Beaucoup de choses peuvent changer à l'intérieur d'une compétition de trois semaines (si on tient compte des qualifications), d'un point de départ à l'arrivée. Reconnu comme le "Happy Slam", tous les sourires avaient disparu la semaine précédant le tournoi en raison de la peine généralisée d'un peuple dévasté par les feux de forêt et des conditions exécrables de l'air pour les joueurs disputant les qualifications. D'ailleurs mardi le 14 janvier fut baptisé: "airpocalyspe day" par la presse internationale. La bonne nouvelle, s'il y en a une, c'est que certains matchs impliquant les stars d'aujourd'hui et de demain ont pu mettre un baume de consolation grâce à la qualité du spectacle.

Impossible de passer sous silence le "miraculé" (c'est lui qui le dit) Roger Federer qui s'extirpe de deux pièges XX larges. D'abord face à John Millman qui mène 8-4 au super bris d'égalité de la 5e manche, soit à 2 points de la victoire avant de gagner 6 points de suite pour le triomphe. Puis, devant Tennys Sandgren alors que le Suisse a mal à l'aine et au dos et arrive à peine à bouger et servir jusqu'à temps que l'Américain soit à la porte de la victoire. Federer renverse tout cela en sauvant 7 balles de match et en utilisant chaque once d'expérience dans sa besace.

Que dire également des deux jeunes Américaines qui font tourner les têtes à Melbourne. D'abord Coco Gauff, 15 ans, qui bat Venus Williams et puis la championne en titre Naomi Osaka avant de s'incliner en 3 sets devant l'élue du 7e tour Sofia Kenin. Dès l'âge de 5 ans cette jeune dame déterminée et travaillante avouait au monde entier en entrevue qu'elle voulait devenir numéro 1 mondiale. À 21 ans, on ne peut pas dire qu'elle est en retard sur ses propres pronostics alors qu'elle fera son entrée demain dans le club exclusif du top 10 à la 7e place mondiale.

La seule chose qui n'a pas changé lors de la quinzaine c'est la détermination, l'excellence et la qualité du jeu de Novak Djokovic. Avant la finale, donc en 6 rencontres, le serbe ne perd qu'un seul set et ne passe que 12:29 sur le terrain. Sa deuxième semaine ressemble à une partie de plaisir alors qu'il submerge Schwartzman, Raonic et Federer de par sa prestance. À l'inverse, le bon vieux cliché qu'on ne peut gagner un Grand Chelem lors de la première semaine, mais qu'on peut le perdre, s'applique parfaitement à Dominic Thiem. Obligé de faire du temps supplémentaire pour battre Alex Bolt en 5 sets dès le 2e tour, l'Autrichien bagarre aussi comme un forcené pour vaincre Nadal en 4:19 et Alexander Zverev en 3:42. Au total il mérite sa place en finale après 18:24 de durs, très durs labeurs. Non seulement cela représente près de 6 heures de plus que le Serbe, mais Novak profite en plus d'une journée de congé supplémentaire!

Aujourd'hui, Djokovic dispute face à Thiem une finale en deux temps. Moins nerveux en début de rencontre que l'Autrichien, il brise deux fois Dominic pour gagner le set 6-4. Lors des manches 2 et 3, le serbe est méconnaissable alors qu'il ne peut tenir en fond de terrain devant la force de frappe de Thiem. En plus, sa vitesse de balle au service baisse énormément et Novak nous fait même le coup du pantin désarticulé sur certains appuis mal engagés. Bizarre, bizarre qu'il toussote ainsi son jeu. Après une petite visite au vestiaire pour recevoir des soins, Djokovic reprend là où il avait laissé au premier set. Redevenu léger, précis et extrêmement compétitif, il renverse Thiem lors des manches 4 et 5 pour remporter un 8e titre en Australie et un 17e Grand Chelem à 3 du record de Roger Federer.  Dommage tout de même pour l'Autrichien qui aurait pu donner plus de sens à ses efforts s'il avait profité de sa balle de bris à 1-1 au 4e set et des deux chances de briser obtenues à 1-2 à la 5e manche. Il s'agit donc du 13e triomphe consécutif du trio Nadal-Djokovic-Federer en tournois majeurs, quelle domination de ces trois exceptionnels mousquetaires des temps modernes!

Au bout du compte, pour décoller les 3 meilleurs de leur trône en Grand Chelem, il faut savoir exceller à longueur d'année pour aller chercher la 4e place mondiale. Ainsi positionné ou pour être plus juste, utilisons le terme "protégé", c'est la seule manière de ne pas avoir dans les pattes les trois monstres sacrés avant la demi-finale. C'est certain que cela ne veut pas dire que les cinq matchs avant la demie seront de tout repos. Parlez-en à Daniil Medvedev qui hérite de la précieuse place du 4e favori, mais s'incline devant Stan Wawrinka en 5 sets en ronde des 16. Bien justement, Wawrinka demeure donc le seul à avoir battu Nadal et Djokovic dans le même Grand Chelem, c'était à Melbourne en 2014.

À la suite de cette finale, Thiem hérite à nouveau du 4e rang et je lui souhaite de le garder jusqu'à Roland Garros. Ses progrès avec son tennis d'attaque sont grands et son match face à Nadal, une symphonie de beaux coups qui plait aux sens autant qu'un opéra italien. Il faut maintenant peaufiner et resserrer le jeu pour éviter de passer autant de temps sur le terrain. Au 5e set aujourd'hui, c'est évident qu'il n'a plus tout à fait assez de ressources pour prétendre au titre. Dommage, Dominic est un chic type aux multiples qualités qui est très certainement le meilleur joueur de la planète qui n'a pas encore gagné de Grand Chelem. Mais cela viendra. À Roland Garros ce printemps?  Face à d'Artagnan Nadal? Pourquoi pas? Tant qu'à rêver, rêvons grand avec lui.