MONTRÉAL – L’univers sportif professionnel essaie de compléter, pièce par pièce, le casse-tête de la relance de ses activités. Les négociations sont déjà complexes dans ce milieu lucratif et le facteur de la pandémie rehausse le niveau de difficulté, mais il y a trop d’argent impliqué pour que les parties jettent l’éponge et rangent la boîte au placard. 

Que ce soit la LNH, la NFL, la NBA, le Baseball majeur, la MLS ou la LCF, le défi demeure de taille et il est composé de variables différentes pour chaque entité. On a donc tenté d’y voir un peu plus clair avec un spécialiste de ces enjeux. 

« Il y a une chose certaine, et il faut le dire d’entrée de jeu, le monde du sport professionnel répond à ses propres critères si on peut dire. C’est un monde en soi. Des choses s’y font comme dans d’autres secteurs privés ou publics, mais ça reste un milieu très particulier », a d’abord avoué l’avocat Carl Lessard, associé au sein du groupe droit du travail et de l’emploi du cabinet Lavery Avocats.

Particulier, ça ne fait aucun doute. Ça se confirme aussi par le fait que les ligues sportives professionnelles doivent trouver une solution.  

« Elles n’ont pas le choix de s’entendre parce que tout le monde va y perdre au final si ce n’est pas le cas. [...] Tout le monde a, ultimement, un avantage à trouver une entente », a convenu Me Lessard.

Habituellement, la convention collective s’avère la référence, mais les compromis seront à l’ordre du jour. 

« Les engagements pris via les conventions collectives, on ne pourra peut-être pas tous les respecter. Après tout, les engagements avaient été élaborés dans un contexte que les activités se déroulaient normalement », a-t-il précisé. 

« On voit que la MLS a réglé mercredi avec des réductions salariales. Personne n’est parfaitement content, mais tout le monde y trouve son compte. Le hockey, ils sont en train de discuter d’un protocole de reprise même si une convention collective est en vigueur. Le baseball, c’est le baseball, ç’a toujours été compliqué dans le sens qu’ils n’ont pas les mêmes règles sans la présence d’un plafond salarial comme on le voit ailleurs. Historiquement, ça joue toujours dur au baseball, on n’a qu’à penser à l’époque de George Steinbrenner avec les Yankees », a poursuivi Me Lessard pour appuyer son point. 

Le contexte unique incitera plusieurs athlètes à exprimer des craintes ou des désaccords. Souvent, ce sera légitime, mais ça ne veut pas dire que l’opinion publique se rangera derrière eux. Ce ne sont pas tous les partisans qui voudront les appuyer considérant l’ampleur de leurs revenus. 

Alphonso Davies« Tout ça pour dire que c’est un équilibre fragile alors que tout le monde essaie de sauver sa mise. Il faut arriver à une entente pour que le sport soit sauvé et que les activités reprennent », a cerné Me Lessard qui cite l’exemple du soccer allemand dont la relance, sans spectateur, permet aux équipes de toucher les lucratifs droits télévisuels sans que le spectacle soit aussi satisfaisant. 

Ce n’est pas pour rien que la LNH redouble d’ardeur pour trouver l’option la plus acceptable. Les joueurs accusent même une dette envers les propriétaires puisqu’ils ont déjà été rémunérés selon des revenus anticipés avant le choc de la pandémie.  

« Le hockey est peut-être le sport le plus dépendant des revenus des billets. Ils ont payé les joueurs pour une partie de saison qui n’a pas été jouée. Les proprios poussent pour la reprise en disant ‘Venez jouer pour l’argent versé’ », a constaté l’avocat. 

Invoquer une clause de force majeure? 

Considérant que des milliards sont en jeu sur la scène sportive, est-ce que le recours à une clause de force majeure se dessine pour obliger les joueurs à renouer avec l’action pour éviter des dommages majeurs? 

Me Lessard déduit que de telles clauses existent dans les conventions collectives sportives, mais il ajoute une précision importante. 

« En tant qu’avocat en droit du travail au Québec pendant cette pandémie, il y a eu une période pendant laquelle neuf questions sur dix étaient ‘Peut-on invoquer la force majeure pour ne pas avoir à payer ça, ça et ça?’ Ce qu’il faut retenir sur la force majeure, c’est qu’on ne peut pas l’utiliser à toutes les sauces. Ça répond à des critères très précis », a-t-il souligné.  

« Peut-être qu’une force majeure pouvait se justifier au début de la pandémie dans certains cas. Mais, quatre mois plus tard, je ne suis pas certain que ça se justifie. Ça prend une imprévisibilité, mais on sait de plus en plus que ça existe (le contexte de la pandémie) », a ajouté Me Lessard. 

La prudence sera aussi de mise par rapport à la sécurité des joueurs. 

« Je ne pense pas que les propriétaires puissent forcer les joueurs. Chaque équipe professionnelle, comme n’importe quel citoyen, est tenue de respecter les règles sanitaires. Les équipes ne peuvent pas obliger systématiquement, sans réflexion, à ce que les joueurs reviennent. Bref, les propriétaires ne pourront pas dire ‘On se fout de ce qui se passe, on veut revenir et c’est tout’. Ils ne le feront pas non plus parce qu’ils vont s’attirer la foudre des autorités gouvernementales. Les joueurs vont dire ‘Une minute, on ne retournera pas dans la gueule du loup, ce n’est pas vrai’ », a-t-il réagi au sujet d’une directive pour imposer un retour aux athlètes. 

À cet égard, les joueurs auront leur mot à dire pour la suite des choses. Ils n’auront pas à se fier uniquement au dirigeant de leur association. 

Les syndicats, les associations des joueurs doivent composer avec les demandes de leurs membres qui sont variées à tous égards. Ce n’est pas toujours évident de trouver un consensus. Certains représentants des équipes parlent plus fort que d’autres, ils prennent plus de place. Des joueurs ont plus d’influence aussi. Prenons l’exemple de LeBron James, s’il parle publiquement, il va se faire écouter à mon avis. Les grandes vedettes de chaque sport vont se faire écouter. 

« Les syndicats qui font bien leur travail n’ont pas le choix d’écouter les demandes, les conseils et les revendications de leurs joueurs. Ils doivent juste en dégager une plate-forme commune et c’est leur grand défi. Dans le monde du sport professionnel, il y a des joueurs qui mettent leur pied à terre et le syndicat n’a pas trop le choix d’écouter. Ce ne sont pas des ouvriers avec un petit salaire et je ne le dis pas de manière péjorative. Souvent, ils font plus d’argent que leur représentant syndical. Je pense qu’ils ont encore leur mot à dire », a maintenu Me Lessard en rappelant que les egos sont gros dans le monde sportif. 

La partie ne sera pas facile à gagner considérant que les propriétaires ne disposent pas tous de la même richesse et que les joueurs touchent des salaires très variés. L’intérêt – financier à tout le moins – diffère donc les nombreux acteurs à rallier. 

« Oui, il y a de la business là-dedans, mais des athlètes veulent reprendre l’activité sportive et ils veulent jouer de nouveau. Ça leur manque même ça s’inscrit, bien sûr, dans un contexte dans lequel il y a beaucoup d’argent en jeu », a-t-il conclu avec une note optimiste.