Je vous raconte aujourd’hui l’histoire d’un véritable phénomène de la course à pied.

Je ne vous apprends rien, courir un marathon est un exploit. Pour que quelqu’un puisse en venir à franchir la distance de 42,2 kilomètres à la course nécessite un entraînement rigoureux échelonné sur plusieurs mois. C’est la raison pour laquelle il est recommandé de prendre un repos salvateur après avoir complété ce genre d’épreuve. La moyenne des coureurs participera ainsi à un ou deux marathons par année. Au-delà de cette fréquence, le risque de blessures augmente rapidement.

Si franchir le fil d’arrivée d’un marathon en moins de trois heures est un autre exploit digne de mention, le faire en moins de 2 h 30 relève d’un travail acharné et est l’apanage de l’élite. Après cela, chaque petite minute gagnée au chrono est le résultat d’un dévouement total et d’une prédisposition physique innée.

Le 1er janvier dernier, le Japonais Yuki Kawauchi a complété le Marathon de Marshfield, au Massachusetts, par un froid polaire de -17 degrés Celsius (sans les vents)! Des conditions climatiques difficiles qui ne l’ont pas empêché d’être le seul des trois inscrits sur la distance à franchir la totalité du parcours. Son chrono final: 2 h 18 : 59. Une performance digne du grand coureur qu’il est.

Lorsque vient le temps d’évoquer les noms des meilleurs coureurs de fond de la planète, on pense souvent à ces merveilleux athlètes africains qui gagnent les plus importantes et lucratives des courses avec, au passage, des records du monde de vitesse. L’actuel record du monde du marathon appartient au Kényan Dennis Kimetto (2 h 02 : 57). Mais notre belle terre est vaste et il serait imprudent de croire que les Kényans ou les Éthiopiens sont les seuls à pouvoir courir longtemps et rapidement.

Kawauchi fait partie de ces marathoniens qui se classent régulièrement dans le top-10 des courses prestigieuses, mais qui passent sous le radar puisqu’ils ne grimpent pas sur le podium, hormis lors d’épreuves où les meilleurs coureurs élites sont absents. Toutefois, sa course en début d’année lui a permis d’établir un record qui sera difficile à battre. D’autant plus qu’il a l’intention de continuer de l’améliorer.

Yuki KawauchiIl a battu le record du plus grand nombre de marathons courus par un athlète en moins de 2 h 20. Il s’agissait de sa 76e réalisation. Il a ainsi relégué aux oubliettes la marque de l’Américain Doug Kurtis. Malgré le froid et la chaussée parfois glissante, le phénomène japonais a couru la première moitié de sa course en 1 h 10 : 29 avant d’enchaîner une seconde partie encore plus rapide (negative-split) en 1 h 08 : 30. C’est une moyenne de 18,22 km/h. Ouf!

S’il est malheureusement encore peu connu sur la scène internationale, Kawauchi est une star dans son pays. Fonctionnaire de métier à temps plein, il épate par sa formidable régularité. Âgé de 30 ans, ce coureur amateur participe à plusieurs marathons par année tout en parvenant à garder un rythme de course très élevé. Un double exploit!

Le 3 décembre dernier, il a couru le marathon de Fukuoka en 2 h 10 : 53. Seulement deux semaines plus tard, il remportait un autre marathon japonais, celui de Hofu Yomiuri, en 2 h 10 : 03. Puis deux semaines plus tard, voilà qu’on le retrouve au Massachusetts pour courir dans le froid. En carrière, il compte 16 courses en moins de 2 h 10, une de moins que l’Éthiopien Tsegay Kebede. Un autre record qu’il a dans sa ligne de mire. Après tout, son meilleur temps à vie est de 2 h 08 : 41.

Pourquoi donc ce sympathique Japonais s’est-il retrouvé dans une course aussi discrète que froide le premier janvier? C’est qu’il a l’intention de prendre part au prochain marathon de Boston, en avril, et qu’il souhaitait planifier cette course et établir des contacts pour le plus prestigieux des marathons en participant à une épreuve en Nouvelle-Angleterre.

Avant de penser à la retraite, Kawauchi souhaite établir des standards qui seront pratiquement impossibles à surpasser. Il a déjà annoncé qu’il voulait courir cent marathons en moins de 2 h 20 avant le début des Jeux olympiques de Tokyo le 24 juillet 2020. Faites le calcul, cela lui laisse 30 mois et demi pour terminer 24 autres courses à un rythme d’enfer sur cette distance mythique.

C’est faisable mathématiquement. Mais il faut bien comprendre que d’aligner autant de marathons en aussi peu de temps va au-delà de toute logique de récupération et d’entraînement. Le danger de blessures est grand et celui de fatigue extrême encore plus.

Il ne serait pas étonnant de voir Yuki Kawauchi être un des derniers porteurs du flambeau olympique lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Tokyo. Il possède ces qualités si chères dans le cœur des Japonais : la détermination, le dévouement, la discipline et une certaine forme de sacrifice. Des qualités qui sont bien utiles à un coureur voulant laisser sa marque dans le grand livre d’histoire de la course à pied.