De l'affaire Froome à la crise russe, la lutte antidopage a été mise à rude épreuve en 2018. Son régulateur mondial, l'AMA, qui changera de présidence en 2019, reste une organisation fragile, au centre de lourds enjeux sportifs et géopolitiques.

C'est l'histoire d'un contrôle qui a mal tourné: il aura fallu neuf mois pour que l'Union cycliste internationale (UCI) détermine en juillet 2018 que Chris Froome n'avait pas enfreint les règles antidopage, en dépit de la présence excessive dans ses urines de salbutamol, le composant de la ventoline, lors d'une étape du Tour d'Espagne 2017. « Tout ça pour ça », a résumé le directeur du Tour de France, Christian Prudhomme.

Certes, le dossier était complexe scientifiquement, mais il laisse un goût amer, dû à un tempo catastrophique. D'abord interdit de départ par l'organisateur, Chris Froome a été blanchi à cinq jours du départ du Tour. L'UCI s'en est remise à l'Agence mondiale antidopage (AMA), qui a semblé capituler face à la puissance de l'équipe Sky et la menace de perdre un procès coûteux devant les tribunaux. Ce qu'elle a fermement réfuté.

« Marionnette du CIO »

Deux mois plus tard, l'AMA a été au centre d'un feu nourri de critiques, quand son comité exécutif a accepté la fin des sanctions contre la Russie, coupable de dopage d'Etat entre 2011 et 2015, l'un des plus grands scandales de l'histoire du sport.

Face aux accusations d'indulgence, l'agence basée à Montréal a défendu son compromis, le plus sûr moyen selon elle pour que Moscou livre les données de milliers de contrôles de son laboratoire remontant à l'époque du dopage d'Etat. Ainsi, l'AMA espère y voir plus clair et ouvrir des procédures disciplinaires contre des sportifs. Un processus qui s'annonce aléatoire, long et coûteux.

Alors, l'agence mondiale, née en 1999 sur les braises de l'affaire Festina, est-elle la « marionnette » d'un Comité international olympique (CIO) peu enclin à lutter contre le dopage, comme le répète le chef de l'antidopage américain, Travis Tygart? Sans aller jusque-là, des acteurs demandent de revoir le partage des pouvoirs entre le mouvement olympique et les gouvernements, piliers et bailleurs de fonds de l'agence, pour lui donner plus d'indépendance.

« Même s'ils disent qu'ils n'ont à coeur que la lutte antidopage, il est impossible pour des membres du CIO de ne pas penser à ce qui est bon pour les JO et à leur succès, ou à des membres de gouvernement de mettre la géopolitique de côté, face à la puissance de la Russie », plaide auprès de l'AFP le directeur l'organisation des agences nationales antidopage, (iNADO), Graeme Steele.

Indépendance

L'AMA a apporté un début de réponse: deux membres indépendants vont rejoindre son comité exécutif, et à partir de 2022, son président pourra être indépendant des pouvoirs olympique et politique.

Avant cette échéance, un nouveau président issu des gouvernements doit être élu en novembre 2019, pour trois ans. Beaucoup parient qu'aucun des deux candidats déclarés, entre la Norvégienne Linda Helleland et le Polonais Witold Banka, ne sortira du lot.

Mais se contenter de clouer au pilori le régulateur, c'est refuser de voir les autres problèmes de la lutte antidopage, estime aussi Fabien Ohl, professeur à l'Institut des sciences du sport de Lausanne.

« Il y a souvent une méprise sur le rôle de l'AMA. C'est une agence de coordination et de régulation, un instrument de mise aux normes des agences nationales, des laboratoires, ce qui est indispensable. Mais l'AMA n'a pas de pouvoirs de police comme un Etat », souligne-t-il.

« Entre une agence qui a un budget annuel d'environ 30 millions de dollars et un Etat qui mobilise les services secrets comme la Russie, ce n'est pas une lutte à armes égales », ajoute Fabien Ohl. Malgré ce rapport de forces, le service d'enquêtes de l'AMA a déterré en avril une nouvelle affaire de corruption touchant le sommet de la fédération internationale de biathlon (IBU). Sur fond de dopage en Russie, encore.

Et les revers dans la lutte antidopage n'ont pas concerné que l'AMA en 2018. En février, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a annulé totalement les sanctions de 28 des 43 sportifs russes suspendus par le CIO en vue des JO de Pyeongchang pour avoir profité du système de dopage d'Etat lors des JO de Sotchi-2014. Finalement, 169 Russes ont participé aux Jeux sud-coréens sous drapeau neutre.