Très heureux de vous retrouver en marge d’une nouvelle saison de basketball qui approche à grands pas! Je vous donnerai rendez-vous dans un mois pour un aperçu en règle à l’aube du lancement officiel des hostilités dans la NBA. Mais entre temps, avec nos amis de Basketball Canada qui ont envahi notre belle province depuis environ une semaine, j’avais envie de partager avec vous ce petit récit.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Ça se passait le 11 septembre 2015. Il y a trois ans aujourd’hui, jour pour jour. Mon vieil ami Maxime Paulhus-Gosselin et moi, nous nous préparions à décrire et analyser pour RDS les deux demi-finales du tournoi FIBA des Amériques 2015. Après neuf jours de matchs, six des dix pays du départ avaient été éliminés. Il ne restait que quatre nations en lice.

Remporter la compétition, c’était évidemment sympathique. Mais l’objectif encore plus crucial était simplement d’accéder à la finale. Pourquoi? Parce que les deux finalistes obtenaient leur billet instantané pour les Jeux olympiques de Rio un an plus tard. C’était ça l’enjeu ultime de l’événement. La fébrilité était donc forte en cette soirée automnale à Mexico City. Le duel que tous les Mexicains attendaient avec impatience viendrait en fin de programme : Argentine c. Mexique. Mais le choc qui nous intéressait davantage sur la scène locale serait joué en premier : Canada contre Venezuela.

Les représentants de la feuille d’érable avaient une opportunité en or de retourner aux JO pour la première fois en 16 ans. À Sydney, en 2000, l’immortel Steve Nash était la vedette incontestée sur le terrain. Quinze ans plus tard, à Mexico City, il agissait comme directeur général du programme canadien et serait aux abords du terrain.

Max et moi commencions déjà à célébrer un peu l’exploit avant même le début du match. Je sais, je sais, il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Mais à notre défense, les chances de voir le Canada s’incliner ce soir-là étaient minimes.

Après avoir perdu leur tout premier match du tournoi le 1er septembre contre les valeureux Argentins, l’équipe dirigée par Jay Triano avait anéanti la compétition lors des sept rencontres subséquentes. Tous des triomphes convaincants par 17 points ou plus, incluant une dégelée de 20 points infligée au Venezuela. Le Canada avait sept joueurs de la NBA dans ses rangs. Le Venezuela : 0.

L’électrisant Andrew Wiggins, alors âgé de 20 ans seulement, y était. Kelly Olynyk disputait un tournoi du tonnerre. Cory Joseph était fiable dans le rôle de leader et meneur de jeu. Et les joueurs de soutien semblaient tous à l’aise dans leurs rôles respectifs. Les capacités athlétiques et le punch offensif du groupe dépassaient ceux de toutes les autres nations en présence (en l’absence des États-Unis, évidemment). Bref, nos représentants semblaient avoir leur place dans l’élite mondiale pour la première fois depuis belle lurette. Venir à bout des Vénézuéliens pour la deuxième fois en une semaine ne semblait pas poser problème. Du moins, sur papier.

Dès le début du match toutefois, nous nous sommes regardés, Max et moi, avec un regard légèrement inquiet. Les Canadiens ne semblaient pas dans leur assiette, alors que l’adversaire prenait un brin de confiance à chaque nouveau panier réussi. Les Vénézuéliens n’avaient absolument rien à perdre. Et chaque fois que le Canada donnait l’impression de vouloir creuser son avance comme il l’avait si bien fait depuis sept matchs, son élan était freiné. Wiggins ne décollait pas. Joseph était horrible du périmètre. Nik Stauskas, le franc-tireur du groupe, passait plus de temps sur le banc que sur le terrain. On apprendra après le match qu’il avait été victime d’empoisonnement alimentaire et avait passé la veille du match à l’hôpital. Anthony Bennett et Melvin Ejim étaient soudainement inutiles. Une chance que Kelly Olynyk était là. Sentant que ses acolytes faisaient du surplace, il en mettait de plus en plus sur ses épaules et s’est avéré le seul joueur à la hauteur de la situation ce soir-là. Il finira avec 34 points. Ce sera tout de même insuffisant.

Incroyable, mais vrai, le Canada trouva le moyen de s’incliner, de façon assez controversée, dans les dernières secondes du temps règlementaire. L’entraîneur-chef canadien, Jay Triano, avait décidé de clouer Wiggins au banc dans les instants ultimes en faveur du sympathique Aaron Doornekamp. Je n’ai rien contre les aptitudes défensives de cette légende de la scène universitaire canadienne, mais le grand Aaron n’avait pas d’affaire sur le terrain à la place de Wiggins. L’arbitre signala une faute douteuse contre lui à une seconde de la fin. Le Venezuela inscrit le point victorieux à la ligne de lancer franc. La foule (qui s’était rangée derrière le pays négligé en cours de match) y croyait à peine et se mit à célébrer le tout avec autant de vigueur que les Vénézuéliens. Cette nation démunie de talent international s’en allait aux Jeux pour la deuxième fois seulement en basketball masculin. Alors que le Canada passait complètement à côté d’un autre rendez-vous. En studio, Max et moi ne savions tout simplement pas quoi dire et comment clore notre reportage.

Ce qui nous amène à aujourd’hui, trois ans plus tard. Qu’en est-il du programme senior masculin à l’aube de ce duel qualificatif contre le Brésil dans deux jours à la Place Bell? Je pose moi-même la question et je ne suis pas 100% certain comment y répondre adéquatement. Je vais donc rédiger une bonne vieille liste des bons et moins bons côtés de la question pour me faire une tête :

Ce qui va bien 

Au risque de me répéter, le Canada n’a jamais regorgé d’autant de talent individuel du côté masculin qu’en 2018. Un minimum de 12 joueurs de notre pays débutera la saison 2018-2019 dans une formation de la NBA. Du lot, huit ont été des choix de premier tour. Et la majorité aura un rôle clé à remplir avec son club respectif.

Aucun autre pays sur la planète, à part les États-Unis bien sûr, ne peut en dire autant en faisant son inventaire NBA. Fini le temps où on ne produisait que des joueurs de forte taille avec une mobilité restreinte. On fabrique maintenant des athlètes explosifs, des marqueurs émérites et des meneurs de jeu.

Andrew Wiggins tarde à devenir la mégavedette qu’on espérait, mais il marque néanmoins 20 points par rencontre depuis le début de sa carrière pro. Jamal Murray, avec les Nuggets de Denver, est en voie de dépasser Wiggins en tant que prolifique marqueur canadien le plus craint par l’adversaire. Olynyk est un rouage important à Miami. Tristan Thompson remplit (à fort prix) le mandat désiré à Cleveland (rebonds et défense). Dwight Powell est en émergence à Dallas. Dillon Brooks en a surpris plusieurs à Memphis la saison dernière. Le très jeune Shai Gilgeous-Alexander est fort attendu comme meneur recrue de jeu issu de Kentucky en vue de la nouvelle saison avec les Clippers. Etc…

Et tout ça, c’est sans compter sur l’explosion annoncée d’un certain RJ Barrett dans l’univers de la NBA dans un an. Il devrait être le tout premier choix d’un club chanceux en juin prochain. Ce serait la troisième fois en sept ans qu’on ferait le coup à nos voisins du Sud. On l’a vu à Laval le mois dernier dans l’uniforme de Duke ce sympathique RJ. Le jeune homme est exceptionnel. En plein contrôle de la situation sur le terrain et hors de celui-ci également. Il semble mieux préparé que Wiggins au même âge à faire face à la tornade qui l’attend.

Bref, « l’effet Vince Carter » (d’ailleurs le titre d’un très bon documentaire sur Netflix que je vous recommande) continue de se faire sentir en Ontario et ne semble pas en voie de s’estomper. Même le Québec commence à y mettre du sien dans l’équation. Le Montréalais Khem Birch a bien fait à Orlando la saison dernière et sera à Laval ce jeudi. Un autre Montréalais assez médiatisé, Chris Boucher, tentera de se tailler une place avec les Raptors au cours du prochain mois. Et le phénomène Luguentz Dort entamera sous peu sa première, et possiblement sa seule, saison avec l’université Arizona State. On prétend qu’il fera tourner bien des têtes aux États-Unis et aura toutes les chances de faire le saut dans la NBA si sa progression va comme on le souhaite.

Ce qui cloche

D’accord, le talent individuel est au rendez-vous. Mais pourquoi le tout ne se traduit pas par du succès à l’échelle mondiale? Évidemment, regrouper une douzaine de joueurs surdoués et s’attendre à ce qu’ils détruisent tout sur leur passage ne suffit pas. On le constate dans tout sport collectif. Ça prend un dévouement profond à la cause (ce qui n’est pas encore présent) et ça nécessite aussi un minimum de chimie. Quand on voyait systématiquement le quatuor Ginobili, Scola, Delfino et Nocioni se retrouver avec l’équipe nationale argentine et devenir des forces irrésistibles, les termes « fierté nationale » et « chimie » prenaient justement une tournure excessivement concrète.

Ensuite, ça prend un entraîneur-chef respecté. Une figure en place depuis un certain temps qui serait (idéalement) appréciée du noyau de joueurs vedettes. Le Canada a présentement tout sauf ça. Jay Triano est doté d’une bonne réputation en tant que bras droit dans la NBA. Un tacticien futé qui a attiré notamment les éloges de Coach K lors de son passage au Canada le mois dernier. Mais il ne semble pas toujours à l’aise comme capitaine du navire et le courant ne semble plus passer entre lui et Wiggins.

C’est donc Roy Rana qui dirigera les troupes cette semaine contre le Brésil. Rana est le coach de l’Université Ryerson depuis près de 10 ans (avec un certain succès) et semble avoir davantage la cote auprès du groupe actuel. Mais notre informateur basket à RDS, Peter Yannopoulos, apprenait récemment que Rana n’avait pas été confirmé avant la fin août comme entraîneur-chef en vue du gros duel de cette semaine. La fin août! Disons que c’est loin d’être idéal quand on tente de bâtir des assises solides, avec un minimum de respect et de continuité en haut de la pyramide…

Et l’autre élément problématique indéniable à ce stade de la discussion : tes meilleurs joueurs doivent répondre présents à chaque étape du processus. Pas seulement quand l’entraîneur leur convient ou quand l’enjeu devient assez attirant à leur goût. Même si le groupe qui sera confronté au Brésil jeudi sera tout de même de calibre mondial (voir la composition complète ici http://basketball.ca/fr/news-article/slug-4kv15a), il manquera malheureusement six gros morceaux à Rana jeudi soir.

Andrew Wiggins est sous contrat dans la NBA à long terme et n’a pas vraiment d’excuses, selon moi, de manquer à l’appel. Il ne semble pas avoir digéré la débâcle de 2015 contre le Venezuela et a décidé qu’il avait mieux à faire pour l’instant. Très dommage. Jamal Murray aurait été un autre atout majeur, mais il a décidé de s’abstenir. Dans son cas, c’est légèrement plus justifiable en raison du fait qu’il est toujours en quête de l’énorme contrat que Wiggins a obtenu l’an dernier et ne veut pas se blesser entre-temps. Mais il y a encore deux saisons complètes qui le séparent de la fin de ses conditions contractuelles de recrue et sa présence avec l’équipe n’aurait pas été trop demandée à mon avis. Dwight Powell, quant à lui, n’est pas encore un atout aussi médiatisé que les deux précédents, mais sa polyvalence aurait valu son pesant d’or et son absence est presque autant malheureuse.

L’histoire de Trey Lyles est étrange. Le talentueux ailier de 22 ans et 6 pieds 10 pouces, qui œuvre aux côtés de Murray à Denver, est né à Saskatoon avant de déménager aux États-Unis à l’âge de 7 ans. Il a aidé le Canada à terminer 6e au championnat mondial U-19 en 2013, tout en déclarant en 2015 voulant aider son pays natal à atteindre les plus hauts sommets à l’échelle mondiale senior. Depuis ce jour, on attend encore lesdites contributions.

Shai Gilgeous-Alexander est sur le point d’entamer sa carrière pro avec les Clippers de Los Angeles. Il n’a que 20 ans et on va lui donner le bénéfice du doute pour l’instant quant à son absence. C’est encore plus vrai dans le cas de R.J. Barrett. Une deuxième présence en deux mois à la Place Bell aurait sans doute été électrisante aux yeux des partisans (et aurait aidé à vendre quelques milliers de billets supplémentaires). Il a d’ailleurs prouvé plus tôt cet été avoir déjà les outils nécessaires pour se démarquer au niveau senior. Mais c’était irréaliste de lui demander de quitter Duke pendant quelques semaines au mois de septembre pour aider avec des qualifications FIBA. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’on le revoit. Pourquoi suis-je si confiant? Parce que son père, Rowan, a non seulement porté fièrement les couleurs canadiennes pendant plus de 10 ans, mais il est également le VP exécutif actuel de l’équipe senior, ainsi que le bras droit du directeur général, un certain Steve Nash (le parrain de RJ). Bref, si papa Rowan et oncle Steve n’arrivent pas à attirer RJ quand ses services seront requis au cours des prochaines années, aussi bien mettre fin au programme immédiatement.

Je conclurai donc ce portrait de la façon suivante : en raison du talent accumulé, le portrait actuel de l’équipe canadienne doit être perçu de façon plus positive que négative dans l’ensemble. Mais tant qu’on n’arrivera pas à retourner aux Olympiques, impossible de se réjouir davantage. Et je vous signale qu’en vue des JO de 2020 au Japon, les deux places accordées directement au continent des Amériques incluront les États-Unis (le champion en titre n’est pas qualifié d’office). Donc en fait, il ne restera qu’une seule place à saisir pour nos valeureux guerriers lors de la Coupe du monde en 2019. Pas évident.

Et cette mission prendra son envol ce jeudi à la Place Bell. L’entraîneur-chef de McGill, Dave De Aveiro, proclamait clairement après le match contre Duke le mois dernier : « Il faut que l’amphithéâtre soit plein et gonflé à bloc le 13 septembre face au Brésil! »

Bien que j’endosse son message, et que la vente des billets ne se déroule pas trop mal selon ce qu’on lit, il n’y aura pas 10 000 spectateurs comme ce fut le cas pour McGill c. Duke. C’était probablement utopique comme souhait dans les circonstances. Ça fait une éternité qu’une rencontre nationale de ce genre n’a pas eu lieu au Québec et les partisans de basket de la région ne savent probablement pas trop quoi en penser. Souhaitons néanmoins que ceux qui se déplaceront seront en voix et que les joueurs présents sauront nous séduire par leur enthousiasme et leur désir d’aider la cause.