MONACO - Début décembre. Félix est à l’entraînement au Monte-Carlo Country Club. C’est en territoire français, à la limite de Monaco, où il vit depuis un an. En allant le rencontrer sur place, on comprend aisément pourquoi il a choisi d’y établir sa résidence. Il prend le temps, chaque matin, de s’arrêter pour profiter de la vue sur la Méditerranée. Mais il n’est pas là pour admirer le paysage, bien au contraire. Les journées sont chargées :

 

Une journée à l'entraînement avec Félix Auger-Aliassime

10 h 00 – Traitements avec le physiothérapeute 

10 h 30 – Échauffement sur le court avec le préparateur physique

11 h 00 – Entraînement tennis avec ses deux entraîneurs

13 h 00 – Les entraîneurs prolongent la séance...

13 h 25 – L’heure du lunch

14 h 15 – Repos

15 h 00 – Entraînement en salle avec le préparateur

17 h 00 – Récupération

 

Et on répète le scénario, dans l’ordre ou dans le désordre, six jours par semaine. Certaines journées ce sont deux séances sur le court ou deux séances en salle. « La priorité, c’est la préparation physique pour mieux prévenir les blessures », explique son entraîneur, Frédéric Fontang, qui est aux côtés de son protégé pour ce bloc d’entraînement. « Il n’a que 19 ans, forcément, il a encore des capacités à développer sur le plan physique : endurance, force, coordination, vitesse. On profite de cette période de cinq semaines pour y travailler avant le début de la saison en Australie. »

 

Il y a pire comme horaire direz-vous, certes. Il faut toutefois voir l’ardeur et la discipline que Félix y met. Aucun relâchement n’est permis ni toléré. « La force des Federer, des Nadal, c’est que tout ce qu’ils ont bien fait toutes ces années, c’est en eux », explique Auger-Aliassime, qui avoue s’inspirer de ces deux légendes. « Pour eux, c’est comme se brosser les dents le soir, c’est naturel, c’est une routine. »

 

Le Monte-Carlo Country ClubIl sait de quoi il parle. Il les côtoie. Il discute avec eux. Il s’est même entraîné avec Federer. « Quand tu vois la qualité du travail qu’il fait, quand tu vois l’intensité avec laquelle il s’entraîne, tu comprends pourquoi il est toujours au top », renchérit le Québécois. « Ce ne sont pas des joueurs qui s’entrainent deux semaines à fond et ensuite deux semaines moins bien. Chaque jour, avec les moyens du bord, avec leur forme du jour, ils apportent leur meilleur. » Avant d’ajouter, en riant, « mais toutes ces belles choses, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire! »

 

Félix essaie de « muscler » ces habitudes pour qu’elles deviennent siennes. Pour suivre le plan; un plan ambitieux. Et il peut compter sur une solide équipe pour l’épauler. « Tous les jours, si tes actions, tes intentions sont alignées par rapport à là où tu veux aller, tu ne peux que réussir », ajoute Fontang. « De façon précoce, il a des capacités physiques, une maturité, un niveau de jeu. On a entre les mains une pierre brute, un diamant à polir. On ne peut pas avoir un plan à court terme sinon on va sauter des étapes », justifie Fontang.

 

Les gardiens du processus

 

Cette philosophie a un nom : le processus. Vous vous attendiez à un nom scientifique, et vous voilà, plutôt, face à un bon vieux cliché du sport. Seulement, ce cliché n’en est pas un avec Félix et son équipe. On l’applique au quotidien. Du moins, on essaie. Ça ne fait pas de grandes déclarations dans les médias, mais ça rend les discussions enrichissantes quand on creuse. « Le résultat, c’est la conséquence. Nous, on est dans le processus, le développement, ce qu’on peut maitriser », explique Fontang, avant d’ajouter, sourire en coin, « on rigole un peu avec ça, mais entre nous, les membres de son équipe, on s’appelle : les Gardiens du processus. »

 

Pour le 1er rang mondial, Félix doit « respecter le processus »

Une philosophie à laquelle adhère totalement l’athlète. « Le processus vient avant le résultat. Le processus est plus important », avoue Auger-Aliassime. « Il ne faut pas négliger le résultat qui amène cette confiance à l’athlète. Ça encourage à continuer, mais après, peu importe le résultat, il faut se ramener au processus, à l’entraînement. Il faut relativiser », ajoute-t-il convaincu de la démarche.

 

C’est ce qui frappe en discutant avec Félix : sa maturité. On oublie qu’il n’a que 19 ans. Combien d’athlètes ont ce discours, et l’appliquent, à cet âge? Peu.

 

Chaque fois qu’on essayait de les faire dévier du « processus », ils répondaient tous, naturellement, en s’excusant presque, que tout passe par vous-savez-quoi. « Il faut que ce soit naturel, sinon tu ne peux pas tenir sur la durée », répond Auger-Aliassime lorsqu’on lui a demandé si c’était difficile parfois d’adhérer à cette approche.

 

Naturel puisque c’est ainsi qu’il a toujours fait. « Mon père a apporté cette philosophie dès mes premiers pas dans le tennis » raconte Auger-Aliassime. « Je me souviens très clairement que mon père voulait toujours que je joue de la bonne façon, de ne pas jouer pour gagner à 12 ans. Il a toujours eu cette vision à long terme. »

 

2019, une année exceptionnelle... en leçons d’apprentissage
 

Retour sur la saison 2019 exceptionnelle pour FAA

 

Ce qui nous amène à 2019. Félix est passé de 108e joueur mondial à 21e, en une saison. Et le bilan que dresse Félix illustre à merveille sa mentalité : « De finir près du Top-20, avec une ascension jusqu’au 17e rang, c’est quand même magnifique. J’en tire presque que du positif et j’en tire beaucoup de leçons qui sont également positives. »

 

« Presque que du positif », donc pas totalement. Après tout, c’était sa première saison complète sur le circuit de l’ATP. Les leçons tirées sont nombreuses. À commencer par la gestion de la longue saison. « À mon âge, tu te dis que t’es invincible », reconnaît Auger-Aliassime. « Tu penses que tu peux jouer toutes les semaines. Tu te lèves le matin, tu vas courir il n’y a pas de problème. Mais là, t’apprends à gérer avec tout l’effort qu’on donne, avec toutes les semaines qu’on joue, t’apprends à sauter quelques semaines. »

 

Sauter une semaine, ce qu’il n’a pas fait en jouant le tournoi de Lyon avant Roland-Garros. Il a atteint la finale, mais une blessure aux adducteurs, subie dans ce tournoi, lui a valu de déclarer forfait pour Roland-Garros. « Le moment où tu vas voir le directeur du tournoi et tu lui dis : "Désolé, je ne peux pas jouer, je dois me retirer", ça vient quand même te frapper au visage. Tu ne peux pas participer au tournoi auquel tu as toujours rêvé de participer », raconte Félix, se rappelant la déception du moment.

 

Après cette blessure, Félix atteint la finale à Stuttgart et la demi-finale au tournoi de Queen’s, deux tournois sur gazon. Et survient l’autre leçon : gérer les attentes. Avec ces résultats, John McEnroe le nomme comme étant l’un des joueurs, avec Tsitsipas, qui pourrait se rendre loin à Wimbledon. « Il y avait énormément de pression par ce que j’avais fait dans les semaines précédentes et j’ai ressenti un sentiment que je n’avais connu auparavant, le fait que j’étais attendu », admet Auger-Aliassime.  « Ça m’a mis une pression qui est venue déranger certaines choses dans mon jeu. Ç’a été difficile à absorber, et ça m’a suivi dans les semaines après. »

 

C’est pourquoi Auger-Aliassime parle d’apprentissage. 2019 a aussi été une année de confirmation. « Je me suis prouvé que je pouvais jouer à ce niveau, mais je l’ai aussi prouvé aux autres. Et sentir que les autres te voient comme une menace à chaque match, à chaque tournoi, ça apporte beaucoup de confiance », reconnait-il. « Des résultats comme cette année, ce sont de belles petites confirmations qui t’amènent à te dire, je suis sur le droit chemin et continuons à aller de l’avant. »

 

2020 : un premier titre et les Jeux olympiques

 

Félix et son équipe poursuivent donc le travail amorcé, direction 2020. Vous aurez compris que Félix ne se prononce pas trop lorsqu’on lui demande ses objectifs pour la prochaine saison. « La façon dont j’approche 2020, je sens que j’ai des possibilités, à chaque tournoi que je vais jouer, d’aller très loin, de gagner. C’est certain que de décrocher un premier titre, ça demeure un de mes objectifs, je pense que je n’ai même pas besoin de le dire, tout le monde me le souhaite », ose-t-il avec le sourire.

 

2020 présente également une occasion spéciale. « Les Jeux olympiques, pour moi, c’est rêvé. Ça sort juste du tennis. D’être aux Jeux, avec d’autres athlètes, d’être au plus grand événement sportif et moi, Félix, de faire partie de tout ça, c’est un rêve d’enfant qui deviendrait réalité » avoue Auger-Aliassime, se permettant de rêver.

 

Félix n’est pas un rêveur. Il est ambitieux; il a de très grandes ambitions. Il ne veut pas seulement atteindre le sommet, lorsqu’il y sera, il veut y rester. Pour y parvenir, il doit respecter le mot-préféré-des-médias : le processus.