RDS.ca vous propose une série de rencontres avec des athlètes qui ont vu leur destin chamboulé après une victoire ou une prestation inoubliable. Aujourd’hui, le quart-arrière du Rouge et Or de l’Université Benoît Groulx revient sur son match contre les Gaiters de l’Université Bishop’s qui lui a éventuellement permis de remporter deux titres de la coupe Vanier et le trophée Hec Crighton.

Deuxième essai et 20. Le Rouge et Or de l’Université Laval est au 36 dans son territoire. William Leclerc accepte la remise de son centre avant de porter le ballon sur 10 verges. Le quart-arrière se blesse toutefois sur la séquence, et pendant que l’attaque cède sa place aux unités spéciales sur le terrain, tous ignorent que le vétéran ne retrouvera plus jamais son poste de quart partant.

Sur les lignes de côté, Benoît Groulx se prépare à prendre la relève, mais absolument personne n’aurait pu prédire à ce moment-là que la recrue deviendrait par la suite l’un des visages les plus marquants de la glorieuse histoire de l’équipe grâce à deux conquêtes de la coupe Vanier et du trophée Hec Crighton remis au joueur par excellence du football universitaire canadien en 2008.

À l’époque, une possible passation des pouvoirs n’est même pas dans l’air pour essentiellement deux raisons. D’abord, la blessure subie par Leclerc ne semble pas particulièrement sérieuse. Et, l’étonnante décision des joueurs des Gaiters de l’Université Bishop’s de ne pas serrer la main de leurs rivaux sur ordre de l’entraîneur-chef Leory Blugh monopolise toute l’attention médiatique.

Les 23 passes complétées, dont 4 pour des touchés, pour des gains de 369 verges de Groulx ne font ainsi pratiquement pas la manchette. Son comportement digne d’un vétéran est vite salué et il est nommé joueur par excellence de la semaine dans le circuit universitaire canadien. Avec le recul, le principal intéressé avoue que ce match a été un moment charnière dans sa carrière.

« Le plus grand défi d’un quart-arrière, c’est la recherche de constance. Tu ne peux pas avoir de mauvaises journées au bureau parce que tout le monde te regarde si les choses commencent à mal aller, a passionnément expliqué Groulx au cours d’une entrevue téléphonique avec RDS.ca.

« Ma force, ç’a toujours été de bien comprendre la game. Discuter des stratégies, regarder les choses à analyser et trouver des solutions, ça ne m’a jamais demandé d’effort, parce que c’est ma passion. Mais c’est toujours beaucoup plus facile quand tu as de bons joueurs derrière toi! »

De la constance, Groulx en a affiché pendant la quasi-totalité de son séjour avec le Rouge et Or. Et lorsqu’elle n’était pas au rendez-vous, il trouvait évidemment des solutions. Après ce premier défi relevé contre les Gaiters, plus question de regarder derrière. La semaine suivante, il mène le Rouge et Or à une victoire contre les puissants Huskies de l’Université Saint Mary’s. Il ne fait alors plus aucun doute que Groulx a saisi sa chance et est dorénavant le meneur de l’attaque.

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Si Groulx se destinait à connaître une carrière très honnête dans les rangs universitaires, il ne s’attendait certainement pas à être lancé dans la mêlée aussi rapidement et surtout à faire ses preuves semaine après semaine et entraînement après entraînement pour garder sa place. Mais encore là, des circonstances exceptionnelles lui ont permis d’être à la hauteur pour se signaler.

Double joueur par excellence du circuit collégial québécois, Groulx est évidemment courtisé par plus d’une université après son séjour avec les Spartiates du Vieux Montréal. Même si le Rouge et Or compte alors sur plusieurs athlètes pleinement capables de diriger l’attaque, le petit quart de cinq pieds neuf pouces choisit malgré tout l’institution de Québec pour continuer sa carrière.

« J’avais déjà côtoyé [le coordonnateur offensif du Rouge et Or] Justin Éthier dans des camps au Vieux Montréal et j’aimais vraiment sa manière de travailler. Nous avions vraiment eu un très bon premier contact, mentionne Groulx. J’aurais pu aller rejoindre mon frère [Stéphane] avec les Carabins [de l’Université de Montréal], mais je sentais que ce n’était pas moi leur homme...

« À l’époque, j’avais décidé d’aller au Vieux Montréal, même si Jonathan Jodoin était le quart partant. Je me disais que j’aurais la chance d’apprendre à ses côtés et il ne faut jamais oublier qu’un quart est aussi bon que ses coéquipiers. C’est d’ailleurs ce qui a toujours pas mal guidé mes décisions. Je voulais être aux côtés de meilleurs joueurs de ligne et receveurs de passes. »

Groulx a beau avoir des atomes crochus avec Éthier, reste que sa place au sein de la formation, même à titre de substitut, est loin d’être gagnée. Au camp d’entraînement, il devra rivaliser avec les vétérans Leclerc, Stéphan Larosilière et Jean-Frédéric Gagné ainsi qu’avec un autre nouveau venu, le Mexicain Cesar Sanchez Hernandez, qu’il a déjà affronté plus d’une fois dans sa carrière.

Mais une première porte s’ouvre lorsque Groulx se pointe sur le campus de l’université en août 2005. « William Leclerc était ennuyé par un virus, Stéphan Larosilière avait des cours à terminer et Cesar Sanchez Hernandez était blessé, si bien que je me suis retrouvé seul avec Jean-Frédéric Gagné, rappelle Groulx. Ça m’a ainsi permis d’effectuer un nombre inespéré de répétitions. »

À la conclusion du camp, Groulx obtient le poste de numéro deux derrière Leclerc à la surprise générale. Entre-temps, Éthier a convaincu Gagné de prendre sa retraite afin de se joindre au personnel d’entraîneurs, tandis que Larosilière semble constamment ennuyé par des blessures. Groulx sera donc aux premières loges pour épier Leclerc et parfaire toutes ses connaissances.

Il s’attend évidemment à voir un peu d’action pendant la saison, notamment quand le Rouge et Or profitera d’une bonne avance. Groulx est rapidement étiqueté comme le quart d’avenir de l’organisation, mais pas question de brûler les étapes. Les moments où il sera envoyé dans la mêlée seront ainsi soigneusement choisis afin qu’il puisse gagner en confiance un jeu à la fois.

Malgré tout, Groulx ne s’attend absolument à rien avant le premier match de la saison 2005 face aux Carabins. Sage décision, puisque Leclerc dispute la totalité de la rencontre remportée 24-12 par le Rouge et Or. Éthier s’excuse même de ne pas avoir fait appel à ses services, mais le quart recrue ne lui en tient pas rigueur. Il sait pertinemment que son tour viendra plus tôt que tard.

Groulx obtient en effet une première chance de se faire valoir dès la semaine suivante pour l’ouverture locale du Rouge et Or contre les Redmen de l’Université McGill. Alors que le Rouge et Or mène 28-7 à la fin du deuxième quart, Éthier décide d’envoyer Groulx sur le terrain à la suite deux séries à l’attaque difficiles de Leclerc, la dernière s’étant finie par une interception.

Après une course de 7 verges de Nicolas Bisaillon, Groulx remet encore une fois le ballon à son demi, qui file sur 58 verges pour le touché. Le jeu peut paraître anodin avec le recul, mais il a permis à Groulx de sentir qu’il était bel et bien à sa place. « Ç’a été une expérience incroyable, se remémore Groulx. Je me souviens que cette course m’avait déstressé et mis en confiance! »

Groulx termine le match avec des gains de 200 verges et aucun touché, mais tous félicitent ses débuts remarqués à l’attaque. L’entraîneur-chef Glen Constantin louange déjà sa compréhension du jeu et sa capacité à garder son calme. Mais toute controverse est rapidement tuée dans l’œuf : Leclerc retrouvera son poste de partant la semaine suivante contre les Gaiters.

Ce sera cependant pour une courte durée, puisque la blessure de Leclerc ouvre toute grande la porte à Groulx, qui termine la saison avec 1317 verges et 13 touchés. Le Rouge et Or s’incline éventuellement en demi-finale canadienne, mais Groulx se reprend la saison suivante avec 2422 verges et 12 touchés et sa première conquête de la coupe Vanier. La défense est à l’honneur lors cette partie contre les Huskies de l’Université de la Saskatchewan, mais qui s’en souvient?

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Benoît GroulxFort de sa conquête de la coupe Vanier en 2006, Groulx est évidemment déterminé à répéter l’exploit, mais une nouvelle vient changer le cours de sa vie avant le début de la saison 2007 : sa conjointe est enceinte. Sachant qu’il devra assumer de nouvelles obligations, Groulx travaille sans relâche pendant l’été. Jumelé à divers engagements, il ne peut s’entraîner adéquatement.

Le quart se présente donc 40 livres en trop au camp d’entraînement et ce n’est pas parce qu’il a gagné une tonne de muscles. L’affaire fait évidemment jaser et des journalistes remarquent qu’il ne paraît pas au sommet de sa forme. Peu importe, il dissipe tous les doutes en complétant 15 de ses 16 passes à sa première rencontre de la campagne avant de se blesser à l’épaule gauche.

Contraint à l’inactivité la semaine suivante, il revient ensuite en force en lançant six passes de touchés contre le Vert et Or, trois autres face aux X-men de l’Université St. Francis Xavier et une dernière contre les Carabins avant de tomber au combat en raison d’une blessure à une cheville. Il ne jouera ensuite qu’en demi-finale canadienne, mais se blesse de nouveau à l’épaule gauche.

« Je présentais mes meilleures statistiques en carrière avant de me blesser en milieu de saison, rappelle Groulx. C’est la seule année où je me suis blessé sérieusement et j’ai commencé à jouer à six ans! En même temps, cette blessure m’a permis d’être un père présent pour mon enfant. »

En l’absence de Groulx, Sanchez-Hernandez en profite pour s’établir comme une solution de rechange plus qu’acceptable et personne ne peut prédire qui sera le quart partant du Rouge et Or en 2008. Des joueurs doutent que Groulx retrouve son niveau d’antan, lui qui cogne souvent des clous lors des réunions d’équipe. Il ne perd jamais le fil, mais peine à sauver les apparences.

« Mettez-vous simplement à ma place... j’étais père d’une jeune enfant et j’étais loin de ma ville natale, relativise Groulx. Je peux très bien comprendre la réaction de certains de mes coéquipiers, d’autant plus que Cesar avait joué de bons matchs. Je devais refaire mes classes. »

Au camp d’entraînement, Groulx a évidemment Sanchez-Hernandez dans les pattes, mais aussi le nouveau venu Bruno Prud’homme, un héros local provenant des Élans du Cégep Garneau. Ce dernier a droit au même nombre de répétitions, sauf que le vétéran démontre sa supériorité.

Groulx mène ensuite le Rouge et Or à un dossier parfait en saison régulière et à la conquête de la coupe Vanier. Qui plus est, ses 2385 verges et 12 touchés lui permettent d’enlever le trophée Hec Crighton remis au joueur par excellence du circuit universitaire canadien. Il devient ainsi le premier joueur d’une université québécoise à mériter pareil honneur depuis 1969. À ce jour, il est le seul membre de la glorieuse histoire du Rouge et Or à pouvoir se vanter d’un tel exploit.

Mais lorsque Groulx se retourne un instant pour regarder tout le chemin parcouru, ce ne sont pas les trophées et autres honneurs qu’il voit. Ce qui lui saute aux yeux, ce sont davantage les amitiés nouées avec tous ses anciens coéquipiers, sa passion du football qu’il enseigne aux jeunes du Collège Charles-Lemoyne et, plus important encore, le sourire de sa magnifique Emma maintenant âgée de douze ans et celui de tous ses autres enfants. C’est tout ce qui importe...

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