7319 participants n'est pas de tout repos sans oublier que la chance doit parfois être au rendez-vous lors de situations cruciales.

En fait, Duhamel représente l'exemple parfait de cette réalité car il a été au cœur de LA main des Séries mondiales 2010 jusqu'à maintenant. Le Québécois est le premier à admettre que l'élément chance a joué en sa faveur dans cette main qui suscite de nombreuses réactions et qui risque d'être un moment marquant lors des diffusions à ESPN et RDS.

Et personne n'est mieux placé que lui pour raconter ce point tournant contre Matt Affleck.

«C'est probablement la main que j'ai le plus mal jouée du tournoi et j'ai été chanceux. J'avais une paire de Valets et j'ai relancé de 550 000 jetons du cut off (position juste avant le dealer et il a effectué une relance supplémentaire à 1,55 million de la position de dealer

«À ce moment, étant donné qu'il est un très bon joueur, je me dis qu'il peut avoir beaucoup de mains et pas nécessairement une très bonne main dans cette position. De plus, il ne faut pas oublier que nous avions beaucoup de jetons donc je me disais que ma paire de Valets devait être la meilleure main donc j'ai décidé de relancer une autre fois à 3,925 millions et il a égalé.»

«À ce moment, je me disais qu'il n'avait pas une paire d'As ou de Rois car il aurait relancé encore. Je le mettais donc plus sur une paire moyenne ou AK par exemple.»

«Le flop vient 7, 9, 10 de sortes différentes. Étant donné que j'avais été surpris quand il a égalé avant le flop, je décide de checker. Il mise ensuite 5 millions, un montant que je trouvais qui ne faisait pas trop de sens. Tu voyais qu'il y avait quelque chose de louche donc j'ai commencé à me dire qu'avec un flop de 7,9,10 il pouvait avoir un brelan ou rien comme AK.»

«J'ai donc égalé et une Dame est apparue sur le tournant ce qui augmentait mes chances de séquence. J'espérais checker jusqu'à la fin car le pot était déjà très gros donc j'ai checké et il a poussé all-in avec un montant de 11,5 millions dans un pot de 20 millions donc ça me coûtait 11,5 millions ce qui faisait monter à 31 millions la cagnotte.»

«J'avais donc de bonnes probabilités pour égaler et je pensais que je pouvais avoir la meilleure main, mais ma lecture était complètement mauvaise. Il avait un paire d'As! Je ne m'attendais pas à cela et j'ai été chanceux de voir le 8 sortir sur la rivière pour me donner la séquence! »

«Étant donné que nous étions seulement deux tables à ce moment, il y avait environ quelques centaines de spectateurs et c'était devenu de loin la plus grosse main du tournoi donc tout le monde regardait. Quand il a montré ses cartes, c'était lui le favori et quand la rivière est tombée, on a entendu un gros «ohhhh» de stupéfaction dans la salle.»

Son adversaire (qu'on voit serrer la main à Duhamel) a difficilement encaissé cette élimination et il est resté sous le choc pendant plusieurs secondes et il tentait de dissimuler ses larmes avec ses mains.



«J'ai vraiment été chanceux au bon moment pour devenir le meneur et j'ai gardé cette position», ajoute Duhamel.

Lefrançois rate la table finale de si peu…

La présence de Duhamel à la table finale représente déjà un accomplissement exceptionnel, mais il s'en est fallu de peu pour qu'un deuxième Québécois, Pascal Lefrançois, mérite ce privilège.

Lefrançois, un bon ami de Duhamel, a cependant été victime d'un terrible timing pour pousser all-in. Se sentant coincé par une relance de Joseph Cheong sur une table à cinq joueurs, Lefrançois a poussé tous ses jetons avec Valet et Dame de pique, mais Cheong l'attendait avec une paire de Rois…

Le tournoi de Lefrançois a donc pris fin avec une 11e position et il risque de se faire taquiner pour ce risque, mais son jeu tenait la route selon Duhamel.

«Je jouais à la même table que lui et elle était vraiment difficile. Tous les joueurs avaient beaucoup de jetons donc il fallait tenter des gros bluff pour gagner des mains et personne n'abandonnait ses jetons facilement. La plupart du temps Joseph Cheong n'avait pas de jeu et ça arrive souvent de relancer sur le petit blind sans avoir une bonne main, mais le timing n'était malheureusement pas le meilleur…»

«C'est dommage parce que ç'aurait été incroyable de retrouver deux Québécois à la table finale et c'était difficile de ne pas en parler vers la fin. On se voyait déjà retourner en novembre ensemble et peut-être se retrouver en finale un contre un!», raconte Duhamel qui ne se considère pas aussi agressif que plusieurs le prétendent.

Du repos et étudier ses adversaires

Le joueur originaire de Boucherville a commencé à croire en ses chances d'atteindre la table finale au terme d'une journée alors que 78 joueurs étaient toujours de la lutte.

«À ce moment, j'étais en 17e ou 18e position et je me souviens que j'ai eu de la difficulté à dormir et j'ai commencé à visualiser de me voir à la table finale. Je savais que c'était loin d'être fait, mais que c'était possible. Nous étions descendus à 27 le lendemain et j'étais en très bonne position et ça s'est concrétisé presque tout seul lors de la dernière journée», indique Duhamel qui identifie Lefrançois et Phil Galfond comme les deux joueurs les plus redoutables qu'il a affrontés dans ce tournoi.

Après ce marathon de poker, les 9 finalistes profitent d'un repos qui leur permettra d'arriver à l'étape ultime avec une préparation supplémentaire.

«Pour le prochain mois, je vais relaxer et laisser retomber la poussière, mais ensuite je vais étudier le style précis de chaque joueur et tenter de trouver des indices sur chacun. Finalement, je vais jouer pour que mon jeu reste à son meilleur niveau avant de retourner là-bas», dévoile-t-il.

La table finale sera composée de six Américains, deux Canadiens et un Italien. Parmi eux, Michael Mizrachi retient particulièrement l'attention. Ce pro a d'ailleurs remporté le championnat des professionnels qui regroupait la majorité des plus gros noms du poker en ouverture des Séries mondiales.

Malgré tout, Mizrachi n'est pas celui qui effraie le plus Duhamel.

«J'opterais plutôt pour Joseph Cheong (23,5 millions) et je suis très content qu'il ait perdu la moitié de ses jetons vers la fin car il était très coriace quand j'ai dû l'affronter. C'est évident que Mizrachi est très bon, il est reconnu mondialement, mais Joseph ne donne pas sa place», souligne Duhamel.

Des retombées importantes à prévoir

Avant d'amorcer les Séries mondiales, Duhamel avait été en mesure d'obtenir une commandite de Pokerstars uniquement pour ce tournoi et cette collaboration prendra sans doute de l'ampleur sous peu.

«Les gens de Pokerstars m'ont dit qu'on allait se reparler et nous allons discuter. Pour le moment, je ne sais pas encore ce qu'ils vont me proposer, mais j'aurai sûrement la chance de participer à des tournois internationaux et cette entente risque de varier selon mon résultat final», analyse celui qui étudiait à l'UQAM.

Quand il a cessé ses études en administration en 2008 pour se concentrer sur sa passion, Duhamel n'avait pas réussi à convaincre ses parents du bien-fondé de sa décision, mais la situation a évidemment changé depuis.

«Ils ont commencé à me faire confiance depuis au moins un an et ils sont très contents (de son dernier résultat). Je pense que tous les parents auraient douté dans un tel contexte, mais je voulais aussi aller de l'avant parce que j'adore voyager», conclut Duhamel qui n'a pas encore eu le temps de songer à ses futurs projets.

*Un remerciement spécial à Princepoker qui couvre les activités des joueurs québécois de poker