PARIS, France - La conclusion du contentieux entre Caster Semenya et la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) pourrait révolutionner la définition des catégories hommes/femmes dans le monde du sport, sur fond de grands débats éthiques, médicaux et scientifiques soulevés par le nouveau règlement sur les athlètes hyperandrogènes.

Depuis 10 ans, le droit à concourir dans la catégorie féminine de Semenya, athlète sud-africaine hyperandrogène, double championne olympique (2012, 2016) et triple championne du monde du 800 m, est remis en question par l'IAAF.

La redéfinition du genre par le sport

Pour l'état civil, Semenya est une femme. Mais pour la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF), les femmes comme Caster Semenya, avec des attributs masculins venant d'une certaine différence du développement sexuel, sont des « hommes biologiques », une notion fermement contestée par le camp de la Sud-Africaine.

Pour l'IAAF, qui entend « protéger l'équité dans la catégorie féminine », « la biologie doit l'emporter sur l'identité » dans le contexte du sport.

« Est-ce que l'IAAF a la légitimité pour définir le sexe d'une personne, aller à l'encontre de l'état civil?, s'interroge l'anthropologue Philippe Liotard, spécialiste des discriminations dans le sport. Ce règlement a pour conséquence de juger l'identité d'une personne ».

« Le sport a été construit sur cette dichotomie entre hommes et femmes, sur une conception binaire des sexes », note la sociologue Béatrice Barbusse, auteure du livre « Du sexisme dans le sport » (Anamosa).

Or, « il n'y a pas de rupture biologique entre les hommes et les femmes, mais une continuité, car il existe des individus, comme Caster Semenya, qui ne se situent ni d'un côté ni d'un autre ».

« On peut imaginer dans 50 ans que l'on soit arrivé à un niveau sociétal suffisamment élevé pour accepter qu'il n'y ait plus de catégorisation de genre obligatoire. Cette affaire peut bousculer complètement l'organisation du sport de demain. »

D'ici à ce que cette prédiction se réalise vraiment, l'IAAF adopte un règlement reconnu comme « discriminatoire » par le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui l'a toutefois estimé « nécessaire, raisonnable et proportionné » dans sa décision rendue le 1er mai.

Alors que seul l'athlétisme s'est officiellement prononcé sur ce sujet épineux, le CIO a créé un groupe d'experts chargé de réfléchir à la question.

Validité scientifique contestée

L'IAAF fonde son règlement sur une étude contestée par plusieurs scientifiques. 

Publiée en juillet 2017 dans le British Journal of Sport Medicine, l'étude des Dr Stéphane Bermon et Pierre-Yves Garnier s'appuie sur les Mondiaux de 2011 et 2013. En comparant les résultats du tiers de compétitrices avec la plus haute concentration de testostérone, à ceux du tiers de compétitrices à la plus faible concentration, elle conclut que les femmes avec un haut taux de testostérone ont un "avantage" significatif dans plusieurs disciplines, dont le 400 m, le 400 m haies, le 800 m, le saut à la perche et le lancer du marteau.

À la tête de la contestation, les professeurs Roger Pielke, Ross Tucker et Erik Boye estiment après recherches que 17 à 33% des données sont erronées : des athlètes ou des chronos sont dupliqués par erreur, certains résultats ne correspondent à aucun résultat réel.

Ils ont obtenu de l'IAAF 25% des données utilisées pour l'étude, se plaignant de ne pas avoir accès à la totalité des données, alors que l'IAAF invoque le secret médical.

L'IAAF a admis des erreurs et a publié un nouvel article en 2018, également contesté, qui « confirme les résultats de 2017 avec une méthode statistique différente » selon la fédération.

L'éthique médicale

Pour réduire leur taux de testostérone, les athlètes concernées par le règlement peuvent subir une gonadectomie (ablation des gonades, à savoir les ovaires ou les testicules) ou suivre un traitement qui peut être hormonal, comme une pilule contraceptive.

Mais peut-on forcer des personnes qui ne sont pas malades à prendre des médicaments pouvant occasionner des effets secondaires? Non selon l'Association médicale mondiale (AMM), qui a appelé les médecins à boycotter le règlement de l'IAAF, craignant des traitements « injustifiés, non fondés sur une nécessité médicale ».

« Réduire le taux de testostérone à des niveaux féminins en utilisant une pilule contraceptive (ou un autre moyen) est la norme reconnue pour les personnes présentant une différence du développement sexuel 46XY avec une identité fémninine (concernées par le règlement, ndlr) », estime pour sa part l'IAAF.

« Les médicaments aident à changer le corps pour mieux refléter le choix du genre féminin », ajoute la fédération.

Un test de féminité?

Lorsqu'une athlète est soupçonnée d'être concernée par le règlement, elle doit suivre un examen clinique pour déterminer notamment sa sensibilité aux androgènes, autrement dit savoir si la testostérone a un effet important sur son corps.

Lors de cet examen l'athlète subit un test de « virilisation », où le praticien examine entre autres sa pilosité, le développement de sa poitrine mais aussi ses parties génitales (taille du clitoris,...).

Le TAS note dans son arbitrage qu'un tel examen « peut être pénible et malvenu même s'il est conduit avec le soin nécessaire », là où le camp Semenya dénonce un examen « subjectif et dégradant », qui masquerait un test de féminité.

Les experts témoins de l'IAAF assurent qu'il existe « une échelle reconnue du degré de virilisation [...] dont l'évaluation ne pose aucun problème pour un expert ».

Plus largement, plusieurs détracteurs du règlement dénoncent le ciblage des seules femmes possédant un chromosome Y.

« Cela rappelle les tests de féminité utilisés pendant plusieurs décennies », note devant le TAS le Dr Eric Vilain, conseiller du Comité international olympique (CIO) sur la question des sportives hyperandrogènes, qui qualifie ces tests de « désastre » scientifique.

À partir des années 1960, l'IAAF et le CIO avaient appliqué des tests de féminité : des examens des parties génitales puis des tests chromosomiques parfois suivis d'examens gynécologique. Décriés et coûteux, les tests ont été abandonnés dans les années 1990.