OTTAWA - Un an avant d’être désigné comme le lanceur partant au match des étoiles de la Ligue Can-Am, qui aura lieu ce soir à Ottawa, Phillippe Aumont avait décidé qu’il en avait assez du baseball.

Il avait été le jeune surdoué de Gatineau, le choix de première ronde au repêchage du baseball majeur, l’espoir de premier plan des Mariners de Seattle, le releveur des Phillies de Philadelphie. Il avait été tout ça.

Puis à l’âge de 27 ans, auto-éjecté du réseau de filiales des White Sox de Chicago, il n’était plus que Phillippe Aumont. Rôle à déterminer. Avenir à définir. Toute une vie devant lui et beaucoup, beaucoup de questions.

« Quand je suis revenu, j’avais tout le temps du monde entier. Au début, je ne savais pas quoi faire. Je pense que pendant les deux premières semaines, je ne suis pas sorti une fois de la maison. »

Les longues jambes du lanceur de 6 pieds 7 pouces dépassent du petit sofa deux places installé dans le bureau d’Hal Lanier, son gérant. Une balle aux coutures écarlates émerge périodiquement de son énorme main droite pour aller frotter le cuir d’un gant qui a, pendant la majeure partie de sa vie, été la prolongation de son bras gauche. Quand il l’avait rangé, ce gant, à son retour prématuré dans sa maison de Val-des-Monts, il ne savait plus trop s’il l’utiliserait de nouveau un jour.

Dehors, la pluie qui s’abat sans relâche depuis des heures a forcé l’annulation du concours d’habiletés qui devait opposer les vedettes locales aux meilleurs joueurs de l’Association américaine de baseball. Aumont nous reçoit donc sous les gradins du Parc RCGT, dans le vestiaire où il a trouvé refuge il y a quelques mois déjà. L’été est exécrable à Ottawa, se plaignent les habitués de la place. Mais dans la tête du grand Gatinois, il y a un moment que la tempête s’est calmée.

« Je n’étais pas déprimé, précise-t-il quand il repense à sa décision de quitter le baseball affilié presqu’un an jour pour jour après avoir lancé pour la dernière fois dans les majeures. C’était juste un soulagement. J’étais soulagé d’être à la maison. Ça faisait du bien d’être sorti de ce qu’on appelle souvent entre nous le "cancer". J’étais pogné là-dedans. J’étais pogné avec et c’était dur de le sortir. »

Aumont avait 18 ans quand il est devenu le premier choix de première ronde québécois de l’histoire du baseball majeur. La décennie qui a suivi l’a vu user ses crampons sur des centaines de monticules dans l’espoir de combler les attentes placées en lui. La pression de réussir peut être difficile à supporter, même pour des épaules aussi larges. La compétition malsaine et l’égoïsme toxique des ligues mineures. Les ordres inflexibles des patrons pour qui vous n’êtes qu’un numéro. Cette absence presque totale d’empathie, cette discipline quasi-militaire.

Tout ça peut devenir très lourd quand tout ce qu’on veut, dans le fond, c’est jouer au baseball.

« Je ne m’en souviens plus », lâche cyniquement Aumont quand on lui demande de penser à la dernière fois où il avait éprouvé du plaisir sur un terrain de baseball avant d’enfiler l’uniforme des Champions d’Ottawa.

« Tu sais, il n’y a pas juste moi dans la vie qui a des problèmes. Tout le monde a son propre bagage. La plupart du temps, il faut que tu passes à travers, que tu continues de foncer. Je l’ai fait pendant longtemps. À moment donné, je n’avais juste plus d’énergie pour ça. »

« All right, il faut que je me déniaise »

En français, on pourrait parler d’« introspection ». Son équivalent anglais illustre toutefois plus poétiquement l’exercice auquel s’est prêté Phillippe Aumont après avoir décroché du baseball. Soul-searching. Comme une recherche à l’intérieur de l’âme.

« Il faut que tu trouves quelque chose d’autre, mais la question, c’est "Qu’est-ce que je me vois faire?". J’ai mon diplôme d’études secondaires, mais après ça, je suis parti. J’ai toujours été un joueur de baseball, c’est la seule chose que je connais. Je suis capable de me débrouiller avec un marteau, je suis capable de me débrouiller avec une auto, je suis capable de me débrouiller avec plusieurs choses. Mais je n’ai pas les connaissances requises pour aller travailler quelque part. Alors c’est sûr que tu t’assois là et tu me mets à penser. Qu’est-ce que je peux faire? Qu’est-ce qui serait bon pour moi? Quand tu as 27-28 ans et que c’est la première fois que tu te poses ces questions-là, c’est sûr que c’est un peu angoissant. »

Aumont a pensé devenir policier, un métier dans lequel il s’imaginait retrouver le même genre de confrérie qu’au baseball. Le travail d’équipe, la camaraderie, la solidarité, l’entraide. Ce qui l’avait toujours allumé dans le sport pouvait certainement lui être accessible par une autre avenue. Avec le temps, cette idée s’est estompée.

Il a investi dans l’immobilier. Avec un partenaire, il est devenu propriétaire d’une friperie à Gatineau. Il a aussi commencé à consacrer plus de temps au programme de baseball sport-études de l’école polyvalente Nicolas-Gatineau dirigé par Stéphane Pétronzio et Sébastien Boucher.

Quand est venu le temps de préparer sa troisième saison avec les Champions, dont il était le voltigeur de centre et l’entraîneur des frappeurs, Boucher s’est mis dans la tête de recruter Aumont, qui n’était toutefois pas encore prêt à considérer une réconciliation.

« Au début, ça ne m’intéressait pas. Plus tard, il est revenu à la charge en me disant qu’une place de vétéran venait de se libérer et que l’équipe avait besoin d’un lanceur. Je n’ai même pas répondu, mais ça a commencé à mijoter dans ma tête. À moment donné, j’ai fait "all right, il faut que je me déniaise". »

Depuis le mois d’avril, Aumont porte le numéro 55 pour les Champions. Il est l’un des partants de l’équipe en plus d’occuper les fonctions d’entraîneur des lanceurs.

« Vu que j’ai quand même eu des hauts et des bas, j’en ai passé des heures à pratiquer. J’en ai fait des drills, j’ai essayé toutes sortes d’affaires. Ça, c’est mon bagage d’expérience que je peux amener à ces gars-là. Quand je les vois qui ont de la misère avec certaines choses, je peux leur donner plus qu’un truc. Je peux leur montrer plus qu’une façon d’essayer certaines choses. »

Prêt pour une deuxième chance

Près des terrains où il a grandi, Phillippe Aumont a finalement retrouvé le plaisir de pratiquer un sport qui lui avait tourné le dos. L’espoir d’une promotion, la menace d’une rétrogradation et tous les effets pervers qui en découlent sont disparus. Le poids des statistiques personnelles ne l’écrase plus. Tant que l’équipe gagne, tout le monde est heureux, lui le premier.

« Ça a pris du temps à débloquer, mais ça a fait du bien. En ce moment, j’ai du fun, je suis positif. Il n’y a pas grand-chose qui me rend de mauvaise humeur. Des fois, c’est mieux de partir complètement, d’essayer d’effacer le mauvais, de te changer les idées. Il y a beaucoup de choses qui se passent sur un terrain de balle avec lesquelles je n’aurais pas été capable de dealer avant. »

Aumont ne brûle pas la Ligue Can-Am. Il a lancé un match sans point ni coup sûr en début de saison contre une équipe de la République dominicaine, mais en neuf départs, il montre une fiche de trois victoires et autant de défaites. Sa moyenne de points mérités s’élève à 4,68. En 57 manches et deux tiers, il a retiré 49 frappeurs sur des prises et accordé seulement onze buts sur balles.

« C’est sûr qu’il y a des soirées où je me dis que j’aurais pu m’en sortir beaucoup mieux que ça, mais en même temps, le résultat final ne me dérange pas. Mon but, c’est de faire mentir ceux qui pensent que je ne suis pas capable de lancer des prises, que je ne suis pas capable de lancer un match sans donner six buts sur balles, que je ne suis pas capable de lancer six, sept ou huit manches régulièrement. À date, je pense que je le fais super bien. Tu vas en perdre, tu vas en gagner. Ça fait partie de la game. »

Sa mentalité transformée et sa maturité nouvellement acquise le font rêver à un retour dans les ligues majeures. Il se dit qu’une équipe aura peut-être besoin d’un bras frais et puissant en août ou en septembre, mais de façon plus réaliste, il aimerait qu’on lui offre une seconde chance lors des prochains camps d’entraînement. Physiquement, il aura eu tout un hiver pour se préparer sérieusement. Et dans sa tête, il aura fait le ménage nécessaire pour aborder la suite de sa carrière dans le bon état d’esprit.

« Je suis rentré dans ce monde-là un peu naïf. Moi, je m’en allais jouer au baseball. Je lançais une balle. Je n’avais pas vraiment de connaissance sur la business qui venait avec. Quand un paquet de nouvelles choses arrivent, tu n’es pas toujours en accord avec ça. Moi, je gardais ça pour moi. À moment donné, ça s’accumule et c’est fatigant. Des fois, tu pètes une bulle sans trop savoir pourquoi. C’est difficile d’avoir une vie stable. Tu n’es pas vraiment conscient de ce qui se passe, mais ça affecte tout, même ta vie personnelle. Je pensais que ça allait être facile, que tout allait couler, que tout le monde autour comprendrait. Je me suis rendu compte que bien du monde n’avait aucune idée. »

Aumont se lève et marche à son casier. D’un sac à dos, il retire un recueil de pensées assez petit pour tenir dans ses paumes. Il en lit une par jour. Il l’admet, les best-sellers, ce n’est pas son fort. Mais celui-là l’aide à trouver les réponses aux questions qui, réalise-t-il peut-être mieux aujourd’hui, n’arrêteront jamais de surgir.

« J’ai pris de l’expérience et j’ai réalisé bien des choses. J’ai trouvé des moyens pour gérer mes affaires et c’est sûr que cette fois, ça serait complètement différent. Aujourd’hui, je garde les bonnes émotions et je laisse aller le reste. »