Quel fut le premier Québécois à gagner la Série mondiale?

Si vous avez nommé Napoléon Lajoie, né près de la frontière canado-américaine à Woonsocket, au Rhode Island, en 1875 et qui a connu une brillante carrière de 21 ans dans le baseball majeur, de 1896 à 1916, vous êtes dans le champ de patates. Félicitations tout de même pour cet ultime effort. Mais, "no cigar".

Les plus jeunes auront certainement pensé à Éric Gagné, originaire de Mascouche, lanceur des Red Sox de Boston qui ont remporté la Série mondiale l'an dernier. Même si Éric n'a lancé qu'une manche dans cette série, il a tout de même eu sa bague et surtout son chèque qui s'élevait dans les six chiffres. Les fins connaisseurs s'empresseront de rappeler ces jeunes amateurs à l'ordre, soulignant que Pierre Arsenault, natif de Roberval, au Lac St-Jean, est devenu le premier Québécois à gagner la Série mondiale, comme membre des Marlins de la Floride en 2003. Le hic, c'est que Pierre ne s'est jamais rendu ni au monticule, ni au bâton, dans cette série. À titre de receveur dans l'enclos des Marlins, son rôle consistait tout simplement à réchauffer les lanceurs en vue de leur présence éventuelle au monticule. Et il s'était acquitté de cette tâche durant toute la saison.

Comme s'il avait gagné à la loto

Pierre raconte qu'il n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles quand, en novembre 2003, soit quelques semaines après la Série mondiale, une secrétaire des Marlins l'a rejoint à sa résidence de Pierrefond pour lui annoncer qu'elle avait un montant d'argent pour lui et qu'elle désirait le lui faire parvenir.

"Un montant d'argent ? Combien?", demanda-t-il à la secrétaire.

"C'est votre part de la Série mondiale, soit 306,149 $ (US)" dit-elle.

Estomaqué, Pierre ne savait quoi répondre. Et quand cette somme s'est finalement retrouvée dans son compte de banque, c'est son gérant, peu familier avec le baseball, qui se demandait si son modeste client n'avait pas fait un mauvais coup.

"Avant le début des séries éliminatoires", d'expliquer le receveur "je savais que les joueurs s'étaient réunis pour décider comment ils allaient partager le gâteau, soit les parts de chacun, selon nos succès en séries ou en Série mondiale. Comme tous les autres clubs participants, d'ailleurs. Naturellement, je n'avais pas le droit de vote. Puis l'un de joueurs m'a confié qu'on m'avait voté une part complète.

Dans le temps, personne n'accordait de chances aux Marlins de se rendre jusqu'au bout. En fin de compte, ça ne pouvait mieux tomber, un mois avant Noël. C'est comme la loto. Gagner la Série mondiale et un tel montant ne changent pas le monde, sauf que ca change ton mode de vie en ta....".

L'année suivante, Pierre s'est rendu au camp d'entraînement avec son épouse Toni et son fils Nicolas, alors agé de quatre ans, et la famille a passé la saison complète à Miami. "C'était fort différent d'avec les années précédentes. Auparavant, on ne faisait non seulement chambre à part, mais pays à part en saison de baseball, faute de moyens.

Il n'a pas trahi les Expos

Pierre, âgé de 45 ans, a misé sur la sécurité quand il a quitté les Expos et décidé de suivre Jeffrey Loria en Floride.

"L'avenir des Expos n'était pas reluisant depuis dix ans et c'était écrit dans le ciel qu'ils allaient éventuellement partir. J'ai passé pour un gars qui avait trahi les Expos, en désertant le bateau en train de couler. C'est du moins l'impression que j'ai eue, en entendant toutes les injures qui m'ont été adressées dans l'enclos du club visiteur, lors des dernières visites des Marlins au Stade olympique."

"Mais la vérité est la suivante. J'avais en poche un contrat signé par l'ancien propriétaire des Expos, quand j'ai mis le cap vers le camp d'entraînement de la formation montréalaise en Floride. En cours de route, j'ai été invité par Loria à me joindre aux Marlins, vu qu'il venait d'acheter officiellement l'équipe. Arrivé à destination, j'ai tout simplement changé de vestiaire", dit-il. Il n'a jamais regretté sa décision et on pourrait difficilement le blâmer, maintenant qu'on connaît la situation du baseball majeur à Montréal.

"C'est avec tristesse que j'ai appris le départ des Expos pour Washington, il y aura bientôt cinq ans. J'ai travaillé 15 ans pour l'organisation. Je dois une fière chandelle à Ron Piché, car c'est lui qui m'a ouvert la porte. J'ai travaillé sous les régimes de Charles Bronfman et Claude Brochu, puis pour Buck Rodgers et Felipe Alou, mes deux favoris. J'ai toujours eu beaucoup d'estime et de respect pour tout ce bon monde", dit-il.

Ce qu'il retient le plus de ses mémorables années avec les Expos, c'est ce qui s'est passé en 1989 et 1994. "Sans blague, on avait l'équipe pour aller jusqu'au bout en 1989 et surtout en 1994. En 1989, on est allé chercher Mark Langston, un gaucher, au milieu de la saison, mais cela n'a pas fonctionné. En 1994, on avait le meilleur club des majeures, quand la grève a éclaté. Quel désastre! Ce fut le commencement de la fin pour les Expos", de rappeler Pierre avec nostalgie.

Quand on lui demande s'il y a une grande différence d'exercer son métier avec les Marlins et les Expos, il répond:

"Jouer à l'extérieur est une grosse différence. Le baseball devrait toujours se jouer à l'extérieur et sur une surface naturelle. Je connais plusieurs amateurs qui hésitaient à aller s'enfermer au Stade olympique par une belle journée ensoleillée du mois de juillet. Mais un nouveau stade à ciel ouvert au centre-ville, n'était pas nécessairement la solution pour les Expos, à cause du climat à Montréal au printemps et en automne."

On dit que la vie commence à 40 ans. C'est l'âge que Pierre Arsenault avait quand il a touché le gros lot. La vie est belle et se poursuit. Tant mieux.