Je crois qu’il faille écrire naguère parce que l’histoire commence il y a plus de 100 ans à Montréal. C’est le tournant du siècle. À cette époque, George Kendall veut créer la plus grande ferme des Amériques. Elle sera si grande, si belle, si dominante qu’ils viendront de partout en Amérique et même des Vieux Pays pour admirer son savoir. « Oui, cette ferme va faire l’envie de tous. Les bêtes seront les meilleures, les plus fortes et les plus vigoureuses. »

À la sueur de son front et avec de la bonne vieille huile de bras, le travail acharné mène au succès. Seulement six ans après sa création, la ferme de Montréal est sacrée championne du continent. Déjà, le travail de ce Montréalais fort dévoué est reconnu. Cependant, l’année suivante, une grave maladie s’abat sur le bétail et malheureusement, la grande foire du printemps suivant est annulée.

La ferme récoltera encore quelques honneurs mais les années 30 seront noires en raison de la crise économique. Après la fin de cette terrible récession, début des années 40, la ferme reprend peu à peu ses lettres de noblesse. Dirigé par un intendant à la main de fer, les meilleurs agriculteurs des environs cèdent leurs meilleures bêtes. Montréal est perçue comme le centre de l’univers agricole. Montréal, meilleure que les grandes fermes du Boston, du Chicago, du Detroit, du New York et surtout du Toronto, une ferme toujours détestée dans notre métropole.

C’est finalement à la fin des années 50 lorsque monsieur « Hale » s’en porte acquéreur que la ferme trônera cinq fois au sommet de toutes les foires des Amériques. Le rêve amorcé quatre décennies plus tôt atteint enfin son apogée. Tous voudront s’associer à cette belle histoire, à cette philosophie gagnante. Au Québec, la ferme s’arroge le droit de sélectionner les deux meilleures bêtes, coupant l’herbe sous le pied de la concurrence. C’est aussi à cette époque que l’on crée le symbole du flambeau que chaque intendant s’assure de porter bien haut. Pendant vingt ans encore, la ferme fera parler d’elle à travers le monde.

Flairant la bonne occasion, d’autres fermes vont s’ajouter à partir de la fin des années 60. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que les problèmes vont commencer à prendre forme. La faiblesse du dollar canadien va aggraver les difficultés financières de la ferme qui se dégrade peu à peu. Quelques soubresauts, quelques victoires vont venir aplanir une situation inévitable; les autres fermes prennent du galon, au désarroi de la population montréalaise.

Les années suivantes seront faites de changements. De nouvelles bêtes, de nouveaux intendants, remplacés aussi vite qu’ils étaient venus. De mauvais choix à tous les niveaux font plonger la renommée de l’entreprise.

Par une fin d’après-midi tristounette, le dernier intendant prit son meilleur cheval et décida de quitter pour explorer de nouveaux pâturages. Portant fièrement le flambeau qui devenait de plus en plus lourd, il s’enfonça dans les bois. Par un début de soirée d’automne, il fut attaqué par une panthère. La bataille fut serrée mais la panthère porta le coup fatal. L’intendant fut désarçonné.

On retrouva son corps quelques jours plus tard. Le flambeau était à ses côtés et une faible flamme scintillait encore. Une flamme que le dernier souffle du mourant n’avait pas encore tout à fait éteinte.

Ah, Langdeau, la ferme…

Stéphane Langdeau

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