Nous sommes en octobre 1974, j‘ai dix ans. Ce soir, un samedi soir, le Canadien joue à 20 heures. Après l‘émission “Le monde merveilleux de Disney”, ce sera Guy Lafleur qui sautera sur la patinoire du Forum.

Comme tous les samedis de hockey, ma mère est assise dans son fauteuil. Mon père s‘installe sur le tapis, s‘étend de tout son long par terre pour s‘approcher davantage du téléviseur noir et blanc. Il appuie son coude sur le tapis, sa tête au creux de sa main. Moi, je m‘installe confortablement, assis contre mon père, m‘appuyant sur son ventre.

Et là, le spectacle commence. Guy Lafleur est le nouveau héros de la Sainte Flanelle, le digne successeur de Maurice Richard qui a pris sa retraite avant ma naissance et de Jean Béliveau que j‘ai vu jouer en fin de carrière et dont le 500e but est encore frais à ma mémoire. À chaque pause, mon père me raconte l‘histoire du Canadien, ses propres souvenirs, embellis avec les années, mais qui me font tout de même écarquiller les yeux.

Mais moi, mon héros, c‘est Lafleur. je l‘observe, les cheveux au vent volant à l‘aile droite et décochant un tir frappé vif et puissant que les gardiens adverses ont peine à voir. La deuxième période commence et la fatigue s‘empare de moi. Je fais tout pour garder mes yeux ouverts. Je sombre finalement dans mes rêves où je deviens son coéquipier. Ensemble, nous remportons la coupe Stanley.

Guy est mon héros. J‘aimerais le garder pour moi seul, mais tous les enfants de ma rue portent fièrement, eux aussi, le numéro 10. En fait, le conte “Le chandail de hockey”, de Roch Carrier vit toujours. C‘est le numéro du chandail qui a changé.

J‘ai dix ans et pendant la prochaine décennie, mon idole m‘en fera voir de toutes les couleurs.

Je vous fait grâce de tous ses records. Ils sont écrits à l‘encre indélébile dans les livres de hockey et dans nos mémoires.

Mon coeur a saigné lorsque le Canadien l‘a laissé tomber en 1984. J‘étais alors un adulte, mais je pleurais de voir ce grand joueur, abandonné par une si grande organisation.

Les années ont passé et je suis devenu journaliste. En novembre 1988, Guy est revenu au jeu avec les Rangers de New York, dirigés par Michel Bergeron. Je travaillais alors à Winnipeg. Ce soir là, les Jets accueillaient les Rangers. En ce 29 novembre, j‘étais d‘office à la couverture de la rencontre, mais ma réalisatrice m‘avait donné une mission additionnelle, celle de faire signer des cartes de Noël à Lafleur au profit des enfants malades de l‘hôpital de St-Boniface.

Ce soir là, Guy Lafleur a compté deux buts et a obtenu un tir de pénalité qu‘il a raté. Sur la galerie de presse, j‘étais en sueur, comme si c‘était moi qui jouait à la place de mon héros. Les Rangers ont gagné 4 à 3 et pour la première fois de ma vie, j‘étais heureux de voir l‘équipe de Michel Bergeron gagner.

Dans le vestiaire après la rencontre, je me suis avancé, timidement. Après l‘entrevue durant laquelle il exultait, je lui ai demandé de signer mes cartes de souhaits, ce qu‘il a fait avec la plus grande joie. Guy était aux oiseaux et moi, au septième ciel.

Mes idoles seront toujours mes parents, mais mon héros sportif, c‘est TI-GUY.

Stéphane Langdeau

Ce soir, l‘Antichambre reçoit mon héros. J‘ai aujourd‘hui 45 ans et d‘écrire ces lignes à propos de Lafleur me donne encore des frissons.

Soyons journaliste maintenant. Lafleur parlera du Canadien, du retour possible du hockey de la Ligue nationale à Québec et des joueurs francophones.

C‘est un rendez-vous. Chose certaine, moi, j‘y serai.