J’ai l’habitude de courir avant de venir au boulot à RDS. C’est ma routine depuis une vingtaine d’années. Hiver comme été, j’enfile mes chaussures et je sors. Ça lance bien ma journée. J’aime ce sentiment d’avoir accompli quelque chose pour moi.

Très rarement j’irai jogger en fin de journée. Et encore plus rarement tard le soir à la noirceur. Pourtant, lorsqu’il m’arrive de le faire, en pleine pénombre, j’ai toujours l’impression de courir plus vite qu’à mon rythme habituel, mais en fournissant le même effort. Les rues sont désertes et j’observe mon ombre projetée par les lampadaires. Je la devance, elle me devance. Pour ne pas perdre mon chemin, je longe la chaîne de trottoir.

Un ami coureur m’avait déjà parlé de sa préférence pour la course nocturne puisque, me disait-il, il se déplaçait à une vitesse beaucoup plus élevée qu’en plein jour. Mais puisqu’il ne porte jamais de montre GPS, il était incapable de me prouver ses dires. Le tout reposait uniquement sur sa perception.

Contrairement à lui, je ne sors jamais sans ma Garmin au poignet. J’ai des données quantifiables à vérifier. J’ai donc alterné mes sorties de course au cours des derniers jours (matins et soirs) en m’assurant que celles des fins de journées se faisaient en pleine noirceur.

Résultat : même si à chaque fois j’ai eu la franche impression de courir plus rapidement dans le noir, j’avais sensiblement la même allure qu’à la clarté! Pourquoi donc? Comment expliquer cette sensation de vitesse? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, lorsque je cours la nuit.

Une perception faussée

Lorsqu’il court, l’évaluation que le coureur fait de sa vitesse de déplacement est basée sur les éléments ou les objets qui l’entourent. Ainsi, en plein jour et en pleine clarté, il aperçoit la ligne d’horizon, les arbres d’un parc ou les maisons bien alignées sur les terrains de son quartier. L’espace est vaste et dégagé et il fixe un feu de circulation au loin, trouvant que ce dernier est long à rejoindre.

Frédéric PlanteLa nuit, les perceptions de ce même coureur sont totalement différentes. Impossible de voir plus loin que quelques mètres devant lui. La seule façon d’évaluer sa vitesse est grâce aux objets qui défilent rapidement tout près de lui! C’est son unique référence et cela lui procure une impression de vitesse.

Imaginez, par exemple, qu’on vous demande de traverser à la course un large champ d’herbes rases d’un kilomètre de long. Il n’y a pas d’arbres, pas d’animaux, pas de relief. Rien qui attire votre œil. Tout ce que vous voyez est un haut poteau installé au bout de ce champ plat sur lequel est fixé un drapeau à son sommet. Vous ne portez pas de montre GPS affichant votre vitesse. 

Après avoir à peine récupéré de votre course, on vous demande de traverser le même champ à nouveau. Cette fois, des milliers de spectateurs forment un étroit couloir à l’intérieur duquel vous allez courir. Vous êtes capable, simplement en étirant les bras, de leur toucher. Vous avez presque l’impression de devoir fendre la foule pour vous rendre à votre destination un kilomètre plus loin. Vous oubliez votre fatigue et filez comme le vent!

Après cette seconde traversée, il est certain que vous aurez l’impression d’avoir couru plus rapidement. Pourtant, un chronométreur officiel vous apprend que ce ne fut pas le cas. La vision que vous avez eue de tous ces spectateurs défilant rapidement de chaque côté de vous aura entraîné cette fausse perception. De la même façon, courir dans une vaste clairière entourée de montagnes inspirera moins une impression de vitesse que de courir en forêt entouré d’arbres ou en plein centre-ville au milieu des édifices.

Soulignons tout de même que certaines études suggèrent qu’un coureur peut éprouver une plus grande facilité à courir en fin de journée, mais pas nécessairement dans le noir. Cette impression serait plutôt due au fait que les muscles du corps et les articulations sont échauffées par les activités normales de la journée. C’est l’inverse de courir dès le saut du lit alors que les muscles froids sont encore courbaturés par l’inactivité de la nuit.

Quant à moi, je continuerai de courir le matin, maintenant que j’ai compris que la noirceur ne fait pas courir plus rapidement. Et si j’ai à le faire en fin de journée, je m’assurerai de commencer mon petit jogging juste avant le coucher du soleil. Ainsi, lorsque la noirceur sera bien installée, j’aurai l’impression de terminer mon entraînement en fendant l’air dans les rues de mon quartier!

Le meilleur des scénarios pour s’accrocher un sourire au visage.