MONTRÉAL – Le 27 juin 2002, un jeune directeur général, qui faisait ses armes depuis seulement un an, avait – si on peut le dire ainsi – arnaqué les Expos de Montréal et Omar Minaya avec un coup fumant sur le marché des transactions.

Puisque Minaya et les Expos cherchaient désespérément à se rapprocher de leurs rivaux, ils avaient accepté de céder Lee Stevens ainsi que les prometteurs espoirs Cliff Lee, Grady Sizemore et Brandon Phillips en retour du lanceur partant Bartolo Colon.

L’expérience de Colon avec les Expos n’avait duré que quelques mois alors qu’il avait été échangé aux White Sox de Chicago.

Par la suite, Lee, Phillips et Sizemore ont tous connu des carrières de haut niveau poussant ainsi cette transaction comme l’une des plus désavantageuses pour les Expos qui avaient sacrifié des pièces importantes.

Ce dirigeant qui avait flairé l’occasion, ce n’était nul autre que Mark Shapiro, le nouveau président des Blue Jays de Toronto. Shapiro en a ri un bon coup quand le collègue Jean-Luc Legendre lui a rappelé le tout.

« Je ne m'attendais pas à cette question », a-t-il répondu avec un grand sourire.

« C'était un gros échange qui a été difficile à accepter à Cleveland parce que nous donnions Colon pour Lee Stevens et trois joueurs des ligues mineures inconnus du public. Finalement, ils sont devenus des joueurs étoiles », a mis en perspective un Shapiro encore fier de ce geste audacieux.

D’ailleurs, cette transaction lui a enseigné une leçon importante : en tant que dirigeant dans le monde du sport, il ne faut pas hésiter à procéder à une décision de taille quand on y croit, et ce, même si elle est impopulaire et à contre-courant.

Étrangement, le Québécois Denis Boucher faisait partie de l’organisation des Expos au moment de la transaction et il avait connu Shapiro alors qu’il jouait pour les Indians quand celui-ci avait été embauché dans un rôle administratif en 1992.

« Omar Minaya essayait de gagner et attirer du monde au Stade olympique. Bartolo était dans ses bonnes années donc on a donné beaucoup d’avenir, on a vidé nos filiales dans ces années-là. J’imagine qu’il y allait le tout pour le tout », a jugé Boucher en rétrospective.

Par contre, Boucher n’était pas prêt à apposer l’étiquette de pire transaction des Expos à cette décision coûteuse.

« On peut dire que celle de Randy Johnson (pour acquérir Mark Langston) n’était pas la meilleure non plus. On a aussi échangé Jason Bay qui était dans le niveau A avec nous et il est devenu un joueur étoile », a comparé l’ancien lanceur.

Invité à l’intéressante initiative des Jays, Boucher a pu renouer avec Shapiro près de 25 ans plus tard.

« Il est arrivé à ma deuxième année en 1992. On s’en parlait justement, c’est lui qui écrivait les contrats. Je lui demandais s’il se souvenait de moi et il m’a assuré que oui surtout que c’était à ses débuts. Il aidait le directeur général John Hart », a raconté Boucher.

De son avis, la formation torontoise ne s’est pas trompée en misant sur lui pour poursuivre l’ascension de l’équipe.  

« Oui, il a acquis beaucoup d’expérience au fil des ans et il a œuvré à plusieurs postes dans la hiérarchie des Indians. Il a touché à tout et c’est un homme très intelligent », a jugé Boucher.

Un appui envers Montréal, mais aucune promesse

Shapiro et Ross Atkins, le directeur général qu’il a choisi pour continuer le boulot d’Alex Anthopoulos, vivent leur première expérience de matchs préparatoires à Montréal.  

Très souriants à leur arrivée à Montréal, ils ont tenu un discours fort positif à l’endroit de l’ancien domicile des Expos.

« Je pense vraiment que c’est un endroit qui peut offrir une maison de qualité à un club du baseball majeur, ce serait une belle ville pour une équipe », a noté Shapiro.

Par contre, le président des Jays a immédiatement admis que la bataille montréalaise est loin d’être gagnée.

« Je viens d’en apprendre un peu plus sur les convictions du maire (Denis Coderre). Il est très énergique et il a un grand désir de ramener une équipe, mais il doit y avoir tellement de facteurs qui tombent en place. Ceci dit, un tel niveau de support est important pour que ça arrive », a argué Shapiro.

La prochaine étape de cette offensive de charme devrait être de présenter des matchs de saison régulière. Cependant, Shapiro a été assez prudent sur le dossier.

« Je n’y ai pas trop réfléchi, mais ce serait certainement un projet financier difficile à organiser », a reconnu Shapiro qui exigerait sans doute une compensation financière pour accepter que son équipe participe à un tel projet.

Si le maire Coderre et les investisseurs montréalais remportaient leur pari, le scénario idéal serait de faire renaître les Expos au sein de la division des Blue Jays.

« Je ne me suis pas arrêté là-dessus, mais c’est évident que ce serait une merveilleuse rivalité naturelle. On voudrait les affronter aussi souvent que possible », a fait savoir l’Américain.

Un casse-tête presque complété?

Éliminés à une étape d’atteindre la Série mondiale en 2015, les Jays voudront prouver qu’ils peuvent maintenant y arriver. Aux dires de Shapiro et Atkins, ils ont hérité d’une organisation frôlant la maturité recherchée.

« J’aime notre équipe! En tant que dirigeant, je suis payé pour me soucier et faire du stress à propos de ce qui peut mal tourner. Présentement, ça concerne surtout la profondeur et, quand c’est le cas, ça veut dire à quel point ton club est intéressant. Il n’y a pas d’équipe parfaite, mais je vais certainement perdre quelques heures de sommeil à réfléchir à notre relève chez les partants », a décrit Shapiro, vantant le travail « phénoménal » d’Anthopoulos pour bâtir ce groupe.

Sur le sujet, Atkins a sonné encore plus optimiste envers les cinq partants que seront Marcus Stroman, Marco Estrada, R.A. Dickey, J.A. Happ et Aaron Sanchez.   

« Je me sens très confortable avec eux. Ensuite, on a Gavin Floyd et Jesse Chavez dans l’enclos tout comme Drew Hutchison au niveau AAA. Je ne crois pas que beaucoup d’équipes peuvent se dire qu’ils ont huit partants de qualité à leur disposition », a analysé Atkins.

L’un des grands dossiers à régler concernait l’identité du spécialiste des fins de match. Les Jays ont annoncé que le jeune Roberto Osuna avait retenu son rôle en gagnant son duel contre Drew Storen, acquis pour cette raison.

« C’était difficile comme choix, mais je ne crois pas qu’on aurait pu se tromper. Si on a besoin d’ajuster le tir durant la saison, je pense que ce sera plus pour la polyvalence qu’en raison d’un échec », a soumis le DG.

Afin de construire cette formation qui aspire aux grands honneurs, Anthopoulos a accepté de sacrifier des espoirs prometteurs. Malgré tout, Atkins ne considère pas que la situation de la relève soit inquiétante.

« J’ai été surpris de découvrir comment certains de nos jeunes ont géré leur camp d’entraînement et j’étais encore plus heureux de voir le comportement des vétérans qui étaient enclins à les aider. Je crois que ça vient beaucoup du contexte gagnant de l’an passé, l’ajout de Tulo (Troy Tulowitzki) et de la maturité de quelques piliers dont Russell Martin évidemment. Ce niveau de leadership crée un milieu merveilleux pour que les jeunes puissent se développer », a proposé un dirigeant qui ne manque pas d’optimisme.

De passage à Montréal, Atkins se devait de glisser un mot sur un certain Vladimir Guerrero fils, le prometteur rejeton de l’ancienne vedette des Expos.  Le directeur général a sauté sur l’occasion pour lancer un message au talentueux frappeur.

« Je l’avais vu en action avant qu’il ne soit mis sous contrat. Il est si fort et impressionnant. Si on peut l’amener à devenir aussi passionné et motivé en défense qu’il peut l’être en attaque, on aura un joueur très spécial entre nos mains », a conclu Atkins sur cet espoir qui attirera les regards du public québécois.