Un conte de Noël - première partie
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 17:18 lundi, 27 déc. 2010. 02:30Ses skis glissaient dans le sentier tracé effacé par endroits sous une fine poudreuse. Le vent se faufilait entre les sapins et soufflait à ses oreilles, mais n‘arrivait pas à éteindre sa colère. Jonathan enfonçait rageusement ses bâtons dans la neige, avançant sur la piste sans goûter à la féérie du paysage. Trois heures de conduite sur une chaussée glissante n‘avaient pu le calmer. La neige s‘était mise à tomber à son arrivée dans Charlevoix et il s‘en était fallu de peu pour qu‘il rate l‘entrée qui menait à la maison de son ami à Baie-Saint-Paul. Jean-Luc était en vacances dans le Sud et il lui avait laissé la clé de sa maison. Jonathan avait jugé que c‘était l‘instant tout choisi pour squatter sa demeure. Il avait besoin de s‘éloigner et de faire le vide.
Jusqu‘à la dernière minute, ses chances de faire l‘équipe qui allait représenter le circuit au tournoi international de hockey en Russie étaient très bonnes. Son excellent coup de patin, ses qualités indéniables de passeur et surtout sa capacité à marquer de partout sur la glace en faisaient un candidat de choix. Il croyait bien sa place assurée jusqu‘à ce que Sylvestre le fasse trébucher devant le but alors qu‘il allait tirer. Jonathan s‘était relevé aussitôt en jetant un regard du côté de l‘arbitre, mais celui-ci laissait aller le jeu. Bouillant de colère envers ce qu‘il considérait une injustice, il avait rattrapé Sylvestre et lui avait appliqué une double mise en échec dont il allait se souvenir…enfin, dès qu‘il aurait repris connaissance. Jonathan avait alors été expulsé du match et quand son coach en colère lui avait demandé ce qu‘il lui était passé par la tête, il avait répondu sur le même ton. Et c‘est là que la véritable sanction était tombée: “Tu peux oublier la Russie et quant à moi, tu peux bien aller voir ailleurs si j‘y suis! On verra si tu te seras calmé au retour des Fêtes!”
Jonathan s'était habillé en rage, sans même prendre une douche, avait laissé tout son équipement au milieu de la place quelqu'un d'autre se chargerait bien de le ramasser et pris la route pour Charlevoix. Dans son état de tension, ce n‘était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais il n‘arrivait pas à penser calmement. C‘était un miracle qu‘il n‘ait pas été arrêté pour vitesse sur la route! Aussitôt descendu de voiture, il était entré dans la maison adossée à la montagne, et sans noter les lumières de Noël qui éclairaient les arbres tout autour, ni les guirlandes qui décoraient joliment la maison, et encore moins le sapin de Noël et ses boules colorées, il s‘était précipité dans la cuisine, avait ouvert le réfrigérateur et bénit son ami qui avait eu la prévenance de lui laisser quelques bières. Il en avait enfilé une sans tarder, puis était allé chercher des skis de fond à l‘entrée. Jean-Luc lui avait dit qu‘il y avait là tout un fourbi et qu‘il n‘aurait qu‘à se servir. C‘est ainsi que deux heures plus tard, il se retrouvait à flanc de montagne, glissant dans une neige de plus en plus épaisse…
Malgré son excellente condition physique, l‘effort commençait à lui peser. À certains endroits la piste disparaissait complètement sous la neige et lorsque le sentier le fit sortir du couvert des sapins, le vent le gifla si fort qu‘il faillit tomber. La lumière déclinait rapidement. Bientôt, la noirceur envahirait la montagne et il pensa qu‘il serait plus sage de rebrousser chemin. En se retournant, il vit que le vent avait effacé ses traces, mais il ne s‘inquiéta pas pour autant. La forêt était là devant lui et il reconnaissait le sapin auprès duquel il était passé. En sortant du sentier enseveli pour se retourner, il s‘enfonça dans la neige jusqu‘aux cuisses. Jurant et pestant, il tenta de revenir sur le sentier qui semblait maintenant avoir disparu. Il avança péniblement vers la forêt où il serait au moins à l‘abri du vent. Lorsqu‘il y arriva enfin, il se retrouva dans une obscurité épaisse, tout aussi épaisse que le couvert de neige autour de lui. Jonathan regrettait maintenant sa précipitation, s‘il avait au moins pensé à apporter une lampe frontale! Mais il devait être de retour au bout d‘une heure et ne pensait surtout pas être allé si loin. Parce qu‘il lui fallait maintenant convenir qu‘il ne savait plus du tout où il était.
Pour ne pas céder à la panique, il tenta de réfléchir posément. Personne ne savait où il se trouvait. Sa voiture était bien dans l‘entrée de la maison de Jean-Luc, mais avant qu‘on s‘en étonne, il risquait de s‘écouler un bon petit bout de temps. Puis il étouffa un cri, son cellulaire! Il l‘avait avec lui. Il le chercha fébrilement au fond de ses poches, coinçant son gant gelé entre ses dents. Quand enfin ses doigts gourds se refermèrent sur l‘appareil, il le sortit et l‘ouvrit aussitôt. L‘écran affichait “recherche de service”. Il était hors circuit! Il ressentit à nouveau une bouffée de rage et balança le foutu cellulaire inutile au bout de ses bras. Dans son mouvement, il accrocha une branche de sapin qui se déchargea de sa neige dans son col, se transformant aussitôt en une coulisse glacée qui glissa sur son dos et le fit frissonner. Puis il regretta son geste. S‘il ne pouvait téléphoner, le cellulaire pourrait au moins lui diffuser un peu de lumière. Il mit bien une dizaine de minutes à le récupérer…
Jonathan tentait de faire le point sur sa situation. Lorsque quelqu‘un était perdu, on recommandait de rester sur place pour faciliter les recherches. Mais lui, personne ne le rechercherait. Et puis, il risquait de geler s‘il demeurait immobile. Il se remit donc en marche, s‘enfonçant dans le bois, espérant que le hasard le mettrait sur la bonne route. Il sentait vaguement qu‘il commençait à avoir faim, mais cette sensation disparut bien vite, remplacée par une grande fatigue. La neige ne cessait de tomber et le mercure avait dû chuter d‘au moins dix degrés depuis son départ. Une branche basse lui entrava les pieds et il s‘étala de tout son long, disparaissant sous la neige. Il ne pouvait se redresser, ses mains s‘enfonçant encore plus profondément quand il tentait de s‘y appuyer. Il rampa jusqu‘à un arbre qui lui servit de soutien pour se relever. Il avait perdu un bâton et mit de longues minutes à le retrouver. Ses mouvements étaient de plus en plus lents et sa fatigue de plus en plus intense. S‘il pouvait dormir juste un peu… Il sortit son cellulaire de sa poche, l‘ouvrit et éclaira autour de lui. La faible lumière n‘éclairait que les flocons qui dansaient dans le vent, bien serrés les uns contre les autres. Il le laissa tomber dans la neige et se remit à avancer. Il ne sentait plus ses pieds, mais curieusement il n‘avait plus froid. Il tomba à nouveau et décida de se reposer là quelques instants. Personne ne trouverait à redire s‘il fermait les yeux quelques minutes…
Il devait rêver. Il lui semblait entendre autre chose que le mugissement du vent, un bruit plus clair, comme un son de grelots. Il voulut ouvrir les yeux, mais ses cils étaient gelés. Redresser la tête pour tenter de regarder autour de lui, lui semblait impossible. Elle était si lourde. Puis il se passa quelque chose d‘étrange. Dans son rêve, quelqu‘un s‘adressait à lui bien qu‘il ne comprenait pas ce que cette personne disait. Il sentit qu‘on le soulevait, qu‘on lui enlevait ses skis. Il tenta de protester, mais laissa tomber. Après tout, ce n‘était qu‘un rêve. Quelque chose de doux toucha son visage, comme une fourrure. On le déposait sur une couche moelleuse. Il se demandait où il était alors qu‘il sentit une légère secousse et que le son clair se fit entendre à nouveau. Puis il perdit complètement la notion du temps et des choses.
Jonathan s‘éveilla sous une montagne d‘édredons. Vaguement étourdi, il repoussa les couvertures et s‘assit en regardant autour de lui. Il était dans une chambre, couché dans un grand lit et un feu crépitait dans un foyer. Les murs étaient de rondins et des feuilles de gui pendaient devant l‘âtre. Un peu de clarté entrait entre les rideaux mal fermés. Il devait faire jour. Où était-il et combien de temps avait-il dormi? Mais surtout, comment s‘était-il retrouvé là?
En repoussant les couvertures pour se lever, il se rendit compte qu‘il portait un pyjama de flanelle rouge. Où étaient ses vêtements? Des pantoufles pelucheuses semblaient avoir été placées sur la carpette à son attention. Il les enfila et sauta au bas du lit…pour se retrouver par terre aussitôt. Il avait un peu présumé de ses forces et ses genoux avaient plié sous l‘effort. La porte s‘ouvrit et une jeune femme se précipita vers lui.
Eh là, doucement, lui ditelle en l‘aidant à se relever. Vous êtes encore faible…
Elle l‘aida à s‘asseoir au bord du lit. Il se passa une main sur le visage, comme si ça allait l‘aider à mieux comprendre sa situation.
Où suisje? réussit-il à demander. Qui êtes-vous?
Vous devez avoir faim, ditelle en guise de réponse. Venez, appuyez-vous sur moi, nous allons aller à la cuisine où un bon gruau chaud vous attend.
Il grimaça. Il n‘avait jamais aimé le gruau, mais comme il avait effectivement très faim, il n‘allait pas faire le difficile. Il appuya sa main sur l‘épaule de la jeune femme, qui avait bien une tête et demie de moins que lui, et au bout de quelques pas retrouva un peu d‘assurance, suffisamment pour marcher seul.
Ils traversèrent un salon où un autre feu crépitait dans un foyer qui faisait le double de celui de sa chambre, et s‘arrêtèrent devant une table où la jeune femme le fit asseoir. Sans dire un mot, elle lui servit un bol de gruau qu‘elle sucra avec du sirop d‘érable et lui donna une tasse de chocolat chaud.
Je préférerais du café...commençat-il, mais elle avait disparu dans la cuisine.
Enfin, il supposa qu‘elle était dans la cuisine. Il s‘attaqua à son repas et tout était savoureux. Le chocolat était onctueux et le gruau ne ressemblait en rien à celui de ses souvenirs. Alors qu‘il raclait son bol avec sa cuillère, la jeune femme réapparut.
-Vous en voulez encore?
Volontiers, réponditil en la regardant plus attentivement.
Qu'estce que vous regardez, demanda-t-elle un peu rudement en le servant à nouveau.
-Je me demande simplement qui est mon ange gardien…
-Ce n‘est pas moi. On vous a amené ici hier soir et je dois dire que vous étiez plutôt mal en point. En fait, au bord de l‘hypothermie. Quelle idée d‘aller faire du ski de fond par une température pareille!
Je ne pensais pas être allé si loin, tentat-il.
Tous pareils les gens de la ville! le coupat-elle. Vous croyez tout savoir, vous vous pensez supérieurs, mais aussitôt qu‘on vous sort de votre confort, vous êtes comme des imbéciles.
Il rougit un peu sous la rebuffade.
-Je voudrais bien remercier la personne qui m‘a sauvé, en quelque sorte.
-Pas en “quelque sorte”. Une heure de plus et on n‘aurait rien pu faire pour vous. C‘est le père Léon qui vous a amené ici, mais vous ne pourrez le voir, il est reparti aussitôt et je n‘ai aucune idée de l‘endroit où il se promène.
-Malgré la tempête?
Elle se mit à rire et son rire détendit soudainement ses traits sévères. Il fut alors frappé par la beauté de la jeune femme.
Ce n'est pas une tempête qui va l'arrêter celuilà! Il a beau être vieux, il a vu neiger, si vous me passez l‘expression.
-Dommage.
Il se leva.
Où allezvous? demanda-t-elle.
-Ben…reprendre mes affaires et retourner d‘où je viens, si vous êtes assez aimable pour m‘en indiquer le chemin.
Le visage de la jeune femme se referma aussi sec.
-Il n‘en est pas question! La tempête fait encore rage et vous vous perdriez à nouveau à coup sûr. On n‘a pas que ça à faire par ici, retrouver les citadins en péril.
Puisje au moins téléphoner? Envoyer un courriel?
Pas de téléphone, pas d'ordinateur, réponditelle avec une pointe de sarcasme. Vous êtes hors circuit ici.
Il se rappela son téléphone cellulaire qui gisait quelque part dans la neige, devenu parfaitement inutile en l‘absence de réseau disponible.
Et puis, poursuivitelle, j‘ai bien d‘autres soucis aujourd‘hui sans vous ajouter à ma liste. D‘ailleurs, je vous laisse et tâchez de ne pas faire de bêtises.
L‘instant d‘après, elle était partie.
Jonathan trouva la matinée bien longue. Il s‘occupa en alimentant les feux des deux foyers, mais il n‘y avait pas grand-chose à faire. Il n‘avait pu mettre la main sur ses vêtements et se baladait toujours dans le ridicule pyjama rouge. Il n‘osait trop se demander comment il avait fait pour arriver là-dedans…
Vers la fin de l'avant-midi, il entendit frapper à la porte. Persuadé que c'était la jeune femme il se rendit compte qu'il ne connaissait pas son nom qui avait oublié sa clé, il alla ouvrir. Le vent s‘engouffra dans la maison, poussant un tas de neige duquel émergea un petit garçon les joues rougies par le froid. Il s‘ébroua comme un jeune chien. En relevant la tête, il parut surpris de voir Jonathan.
Estce que Marie-Noëlle est là? demanda-t-il sans autre forme de salutation.
Marie-Noëlle, c‘est joli, pensa Jonathan.
-Non, je ne sais pas où elle est partie…
C'est ennuyeux ça, dit le gamin. Savezvous si son frère est arrivé?
-Son frère?
-C‘est notre match de hockey annuel ce soir et son frère devait venir nous donner un coup de main.
-Ah! Il y a un aréna par ici.
-Mais non, on joue sur le lac.
-Alors, ne t‘en fais pas, le match va être annulé à cause de la tempête.
Le garçon le regarda surpris.
-Ce que tu peux être bête. Il fait TOUJOURS beau pour notre match.
Jonathan ne voulait pas enlever les espoirs de l‘enfant.
-Et qui joue contre qui?
Notre village contre celui qui est voisin. Et il y a un grand enjeu : l'équipe qui gagne remporte le droit pour son village, de s'occuper du champ de culture des sapins de Noël pour l'année suivante. Ça fait deux années de suite qu'on perd. Il faut absolument qu'on gagne cette année, mais sans grand frère, je ne sais pas comment on va y arriver. MarieNoëlle nous avait promis que son frère allait nous aider.
Désolé bonhomme, je n'ai pas vu personne. Mais quand MarieNoëlle reviendra, je lui dirai que tu es passé.
Un peu triste, le garçonnet repartit.
Faute de mieux, Jonathan fit une sieste. Un bruit de porte qui claquait l‘éveilla. Il se leva vivement et vit Marie-Noëlle qui secouait son manteau couvert de neige à l‘entrée. Elle avait les joues rouges, comme le bambin un peu plus tôt, et il ne put s‘empêcher de remarquer que c‘était charmant. Mais l‘humeur de la jeune femme ne semblait pas en accord avec le tableau qu‘elle projetait.
Ça va? demandat-il.
Elle lui jeta un bref coup d‘œil.
-Encore en pyjama? On ne s‘habille pas à la ville?
Il rougit sous le reproche, se sentant à nouveau ridicule dans sa tenue.
-Je ne sais pas où sont mes vêtements…
-Vous n‘avez pas cherché bien loin. Ils sont dans la penderie.
Jonathan ne se fit pas prier pour aller s‘habiller. Quand il revint, elle était en train de chauffer un chaudron de soupe. Elle avait toujours son air soucieux.
-Quelque chose ne va pas?
Elle soupira en remuant le liquide fumant.
-Il y a un match de hockey ce soir…
-...et votre frère n‘est pas arrivé pour y participer.
Surprise, elle releva la tête.
-Comment vous savez?
-Un petit garçon est venu aujourd‘hui pour s‘en informer.
Elle eut un sourire las.
-Ce doit être Nicolas. Il est très inquiet.
-C‘est quoi cette histoire de culture de sapins?
-Une histoire qui remonte à quelques années quand les maires de nos deux villages n‘ont pu s‘entendre sur cette culture qui est à peu près la seule activité économique du coin. Après une soirée où le caribou, la boisson, pas l‘animal, avait pris la vedette, ils ont décidé que la culture et ses profits seraient attribués chaque année au village qui parviendrait à battre l‘autre dans un unique match de hockey. Et pour éviter que ça dégénère en bagarres à chaque fois, ce ne seraient que les enfants du village qui auraient le droit d‘y participer. À l‘exception d‘un adulte. Mais cet adulte ne doit pas habiter aucun des deux villages.
-Et c‘est votre frère qui devrait jouer. Il ne vit pas ici?
-Non.
Où estil?
-Il ne viendra pas. Je n‘ai pas encore eu le cœur de le dire aux jeunes.
-À cause de la tempête?
-Non, ça on aurait pu se débrouiller pour l‘amener jusqu‘ici. Il a eu un accident.
-Grave?
-Suffisant pour l‘arrêter trois semaines.
Puisqu'il était possible de l'amener jusqu'ici, peutêtre pourrait-on me ramener à Baie-Saint-Paul?
On frappa de nouveau à la porte. Elle fit mine d‘aller ouvrir.
-Laissez, dit Jonathan, j‘y vais.
C‘était à nouveau Nicolas, tout aussi couvert de neige que la première fois. La tempête ne semblait pas vouloir se calmer et Jonathan fut à nouveau persuadé qu‘il serait impossible de jouer un match dans de telles conditions. Mais il garda ses réflexions pour lui.
Alors? Astu des nouvelles de ton frère? demanda le gamin en se rendant jusqu‘à Marie-Noëlle et en laissant une trace d‘eau dans son sillage.
-Il ne viendra pas, Nicolas. Je suis désolée de te dire ça, mais il a eu un gros ennui.
L‘espace d‘un instant, Jonathan crut que Nicolas allait se mettre à pleurer tant le désespoir était lisible sur son visage.
Mais alors? Qu'estce qu‘on va faire? Il nous faut un grand frère!
Il tourna la tête vers Jonathan et dit à Marie-Noëlle :
-Et lui? Il ne pourrait pas jouer?
-Non, dit immédiatement la jeune femme. Il est de passage et dès qu‘il pourra, il va repartir. D‘ailleurs, je ne sais même pas s‘il sait jouer au hockey.
Jonathan commençait à en avoir assez d‘être pris pour un imbécile par Marie-Noëlle.
Certainement que je sais jouer au hockey, réponditil un peu piqué. Et pas mal du tout d‘ailleurs.
-C‘est ça, un autre qui se prend pour Guy Lafleur…
Laissezmoi vous le prouver, dit Jonathan qui sentait la moutarde lui monter au nez.
D‘abord, on lui faisait sentir qu‘il n‘était qu‘un citadin inutile, puis on le rabrouait comme un enfant et enfin, on décidait pour lui.
Oh oui, laissonsle jouer, dit Nicolas dont le visage s‘éclairait peu à peu. Si nous n‘avons pas de grand frère, on va encore perdre à coup sûr.
Mais il n'a pas d'équipement, tenta MarieNoëlle.
-Je suis certain que même dans ce coin perdu…
Il s‘arrêta devant le regard courroucé de la jeune femme.
-...dans ce charmant village, je veux dire, on devrait pouvoir me trouver une paire de patins et un hockey.
Marie-Noëlle hésitait. Elle ne savait si elle devait faire confiance à cet homme plein de suffisance.
-Tu pourrais lui prêter l‘équipement de ton frère? suggéra Nicolas.
Il y avait tant d‘espoir dans la voix du jeune garçon que Marie-Noëlle n‘avait pas le cœur de refuser, même si elle entretenait un sérieux doute sur cette idée.
Peutêtre, commença-t-elle en jaugeant le jeune homme du regard. Vous avez à peu près la même taille…
Alors, c'est réglé! dit Jonathan que l'hésitation de MarieNoëlle commençait à agacer sérieusement.
-Cool! s‘écria Nicolas en se précipitant vers la porte. Je vais aller le dire aux autres.
Et il sortit en coup de vent, négligeant de bien fermer la porte qui se rouvrit derrière lui. Le vent souffla un petit monticule de neige dans la maison. Jonathan courut refermer la porte.
Pauvres gamins, ditil en poussant la neige vers le tapis de l‘entrée.
Pourquoi? demanda MarieNoëlle. Vous avez changé d‘idée? Vous allez les laisser tomber?
Jonathan fronça les sourcils.
-Pourquoi cette méfiance envers moi? Bien sûr que non je ne vais pas les laisser tomber, mais il n‘y aura jamais de match sur une patinoire extérieure avec cette tempête.
La jeune femme haussa les épaules.
-Il fait toujours beau le soir du match.
Ce n‘était pas un souhait, mais une affirmation.
Et vous aurez besoin de forces. Assoyezvous à la table, je vais vous servir un bol de soupe.
Ce n‘était pas une invitation, mais un ordre. Jonathan s‘y souscrit volontiers, il était de nouveau affamé.
Assis sur un banc près de la patinoire déneigée sur le lac, Jonathan terminait de lacer ses patins. Enfin, ceux du frère de Marie-Noëlle. La qualité de l‘équipement l‘avait surpris. Il s‘était attendu à de vieux patins aux lames un peu rouillées et ne nourrissait pas grand espoir quant au bâton de hockey. Pourtant, il avait dans les pieds des patins du dernier cri qui avaient été peu utilisés, en fait ils étaient presque neufs, et le bâton que Marie-Noëlle avait sorti du placard devait valoir autour de trois cents dollars dans les magasins. Sans compter sur les gants matelassés, dotés d‘un système de ventilation unique, bref ce n‘était pas de la camelote. Le frérot avait de beaux joujoux…
Il n‘y avait pas que l‘équipement de hockey qui étonnait Jonathan. Contre toute attente, le vent était tombé, non sans avoir balayé les nuages du ciel qui était maintenant piqué de milliers d‘étoiles. On n‘aurait jamais pu dire qu‘une terrible tempête avait soufflé sur la région à peine quelques heures plus tôt. Une lune complaisante dispensait une douce lumière donnant une lueur bleutée à la neige et découpant des ombres aussi sûrement que le faisait le soleil sur le sable. Nicolas lui faisait signe, le match allait commencer.
Jonathan se leva et marcha d‘un pas sûr sur ses patins jusqu‘à la glace qui venait tout juste d‘être grattée. Il trouvait amusant que l‘équipement soit parfaitement à sa taille, on l‘aurait dit prévu pour lui. Une petite assemblée s‘était amassée aux abords de la patinoire. L‘équipe de Jonathan portait un chandail rouge, une couleur qui semblait le poursuivre, pensait-il. Les adversaires étaient en blanc et la foule montrait son allégeance en portant aussi les couleurs, à parts égales, des héros du jour. Jonathan sauta sur la patinoire en se faisant la remarque qu‘il y avait bien longtemps qu‘il n‘avait pas joué sur une glace extérieure. Ça devait remonter à l‘époque où il avait l‘âge de ses coéquipiers. Il chercha Marie-Noëlle du regard et la trouva près de deux gros hommes emmitouflés dans d‘épaisses fourrures. Probablement les deux maires. Il lui fit un petit signe de la main qu‘elle ne lui renvoya pas. Mais peut-être ne l‘avait-elle pas vu.
Les équipes s‘organisaient, le match allait débuter. Il avait vu son vis-à-vis, un homme peut-être légèrement plus vieux que lui, dans l‘équipe adverse. C‘est entre nous que ça va se jouer mon vieux, pensa-t-il en tentant d‘évaluer son adversaire. Ce dernier patinait avec aisance, mais il était loin de manipuler le bâton aussi bien que Jonathan, ce que celui-ci constata avec satisfaction.
-Tu es prêt? vint lui demander Nicolas. On va commencer.
-Où est l‘arbitre?
-Juste là, dit le gamin en pointant une vieille femme du menton.
Jonathan écarquilla les yeux. Elle devait avoir au moins quatre-vingts ans! Comment pourrait-elle suivre le rythme des jeunes? Et avec des patins artistiques en plus, qui semblaient avoir du vécu d‘ailleurs.
-Elle est terrible, commenta Nicolas, une nuance de respect dans la voix.
Jonathan garda ses pensées pour lui. Il continua de s‘échauffer, puis, voulant montrer au public qu‘il avait devant lui un véritable joueur de hockey, il s‘empara de l‘une des rondelles sur la glace, traversa la patinoire à toute vitesse et décocha l‘un des lancers frappés qui avaient fait sa réputation dans la ligue, du côté opposé à la foule pour ne pas blesser quelqu‘un. S‘il s‘attendait à des applaudissements ou des exclamations, il fut déçu. À peine un murmure… Nicolas s‘approcha de lui. Jonathan lui fit un grand sourire.
-Ne t‘en fais pas, je ne ferai pas ça durant le match, je ne voudrais pas faire peur au gardien.
Ce n'est pas ça, dit le petit garçon avec un air ennuyé. C'est que nous n'avons que trois rondelles pour le match et ça va être difficile de la retrouver cellelà.
Jonathan se sentit penaud.
-Désolé…je ne savais pas…
-C‘est pas grave, dit l‘enfant magnanime. Allez viens, on commence.
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