Le Québec est une nation pleine d’êtres légendaires. Louis Cyr est associé à la force, Maurice Richard au hockey, la Bolduc aux chansons et le géant Beaupré aux colosses! La liste des hommes et femmes ayant marqué une époque par leurs exploits est longue.

 

Mais pour être véritablement une légende, une certaine aura de mystère doit planer sur celui ou celle ayant frappé l’imaginaire de manière à ce qu’avec le temps, la simple tradition orale bonifie ses exploits à un point tel qu’il ou elle devienne un être hors du commun.

 

La course à pied québécoise a également son personnage de légende, mais il est malheureusement peu connu. Le nom d’Alexis Lapointe dit le Trotteur vous est peut-être familier, mais le connaissez-vous vraiment? Qu’a-t-il fait pour obtenir ce surnom étonnant de « Trotteur »?

 

Alexis le TrotteurJe vous parle de lui car en faisant du ménage dans de vieux magazines à la maison, je suis tombé sur des Vidéo-Presse, une revue québécoise dans laquelle j’aimais lire, lorsque j’étais encore un gamin à la fin des années 70, la bande dessinée inspirée de cet homme ayant vécu il y a un siècle. Des recueils complets furent même publiés.

 

Le groupe Mes Aïeux lui a dédié une chanson (Train de vie). Des conteurs québécois relatent ses exploits de coureurs et différents projets artistiques ont été directement inspirés par lui. Une rue, un pont et d’autres lieux de la province portent son nom. Pourtant, à sa mort à l’âge de 64 ans en 1924, c’est dans un anonymat complet qu’il fut enterré dans une fausse commune au cimetière de La Malbaie.

 

Courir comme un cheval

 

Alexis Lapointe est né le 4 juin 1860 à Saint-Étienne-de-La-Malbaie, aujourd’hui Clermont, dans la région de Charlevoix. Il n’était pas un enfant qui brillait par son intelligence, certains témoins oculaires de l’époque le décrivant comme un simplet. Médiocre à l’école, il savait à peine écrire son nom.

 

À son adolescence, il avait l’habitude de se fouetter les jambes avec une branche d’arbre et de hennir, convaincu qu’il était un cheval, un animal qu’il tenait en admiration. Il allait jusqu’à manger de l’avoine pour s’en rapprocher encore plus. C’est à partir de cette époque qu’il commença à courir sur de longues distances pour le plaisir. La plupart du temps, face à des cavaliers devant traverser de larges territoires sur leurs montures. Des paris étaient pris et ceux qui misaient sur le Trotteur gagnaient presque toujours.

 

Alexis le TrotteurC’est du moins ce que prétend sa légende, car il est difficile de départager le vrai du faux. On sait qu’il mesurait cinq pieds et sept pouces, était doté d’une large cage thoracique, de grandes épaules et de longs bras en plus d’avoir des jambes musclées. Un physique qui lui aurait permis de devancer des chevaux, des chiens, des voitures, des trains et même des navires!

 

Il aurait ainsi couru 146 kilomètres en 12 heures entre La Malbaie et Bagotville pour devancer son père qui y allait en bateau. Il aurait déjà couru 240 kilomètres en une seule journée grâce à sa grande foulée et son endurance hors de l’ordinaire. Il pouvait danser sans se reposer toute une nuit. Il était un excellent sauteur et aucune clôture ne lui résistait. On le payait régulièrement pour des démonstrations de course à pied. Des exploits qui faisaient plus rire qu’autre chose à l’époque. Pourtant, des années après sa mort, des historiens s’étant penchés sur ses performances avancèrent qu’il était un formidable athlète et qu’il n’aurait certainement pas mal paru au premier marathon des Jeux olympiques moderne, en 1896, en Grèce.

 

Ces historiens se basèrent évidemment sur les exploits de course émanant du discours populaire et que ce « Cheval du Nord » aurait réalisé, mais également sur des faits réels et vérifiables : son squelette!

 

Une exhumation révélatrice

 

En novembre 1966, les ossements d’Alexis Lapointe sont exhumés au cimetière de La Malbaie par Jean-Claude Larouche, un étudiant universitaire de premier cycle en éducation physique. Un travail ardu puisqu’aucune pierre tombale n’indiquait le lieu exact où reposait son corps. Les conclusions de ses analyses rendues publiques cinq ans plus tard révélèrent que le coureur québécois avait un physique d’athlète exceptionnel. La légende d’Alexis le Trotteur faisait un grand bond vers l’avant!

 

Alexis le TrotteurSon squelette fut longtemps exposé au Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean à Chicoutimi avant de déménager au Musée de la pulperie. Au fil des années, des milliers de visiteurs se déplacèrent pour admirer les ossements et des objets ayant appartenu à ce coureur d’un autre temps. 

 

Ce spectacle ne plut pas à tout le monde et des voix se firent entendre réclamant une sépulture plus noble pour la dépouille d’Alexis Lapointe. Devant la pression populaire, le musée retournera les os du Trotteur à la municipalité de Clermont où ils seront inhumés en novembre 2009.

 

Une légende en héritage

 

Aujourd’hui que reste-t-il d’Alexis le Trotteur outre une plaque tombale et un lieu de recueillement pour ceux qui y font face? Pas grand-chose.

 

La vague de popularité de la course à pied des années 70 et 80 avait grandement contribué à la croissance de la renommée dans la tradition québécoise de ce petit homme issu d’un milieu modeste au XIXe siècle doté d’une aptitude exceptionnelle pour la course à pied. S’il est impossible de prouver la véracité de ses exploits de coureur et de sauteur, il est légitime de croire qu’ils reposent sur un fond de vérité appréciable.

 

Au cours des dix dernières années, la course à pied a connu un nouvel engouement au Québec. Il serait intéressant de voir la création d’une course portant le nom d’un des tout premiers « coureurs élite » de la province. Une belle manière de s’assurer que le souvenir d’Alexis Lapointe continuera de trotter dans nos pensées encore longtemps. Après tout, il est l’être de légende des coureurs du Québec.