MONTRÉAL – Le gouvernement du Québec ne veut plus avoir à revivre des scandales comme celui de l'entraîneur de ski alpin Bertrand Charest, ou encore celui plus récent impliquant l'équipe nationale de natation artistique.

En ce sens, la ministre déléguée à l'Éducation et ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, a annoncé une politique en matière de protection de l'intégrité, qui inclut un mécanisme indépendant de la gestion des plaintes d'abus et de harcèlement.

« Cet énoncé, c'est une réponse directe à des histoires terribles qui ont terni le parcours de plusieurs athlètes. Je pense notamment au tristement célèbre cas Bertrand Charest, qui nous a tous indignés. (...) L'objectif, c'est de protéger l'intégrité de toutes et de tous, une responsabilité qui sera partagée entre le gouvernement et les fédérations sportives. Ça va permettre de placer le bien-être des victimes au centre des interventions », a déclaré Mme Charest, en conférence de presse.

Un poste d'officier indépendant de traitement des plaintes a donc été créé. Il aura pour mandat de traiter les plaintes en provenance de toutes les fédérations sportives québécoises - peu importe le niveau des athlètes impliqués.

Selon Mme Charest, « il s'agit d'un immense pas vers l'avant » puisque jusqu'ici, la gestion des plaintes relevait des diverses fédérations selon « une géométrie variable ».

« Les ressources ne seront pas reliées aux fédérations sportives. De plus, ces ressources seront constituées de gens qui sont habitués à traiter des plaintes et des signalements sur des actes répréhensibles. Tout ceci contribuera à obtenir l'indépendance (du processus) qu'on recherche », a expliqué Sylvain B. Lalonde, président-directeur général du Regroupement Loisir et Sport du Québec.

L'officier pourra notamment informer la Direction de la protection de la jeunesse si un dossier d'abus implique un athlète d'âge mineur, et aura la possibilité de judiciariser le processus - si nécessaire.

Les victimes d'abus ou de harcèlement pourront déposer une plainte en remplissant un formulaire qui sera disponible en ligne, sur le site de chacune des fédérations sportives québécoises, ou encore de manière verbale par l'entremise de l'organisation Sport'aide.

« Un grand pas dans la bonne direction. Bravo! », a renchéri sur Twitter Dominick Gauthier, le cofondateur de B2Dix, un organisme qui a révolutionné le financement du sport d'élite au Canada.

« Ça ne changera rien »

Mme Charest, ainsi que les autres intervenants, ont rappelé que tous les athlètes québécois, qu'ils évoluent sur la scène provinciale, nationale ou internationale, pourront y faire appel en tout temps pour loger une plainte.

Sauf que les éventuelles sanctions qui pourraient être imposées ne s'appliqueront qu'au Québec, pour l'instant. Mme Charest précise cependant qu'elle a bon espoir de voir un jour cette nouvelle politique être entérinée par Ottawa.

« Des travaux se font avec le gouvernement fédéral. Nous sommes des précurseurs, donc évidemment on va espérer que le fédéral emboîte le pas. Mais c'est sûr que les recommandations qui seront émises (par l'officier) pourront servir aux fédérations nationales. (...) Nous souhaitons donc qu'un arrimage (avec le gouvernement fédéral) se fasse le plus rapidement possible », a-t-elle dit.

C'est une lacune aux yeux de l'ex-nageuse artistique Geneviève Peel, qui a raconté sur son blogue en ligne avoir vécu de la violence verbale et psychologique.

« Pour être bien honnête, je pense que cette politique-là ne changera rien, a-t-elle confié en entretien à La Presse Canadienne. Je viens de ce milieu-là, et je crois que dans les sports qui sont jugés, et où le processus de sélection est basé sur des critères aléatoires, alors ton avenir sportif dépend du fait qu'on t'aime. Il faut que tu sois le bon petit gars ou la bonne petite fille qui fait ce qu'on te dit.

« En conséquence, c'est sûr que tu ne veux pas être la personne qui dénonce, même si c'est anonyme. Et même si tu peux le faire auprès d'un troisième parti, d'un évaluateur externe, et bien, s'il n'a pas les moyens de faire changer les choses, alors tout ça ne servira à rien », a ajouté l'étudiante en médecine à l'Université McGill, en référence au fait que la politique québécoise n'a pas juridiction sur les fédérations sportives nationales.

Peel, qui a été sélectionnée quatre fois dans l'équipe Québec, prévient qu'il faudra du temps pour changer "un climat ancré dans le sport depuis tellement longtemps". Car, dit-elle, les athlètes hésitent encore à dénoncer par peur de représailles de la part des fédérations.

« Cette culture-là va mettre beaucoup de temps à changer. Et elle ne changera pas tant que les athlètes sentiront que leur carrière dépend du bon vouloir d'un entraîneur ou des décideurs des fédérations, qui sont des gens qui perpétuent parfois l'abus », a-t-elle résumé.

Peel a ajouté que de nombreux athlètes, l'incluant, aimeraient que cette politique soit rétroactive, de manière à ce qu'on reconnaisse le tort qui a été posé.

« Il faut qu'on reconnaisse qu'il s'est passé des choses, qu'on a laissé des athlètes souffrir en silence, être victimes de violence, et qu'on ne les a pas supportés. Il faut qu'on reconnaisse qu'on les croit, et qu'on va prendre des actions concrètes pour changer les choses », a-t-elle insisté.

Cette politique entrera officiellement en vigueur à compter du 1er février 2021, a-t-on précisé.

Pas de progrès en zone rouge

Par ailleurs, Mme Charest a annoncé un investissement de 1,4 million $ afin de favoriser la sécurité dans les loisirs et le sport.

Parmi les mesures annoncées, il y aura la création d'une chaire de recherche unique au Canada, qui sera dirigée par Sylvie Parent, professeure titulaire au Département d'éducation physique de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

De plus, ces sommes serviront à soutenir Sport'aide et à financer les initiatives servant à prévenir les accidents et la violence, ainsi que l'équilibre mental et physique des athlètes.

Mme Charest a aussi réitéré son message d'espoir en vue de la relance des sports organisés en indiquant qu'elle « continue de discuter avec la Direction de la santé publique ». Aucune annonce significative n'a toutefois été faite en ce sens.

« Je n'ai pas abdiqué, les travaux se poursuivent. Des adaptations sont encore possible, pour qu'on ait une petite reprise », a-t-elle évoqué, en précisant que l'emphase sera mise sur le sport chez les jeunes.

« Mais la directive est très claire pour tout le monde. En zone rouge, on ne peut pas avoir de pratiques organisées, ni de rassemblements. Tout le monde doit respecter ces règles », a conclu la ministre.