MONTRÉAL - Il y a de ces drames qui bouleversent des vies. Et qui laissent des cicatrices qui ne guériront sans doute jamais complètement. Parlez-en à Sylvie Bernier.

Dix-sept ans après avoir été témoin impuissante de la noyade de son neveu Raphaël, cinq ans, lors d'une randonnée familiale en canot sur la rivière Nouvelle, en Gaspésie, la championne olympique accepte de revenir publiquement sur cet épisode traumatisant de sa vie dans le cadre d'un documentaire « Sylvie Bernier: le jour où je n'ai pas pu plonger », qui sera présenté samedi soir sur Ici Radio-Canada (22h30).

En parallèle, elle a procédé, lundi après-midi, au lancement d'un livre, Le jour où je n'ai pas pu plonger, un récit personnel émouvant où elle puise dans ses souvenirs de « ce jour noir » du 24 juillet 2002 et du lourd sentiment de culpabilité qui l'a rongée au fil des années qui ont suivi.

Accompagnée de sa famille et de celle de son frère, cette passionnée de plein air avait accepté d'agir à titre d'invitée d'honneur à l'occasion d'un souper-bénéfice au profit de cette rivière à saumon de la Baie-des-Chaleurs. Et quand on leur a proposé de participer à une excursion en canots, l'activité a suscité l'enthousiasme des cinq enfants des deux couples.

Par une journée radieuse, rien ne laissait présager que cette « simple petite balade » allait se transformer en cauchemar.

Sur une portion plus sinueuse de la rivière où le courant gagne en intensité, le canot de son frère Jean-François, dans lequel se trouvait Raphaël, a heurté un embâcle. Un remous a fait chavirer l'embarcation et l'enfant est demeuré coincé sous le canot, à deux mètres de profondeur. Le petit Raphaël n'a jamais pu remonter à la surface malgré son gilet de sauvetage.

Dans son livre, Bernier avoue que ce jour-là « quelque chose s'est brisé en moi ». Lors du dépôt du rapport du coroner, la famille avait exprimé sa volonté de sensibiliser la population aux dangers du canotage en eau vive sans encadrement adéquat. Mais il fallait attendre le bon moment.

« Ma douleur ne sera jamais celle des parents, reconnaît celle qui a remporté la médaille d'or au tremplin de trois mètres aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984. C'est la raison pour laquelle cela a pris 16 ans avant qu'on en parle publiquement avec ce documentaire et le livre. Il fallait que toute la famille soit prête. »

« Un deuil, c'est un processus avec des hauts et des bas. Et selon la personne, on le vit différemment. Il fallait respecter chacun. Il y a peut-être deux ou trois ans, nous avons senti que nous étions prêts à revenir sur cet épisode pour honorer la vie de Raphaël, pour qu'on fasse oeuvre utile à cette tragédie que nous avons vécue. »

Bernier a d'abord commencé en toute discrétion en s'engageant à titre de marraine du programme Nager pour survivre, de la Société de sauvetage du Québec, dont l'objectif est de sensibiliser les jeunes à la prévention des noyades.

« Et en 2015, nous avons décidé d'aller encore plus loin et de faire ce que j'avais dit après le dépôt du rapport du coroner, soit de sensibiliser la population à certains dangers si vous n'êtes pas bien encadré lors d'une activité guidée. »

En mode action

Pour le tournage du documentaire, Bernier est retournée, en compagnie de son conjoint, Gilles Cloutier, pour la première fois sur les lieux du drame en quête de réponses. Et les émotions étaient à fleur de peau.

« Ça rouvert la plaie, mais je pense que c'était essentiel. D'abord pour le documentaire, afin d'obtenir toutes les réponses aux questions que j'avais encore. Ensuite pour le livre qui est vraiment complémentaire. Ce livre, c'est mon histoire, comment j'ai vécu ce drame intérieurement. Mon coeur et mon âme est dans ce livre. Ainsi que tout le cheminement, la rage, la colère jusqu'à aujourd'hui. Et évidemment, la culpabilité qui m'a suivie pendant toutes ces années. »

Ce retour à la rivière Nouvelle lui a permis d'obtenir la réponse à la grande question qui l'a hantée si longtemps: aurait-elle pu sauver Raphaël si elle avait plongé pour tenter de le dégager?

« Les deux pieds dans l'eau là-bas, j'ai compris et je l'ai senti que si j'y étais allée, j'y serais restée moi aussi. Aujourd'hui, je vais bien et la culpabilité s'est dissipée. L'être humain étant très complexe, j'ai tout fait, surtout ces deux dernières années, pour m'enlever ce sentiment de culpabilité et le renverser positivement. Je suis désormais en mode action. La sortie du documentaire et du livre est une façon de surmonter le traumatisme, d'atténuer la souffrance. »

Dans le documentaire, on apprend aussi des conversations avec les experts qu'il reste encore beaucoup à faire pour rendre la pratique des activités de plein air plus sécuritaire.

« La portion qui m'a ébranlée, c'est lorsque j'ai su que, oui, l'industrie s'est prise en main depuis l'accident de Raphaël, mais c'est une approche volontaire. Par exemple, sur les 235 organismes qui offrent des activités guidées d'aventures de plein air au Québec, il y en a 135 qui sont membres d'Aventure Écotourisme Québec (AEQ). Il y en a donc une centaine qui exercent selon leurs propres règles. Il n'y a aucune législation ministérielle qui oblige cette industrie à offrir une activité qui allie qualité et sécurité. »

Son cheval de bataille est désormais de s'assurer que toute famille ou touriste qui participe à une activité le fasse dans les bonnes conditions, c'est-à-dire en disposant du bon équipement, de guides formés et certifiés et d'un plan d'urgence. Elle vise aussi à recueillir cinq millions $ au cours des cinq prochaines années pour assurer la pérennité du programme Nager pour survivre.

« Je ne veux pas avoir à 85 ans à aller cogner aux portes pour que nos enfants apprennent à nager », conclut-elle.