La ligne à gaz
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 23:40 lundi, 5 sept. 2011. 21:56Comme chaque année à la même date, les vacances s’achèvent. Je pourrais vous entretenir pendant plusieurs heures de mes pérégrinations estivales mais je m’attarderai sur un sujet en particulier ; la pêche.
Pour lancer les vacances et oublier tous les tracas de la dernière année, il n’y a rien de mieux que de se retrouver dans la nature avec un groupe d’amis et d’aller taquiner la truite. L’histoire qui suit est vraie et les acteurs sont réels.
Nous étions sept mercenaires pour attaquer la réserve Mastigouche par l’entrée Bouteille en direction de notre sanctuaire où tout appareil électronique pouvant nous permettre d’entrer en contact avec le monde extérieur est proscrit. Il faut dire aussi qu’aucun signal n’arrive à percée les denses forêts de cette réserve de la SÉPAQ. Pour moi, c’est le bonheur ; enfin on peut parler avec quelqu’un sans que ce dernier ait les yeux rivés sur son « Black » ou son « I Phone ». Le retour au bon vieux temps quoi où la conversation n’est pas interrompue par un « excuse-moi, j’ai un message ».
Nous étions donc sept ; les frères Richard, Patrick et Stéphane, deux boute-en-train qui fument des cigarettes indiennes dont l’odeur exécrable chasse les moustiques un kilomètre à la ronde. Il y avait aussi Jean, chef cuisinier de plusieurs grands hôtels et maintenant à la retraite. Avec lui, impossible de crever de faim. Jean peut nous cuisiner une salade d’épines de pin dont les Dieux de l’Olympe raffoleraient. Il prépare aussi des pâtes à la chaîne de poisson à couper le souffle.
Philippe était également avec nous. Il est le parfait coureur des bois. Toujours pleins de petits projets, en voilà un autre qui ne mourra pas de faim. Philippe mange des vers de terre, même les plus pourris achetés dans un village avant notre entrée dans la réserve. Si vous doutez de mes propos, sachez que nous avons une vidéo à l’appui.
Dans ce groupe sélect, on retrouvait aussi les deux propriétaires de Promédia, Christian et François. Christian jouait le rôle du handicapé. Il devenait donc un fardeau mais comme il est notre « chum », il nous incombait de rendre son séjour agréable. En fait, handicapé est un bien grand mot. Christian souffrait de douleurs à une jambe mais dans les bois, la loi du plus fort s’applique et la nature avale les faibles ou les blessés. Nous avions donc un devoir de protection. François, lui avait besoin de vacances. Il mène trois emplois de front et habite au diable vauvert. Quoi de mieux pour lui… que de s’éloigner…du boulot.
Enfin, votre humble serviteur faisait également parti de ce groupe hétéroclite.
Depuis près de dix ans, notre voyage d’agrément est également une compétition. Celui qui attrape la plus longue truite se voit attribuer le « Vévart », un magnifique trophée dont le nom est tiré d’une superbe peinture d’un artiste vraiment méconnu. J’ai vu un jour une toile similaire dans la populaire émission américaine « The antique roadshow ».
Ceux qui me connaissent savent que j’ignore tout de la mécanique. À peine puis-je mettre de l’essence dans le réservoir de ma voiture et encore j’ai découvert récemment que sur le tableau de bord de mon véhicule, il y avait une flèche indiquant de quel côté se trouve le dit réservoir. Vous le voyez, je pars de loin mais je n’ai aucun intérêt pour la chose.
Le paragraphe ci-dessus est révélateur de la suite puisque, Philippe, le mangeur de vers, Stéphane, le boute-en-train et moi-même allions pêcher ce jour-là, très loin, sur un gros lac où un moteur à gaz est une chose essentielle.
Après quarante minutes de camion sur une route cahoteuse et tortueuse et une vingtaine de minutes de portage dans une forêt dense, nous sommes arrivés à destination.
La journée s’annonçait parfaite. Philippe, le coureur des bois, mangeur de vers était à la barre de notre embarcation. Enfin, le toussotement du moteur donnait le signal à cette splendide journée durant laquelle on allait couronner le champion de l’édition 2011 du Vévart.
Soudain, le moteur se mis à tressauter avant de stopper net. Impossible de le repartir malgré toutes les tentatives de nos deux experts qui se perdaient en conjectures devant cet appareil rempli d’essence. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, c’est donc à la rame que notre aventure allait se poursuivre. Nous avions trouvé un endroit rêvé, oui au loin, près d’une souche et d’un amoncellement de roches qui découpaient la surface de l’eau. Assurément, toutes les truites du lac devaient s’y trouver.
Les heures passèrent et même si nous n’avions pas encore épinglé le trophée, le soleil, le vent, l’eau et l’amitié qui nous unissaient suffisaient à nous rendre heureux. Nous avons donc obtenu nos quotas de sept poissons par pêcheur vers 16 heures. Il fallait rentrer et mettre un terme à cette idyllique journée qui aurait pu être gâchée par ce moteur récalcitrant.
Philippe indiqua l’endroit par où nous étions arrivés. Ce n’est qu’après vingt minutes de rame que l’on se rendit compte que nous n’étions pas au bon endroit. Sur ce grand lac, devenu gigantesque, nous étions perdus et éreintés. Tout à coup, la journée prenait des allures de cauchemar. Voici de mémoire la conversation à bord de la chaloupe.
Philippe : On est entré dans une baie, près d’une roche avec une souche à côté.
Stéphane : Ben, bâtard, y’a juste ça, des roches pis des souches.
Moi : Les gars, je suis écoeuré de ramer. Décidez-vous !
Stéphane : On va aller par là, je suis sûr que c’est dans l’autre baie.
Philippe : De toute façon, on est pas pour rester icitte.
Moi : Par où là qu’on rame?
Vingt minutes plus tard.
Philippe : C’est pas la bonne baie.
Stéphane : Cr… %$ » !*+
Philippe : On est entré par le nord.
Moi : Y’é où le nord ?
Stéphane : Bon, O.K. par là, c’est la prochaine baie.
Moi : Ça vous tentent pas d’essayer le moteur.
Philippe : Qu’est-ce que tu comprends pas dans « Ça marche pas »
30 minutes plus tard.
Stéphane : D’après moi, on doit retourner au milieu du lac, jusqu’ à l’île.
Philippe : Bonne idée mais de quel bord de l’île.
Moi : C’est loin le milieu lac à la rame. Êtes-vous sûr ?
Stéphane : J’ai pas d’autres idées.
Moi : On peut essayer le moteur.
Philippe : Veux-tu ben ramer !
Une heure plus tard.
Philippe : Là, si c’est pas icitte, on accoste, on fait un feu pis y viendront nous chercher.
Stéphane : Moi, si c’est pas icitte, je me mets en boule dans le fond de la chaloupe pis je braille.
Moi : Au moins, on peut manger du poisson mais essayes le moteur une dernière fois.
Stéphane : Ouain.
Philippe : Pensez-vous que je fais exprès ?
Après deux heures de rame, après avoir fait le tour complet du lac et alors que les rayons du soleil commençaient à s’évanouir, nous sommes enfin arrivés à destination. Effectivement, le quai de fortune était tout près d’une souche et d’une roche. Nous étions sauvés.
Nous avons donc ré emballer le matériel, les truites en plus et fait le chemin inverse avec le foutu moteur sur le dos. Une fois au camion, disons que la bière était plutôt bonne et revigorante après tant d’efforts.
C’est dans le camion qui nous ramenait au camp que Philippe et Stéphane furent traversés par un éclair de génie. Et oui, la ligne à gaz. Mes amis qui connaissent la mécanique avaient oublié qu’avec ce genre de moteur, il faut ouvrir une ligne à gaz, un terme dont je n’avais jamais entendu parler, grand ignare que je suis.
Donc, au beau milieu d’un sentier cahoteux, devant la lune qui pointait son nez ainsi qu’une maman ours et ses deux rejetons, mes copains ont sorti le moteur du véhicule pour vérifier leur théorie. En ouvrant la ligne à gaz, le moteur s’est mis en marche du premier coup.
Nous allions devoir expliquer au garde-pêche comment nous avions passé la journée sur un lac avec un moteur sans même utiliser une seule goutte d’essence ? Il faut être futé. Pour le reste du voyage, nous avons donc été la risée du groupe. Cette histoire est vraie. Elle s’est déroulée le 25 juin dernier et croyez-moi, ce soir là, nous avons célébré Noël, six mois avant le reste du monde. Encore là, nous avons des photos à l’appui.
Stéphane Langdeau
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