MONTRÉAL – Attraper plusieurs fois des balles frappées par un vétéran fort respecté du Baseball majeur, côtoyer régulièrement d’autres grands noms du sport jusqu’à en venir à jouer dans la rue avec un bâton de Pete Rose! Impossible, vous dites? 

Bien au contraire et, étonnamment, ça n’a rien à voir avec les Expos de Montréal. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, une rue tranquille de Brossard s’était plutôt transformée en petit quartier général des ... Phillies de Philadelphie.

Il y a deux semaines, le 16 juillet, un fort vent de nostalgie a frappé cette bande d’amis qui sont aujourd’hui âgés dans la cinquantaine. Cette bourrasque au cœur a été déclenchée par le décès, à 84 ans, de Tony Taylor, un Cubain qui a marqué l’histoire des Phillies et du Québec. 

Ce départ a surtout ébranlé Michel (Lamarche) puisque Taylor a été son beau-père pendant une vingtaine d’années. Après sa carrière de 19 saisons de joueur dans les Majeures, Taylor a marié sa mère dont la famille avait déjà le baseball dans le sang. Le membre du Temple de la renommée des Phillies a donc passé beaucoup de temps à Brossard alors qu’il évoluait désormais comme entraîneur (d’abord avec les Phillies, puis dans leurs filiales et ensuite avec celles des Giants et des Marlins). 

Considéré comme l’un des favoris du public à Philadelphie grâce à son style intense et sa personnalité attachante, Taylor a été tout aussi généreux en sol québécois. Il s’amusait follement à partager ses connaissances à Michel et ses meilleurs amis. 

« Ça se passait tout le temps dans la rue, sur Croissant Marseille, en face de la maison. On arrivait de l’école, on ne prenait même pas le temps de manger et on jouait à la balle. On frappait des ballons et Tony venait s’en mêler un peu, il a toujours aimé aider et donner des trucs aux jeunes », a confié Lamarche au RDS.ca.

Tony TaylorJean-François Joannette a raté peu de ces moments privilégiés en tant que grand ami d’enfance de Lamarche. Plusieurs années plus tard, il demeure fasciné par la gentillesse de Taylor qui a été un pionnier en tant que Cubain et Noir à percer au baseball professionnel. 

« Oui, on était impressionnés, mais Tony était tellement terre-à-terre, il n’était pas tête enflée pour cinq cents donc on ne capotait pas avec ça. Je ne me souviens pas exactement à quel âge, mais il nous avait donné des répliques des chandails des Phillies de Garry Maddox et Greg Luzinski. On avait une petite équipe et on avait tous les mêmes numéros, les 31 et 19 », s’est souvenu en riant celui qui a initié le contact avec RDS. 

Rassembleur comme il l’était, Taylor invitait sans cesse des joueurs des Majeures à sa maison de Brossard comme Larry Bowa, Manny Trillo, Ramon Aviles, José Cardenal et Willie Montanez. Lamarche et Joannette ont conservé de précieux souvenirs de ces visiteurs et ils rigolent encore en pensant à une anecdote avec Tony Bernazard qui s’est joint aux Expos en 1979.

« Il a fini par demeurer chez nous, pendant toute la saison dans le sous-sol. On se lançait parfois la balle et il aimait montrer la puissance de son bras quand il y avait des gens pour regarder. Je vais toujours me souvenir d’une fois en particulier parce que Jean-François a mis sa main dans la glace pendant quelques jours après avoir attrapé ses lancers », a décrit Lamarche qui a déjà été coéquipier du collègue Stéphane Leroux dans ses jeunes années. 

« C’était drôle parce qu’on aimait les Expos, mais on ressentait aussi quelque chose de spécial pour les Phillies », a précisé Joannette grâce à ces liens uniques. 

Taylor a même poussé son amour du baseball jusqu’à s’impliquer dans le coaching au niveau junior à St-Hubert pendant une année auprès de Matty Alston, un grand nom du baseball québécois. D’ailleurs, il a sélectionné deux joueurs pour les inviter au camp d’entraînement des Marlins afin de leur accorder une audition. 

Fouler presque tous les terrains de la Ligue nationale

Tony TaylorÀ partir de l’âge de 10 ans, Lamarche a pu accompagner son beau-père un peu partout sur la scène du baseball. Plus souvent qu’autrement, Lamarche pouvait sauter sur le terrain avant les parties pour attraper les ballons des joueurs des Phillies. 

« On était presque toujours les mêmes quatre enfants : le fils de Pete Rose, celui de Greg Luzinski, celui de Ted Sizemore et moi. Chaque fois, on attrapait des balles frappées par Pete Rose pendant 15-20 minutes et il continuait son entraînement ensuite. Je me rappelle aussi d’avoir attrapé une flèche de Luzinski et elle rentrait pas mal plus fort que dans le pee-wee à Brossard », a-t-il détaillé avec plaisir. 

Étant donné qu’il n’avait pas d’écolé durant l’été, il se rendait à Philadelphie avec sa mère et il participait à plusieurs voyages des Phillies. Le Wrigley Field est le seul terrain de la Ligue nationale qu’il n’a pas foulé parmi les stades de cette époque. 

Le plaisir s’est élevé à un autre niveau quand il a été assez vieux pour qu’on lui confie le rôle de bat boy (préposé aux bâtons). Son cerveau a été en mesure de conserver les souvenirs de sa naïveté d’enfant.  

« Quand tu es jeune, que tu mets un uniforme et que tu embarques sur un terrain des Majeures, tu penses que les spectateurs vont croire que tu es un joueur. Pourtant, Tony m’avait donné un uniforme de bat boy trois fois trop grand pour moi. Je me promenais au Stade olympique et c’était clair que les gens voyaient que j’étais haut comme trois pommes et ils devaient rire », a-t-il mentionné. 

« La première fois que j’ai pu m’occuper des bâtons, Pete Rose avait cassé le sien durant la partie. Il m’avait fait signe de lui apporter un autre bâton et je le regardais sans réagir. Il a demandé un temps d’arrêt et il est venu me voir pour me dire très lentement « I need a bat ». Je suis parti lui chercher et j’étais tout fier de moi en repartant en courant », a poursuivi Lamarche en faisant l’envie de bien des fervents de baseball. 

De plus, Lamarche et Joannette avaient développé une belle complicité avec le gérant d’équipement des Phillies, Pete (Pasquale) Cera, qui a garni leur collection d’items sportifs (comme des bâtons neufs de Rose et Mike Schmidt, une panoplie de balles et de cartes signées).  

Le summum est survenu quand il a pu célébrer la conquête de la Série mondiale par les Phillies en 1980 avec son beau-père. Les Phillies ont remis une bague du championnat à Taylor qui avait été adjoint avec eux jusqu’à l’année précédente avant de faire le saut dans les mineures.

Greg Maddux comme partenaire de golf 

La beauté de la vie a fait que Lamarche était passablement doué au baseball. Lanceur de relève, il a appartenu aux Cubs et aux Phillies. Par un concours de circonstances fabuleux, il a même été dirigé par son beau-père, à Utica, dans les filiales des Phillies. 

Michel Lamarche et Tony Taylor« Je me disais que ce serait bizarre et je me demandais si c’était une bonne chose. Finalement, ce fut probablement ma meilleure saison. Il m’a traité comme un joueur et non comme son fils. La grande différence, c’est qu’il a développé ma confiance et ça allait super bien pour moi. Les Phillies m’avaient protégé sur leur formation de 40 joueurs », a dévoilé Lamarche. 

La malchance s’est abattue sur lui dès la saison suivante alors qu’il s’est déchiré la coiffe du rotateur dans l’épaule droite et le scénario s’est reproduit une autre fois pour mettre fin à sa carrière. La frustration a été si vive qu’il a refusé de se tourner vers le coaching, un choix qu’il a quelque peu regretté plus tard.

Du côté positif, Taylor est tout simplement devenu son beau-père à partir de cet instant et ils ont passé des moments mémorables ensemble comme cette sortie à la pêche jusqu’au milieu de la nuit. Ils avaient perdu la notion du temps au point que sa mère, inquiète, avait appelé la police. 

S’il n’a pas atteint la cible visée avec sa carrière de joueur, Lamarche a conservé d’autres amitiés fascinantes comme celle avec Greg Maddux.  

« Il a signé un peu après moi avec les Cubs et il est venu nous rejoindre au Kentucky. On est devenus de bons amis. Après ma carrière de joueur, je suis devenu professionnel de golf et j’ai travaillé à Kahnawake, un club privé.  (Quand les Braves d’Atlanta étaient à Montréal), je jouais souvent avec lui le matin. C’était presque toujours le même trio qui venait : Maddux, John Smoltz et Tom Glavine », a dévoilé Lamarche qui se souvient, une fois, d’avoir ressenti un élan de déprime en songeant à la carrière de ses trois partenaires et à la sienne. 

Comme bien des pères, Lamarche aurait aimé que son fils suive ses traces et les poursuive. 

« Il était bon, mais il n’avait pas la gang de chums comme nous pour jouer en revenant de l’école. J’avais aussi la chance d’aller sur le terrain avec des pros, c’est sûr que ça aide », a noté Lamarche en laissant déduire que son garçon aurait eu besoin d’un Tony Taylor à son tour.  

« Les émotions montent quand j’y pense, mais quand Michel a appris que Tony était décédé, ça lui a fait de quoi. Je l’ai senti. Il a été important dans sa vie et pas juste au baseball, en tant qu’être humain. C’était vraiment un bon monsieur », a précisé Joannette en visant juste. 

Lamarche peut, à tout le moins, se consoler avec sa mère, sa famille et ses amis des beaux souvenirs. 

« Comme enfance, ça me fait parfois penser au film The Sandlot (Le petit champ) dans lequel les jeunes rencontrent un joueur professionnel pour la première fois. Vu que je vivais avec, je me demandais pourquoi mes amis capotaient autant, mais quand tu y penses après, c’est une belle histoire », a conclu LamarchUn billet des Séries mondiales de 1980e. 

Michel Lamarche