* Cette série d'articles sur l'alpinisme est présentée en partenariat avec Jeep ®

Le toit du monde est à l’image de la planète : jonché de détritus. À qui la « faute »? Et, surtout, quelles sont les solutions pour minimiser l’impact des expéditions commerciales sur la montagne?

La chose peut sembler outrageusement paradoxale : l’un des écosystèmes les plus difficiles à atteindre sur Terre serait devenu, en l’espace d’une quinzaine d’années, un incroyable dépotoir. Avec 700 alpinistes qui se mesurent à l’Everest chaque saison de grimpe (de mars à mai), les déchets abandonnés sur les flancs de la montagne sont considérables. La forte croissance du nombre des expéditions commerciales est un facteur aggravant, jumelé au fait que, passé le camp de base, à 5300 m, les déchets – et les toilettes improvisées – gèlent durant plusieurs mois. Aux premiers réchauffements printaniers, tout cela finit par dégeler et occasionner des foyers d’infection. Les populations montagnardes qui vivent à proximité sont les premières victimes de ces contaminants drainés par la fonte des neiges.

Pourtant, le Sans trace (Leave no trace) existe bel et bien depuis une vingtaine d’années et semble assez bien intégré chez la plupart des pleinairistes purs et durs. Né aux États-Unis, en réaction à la dégradation des parcs nationaux américains, le Sans trace est une école de pensée en plein air, suggérant à ses utilisateurs de rapporter de la nature tout ce qu’ils y apportent : déchets de table, équipement et même toilette personnelle. Sept préceptes tracent une irréprochable ligne de conduite que le pleinairste se doit d’appliquer durant la préparation et le déroulement de son expérience en pleine nature. Globalement, les principes sont les suivants : prévoir des déchets minimums, ne faire aucun prélèvement (flore, faune), camper dans les endroits désignés, faire un feu que s’il est autorisé, minimiser son impact dans le milieu, ne pas troubler la faune sauvage et, enfin, respecter la quiétude des lieux. Tout le monde a droit à sa part de tranquillité dans l’« espace sauvage ».

La force de ce mouvement, c’est qu’il est plus incitatif que coercitif, misant son impact auprès du public par l’autoresponsabilisation plutôt que par la répression. Et ça marche! Aux États-Unis, l’effet du Leave no trace a porté fruit. Au Québec, tous les guides en tourisme d’aventure qui ont suivi une formation professionnelle en sont des adeptes fervents. À leur tour, ils sont en mesure de sensibiliser leurs clients à cette pratique responsable du plein air.

Alors comment se fait-il que les pleinairistes « sérieux » qui se mesurent à la plus haute montagne du monde défient si manifestement les lois du Sans trace? L’une des raisons tient au fait qu’à pareille altitude, chaque gramme peut faire la différence. Une bouteille d’oxygène (couramment utilisée sur les flancs de l’Everest) pèse environ 5 kg, assez pour dissuader un grimpeur au bout de ses forces de la rapporter sur son dos une fois vidée et, donc, inutile. Quant à rapporter ses propres déjections, cela peut sembler très rebutant pour la plupart des gens – et avec raison. Mais le système des toilettes portatives existe et il permet d’envisager plus sereinement la chose. Cela revient, au sens propre du terme, à ne laisser, de son passage, que l’empreinte de ses pas.

Dans les campements de l’Everest, la situation est suffisamment alarmante pour que l’association népalaise de la montagne se mette à actionner la sonnette d’alarme. C’est ce qu’elle a fait l’année dernière en imposant une mesure drastique : chaque postulant à l’Everest se doit de rapporter 8 kg de déchets (toilettes incluses) à son retour de la montagne pour pouvoir récupérer une caution préalablement payée, d’un montant de 4000$. Si les 8 kg n’y sont pas, le grimpeur perd sa caution.

Certaines agences de trekking internationales, sensibles à la question, commencent à « éduquer » leurs clients en les invitant à poser des gestes individuels pour réduire leur impact sur l’environnement. Des techniques de compactage des déchets, notamment, sont enseignées pour minimiser leur volume dans un sac à dos. L’association népalaise de la montagne se montre de plus en plus exigeante sur les mesures à imposer aux grimpeurs du monde, mais le gouvernement répugne à renforcer ces moyens, craignant de perdre ainsi pas mal d’aspirants à l’Everest et les retombées financières qui en découlent. Car c’est le tourisme de montagne qui constitue la plus importante source de revenus dans l’économie népalaise.

Les expéditions de nettoyage y sont d’ailleurs devenues monnaie courante. Chaque année, celles-ci sont organisées par les sherpas pour rapporter des sacs de poubelles et autres équipements abandonnés. « Détail » macabre : ce sont aussi les dépouilles de grimpeurs décédés sur la montagne que les Sherpas ramènent de ces expéditions.

D’ailleurs, l’Everest n’est pas la seule montagne du monde à souffrir des effets d’un regrettable excès d’affection. Les voies les plus fréquentées du Kilimandjaro et de l’Aconcagua, notamment, sont par endroits infectées des mêmes nuisances.

Un constat difficilement acceptable de la part d’adeptes qui se disent ouvertement des passionnés de nature en général et de montagne en particulier. Dans un monde idéal, ceux-ci devraient plutôt donner l’exemple en matière de comportement écoresponsable. Cela pourrait nous permettre de les mettre en application pour mieux gérer notre empreinte écologique globale. Avons-nous collectivement encore besoin d’une loi ou d’une règlementation pour édicter ce qui devrait être spontané? Car il y a quelque chose de choquant dans l’idée que l’Occident en quête de gloire sommitale reproduise en Asie ou en Afrique – ou la gestion des déchets est si complexe - les affres de comportements aussi inconséquents. Les professionnels du tourisme de nature (comprendre : les grandes agences de trekking d’Occident) ont certainement un rôle à jouer dans ce sens. Quand on applique le Sans trace à la règle, on ne se sent pas moins libre de jouer dans la nature. Bien au contraire : la liberté, ce n’est pas l’absence de contraintes, c’est la liberté de les choisir en adéquation avec ses valeurs profondes. On appelle ça le libre arbitre.