TORONTO – Quand Charles Dubé-Brais a commencé à ébruiter son rêve d’être un jour entraîneur dans la NBA et qu’un ami a tenté de lui faire comprendre qu’il avait « environ une chance sur 10 000 » d’y arriver, son premier réflexe a été d’éprouver de la sympathie pour les 9999 qui échoueraient.

« S’il y en avait un qui était pour y arriver, c’était à moi de m’organiser pour que ce soit moi, se rappelle-t-il d’avoir raisonné à l’époque. Tant pis si je n’y arrivais pas, mais je ne voulais pas avoir le regret de ne pas avoir essayé parce que les chances étaient trop faibles. »

À 37 ans, le Québécois n’a jamais été aussi près de son but. Le mois dernier, il a terminé sa première saison comme entraîneur-adjoint avec l’équipe réserve des Raptors de Toronto dans la G League, l’antichambre de la NBA.

Ceux qui ont tenté de le dissuader dans la poursuite de son objectif ne méritent pas qu’on leur lance la pierre. Le parcours qui a mené Dubé-Brais aux portes des ligues majeures est aussi insolite qu’inspirant. Il a commencé dans une école secondaire de Sainte-Foy, a bifurqué dans une ligue de « broche à foin » et l’a forcé à l’exil pendant une décennie. Il a été défriché par une passion poussée à l’extrême, des dizaines de rencontres provoquées par une curiosité presque maladive et le genre d’audace qui n’est pas donné à tout le monde, celle qui vous pousse sans s’en cacher vers le danger, qui vous rend aveugle face au risque et obsédé par la potentielle récompense.

Et comme c’est souvent le cas, il est né devant une porte fermée.  

Dubé-Brais ne voulait pas devenir entraîneur quand il a été admis en psychologie à l’Université Laval. Il voulait jouer pour l’équipe du Rouge et Or. Il avait connu une belle carrière au niveau collégial AAA et ambitionnait de faire partie de la dynastie naissante de Jaques Paiement. « Ils avaient énormément de joueurs à ma position et en plus, je me suis blessé à une cheville pendant le camp d’entraînement, alors que j’essayais d’entrer dans le programme par la porte d’en arrière. C’était le mauvais timing. J’aurais probablement pu jouer si j’étais arrivé deux ans avant ou deux ans après », racontait-il dans un généreux entretien lors du récent passage de RDS dans la Ville Reine.

Ce qui ne fait pas l’affaire de l’un peut s’avérer la plus belle trouvaille de l’autre. Dubé-Brais a été mis en contact avec l’école secondaire De Rochebelle, par où il était passé quelques années plus tôt. Des personnalités influentes du milieu trouvaient que son profil correspondait exactement à ce que recherchait l’établissement pour démarrer son programme AAA. « Une combinaison de leadership et de passion assez extrême pour le basket », suppose-t-il avec le recul.

« Au final, même si c’était une déception pour moi de ne pas jouer universitaire, je pense que pour ma carrière de coaching, ça a été une bonne chose de commencer plus vite. »

Un réseau de contacts payant

Dubé-Brais a poursuivi ses études à Laval jusqu’à l’achèvement d’un baccalauréat en intervention sportive en 2007. Il avait au passage mené le programme de Rochebelle au titre provincial tout en occupant un rôle d’assistant avec les Dynamiques du Cégep Sainte-Foy, son autre alma mater. Son plan était maintenant de quitter sa ville natale pour poursuivre une maîtrise en sports management à la prestigieuse Université de la Floride.

On vous parlait d’audace : plutôt que de quitter pour le pays des Gators, le nouveau diplômé s’est laissé convaincre de prendre le contrôle des Kebs de Québec, une équipe professionnelle à l’avenir incertain qui évoluait dans une ligue en déroute. Il avait 25 ans et où un être humain normalement constitué aurait appréhendé une occasion de se casser la gueule, lui a vu un tremplin vers l’avenir auquel il aspirait.

« Malgré tout, oui. Pendant que j’étudiais, j’avais fait beaucoup de voyages, j’étais allé aux États-Unis pour rencontrer des coaches de Division 1, j’avais travaillé au camp de la Floride, au camp de UConn. J’en ai visité plusieurs en Californie, à Boston College, j’avais aussi fait la même chose en Europe. Bref, je m’étais promené beaucoup et je commençais à avoir des petites pistes à gauche et à droite. Je semais des graines sans savoir laquelle allait vraiment fleurir, parce que je savais qu’à moment donné, je ne pourrais pas subsister au Québec encore bien longtemps. Au mieux, ça stagnait. »

L’impressionnant réseau qu’avait commencé à se tisser l’ambitieux entraîneur a rapporté en 2009 quand un confrère européen l’a contacté pour lui offrir un poste au centre de formation de la JSF Nanterre, un club de première division française logé dans la banlieue parisienne.

« Un de mes premiers voyages de basket en 2004, j’étais à aller à Paris et à Lyon, j’avais vu ça et ça avait vraiment allumé une flamme en moi. Je m’étais dit : ‘Pourquoi le gars qui coach pro là, ça ne serait pas moi dans une couple d’années?’ J’ai toujours eu cette mentalité, même si des fois ça a l’air fou de penser comme ça. Quand je vois des entraîneurs, je me dis : ‘Pourquoi je ne ferais pas ce job-là dans 4, 5, 10 ans?’ Je ne me fixe pas de limites même si c’est difficile d’y accéder. »

Dubé-Brais est resté huit ans en France, un pays qu’il place, avec les États-Unis et la région de Toronto, dans le top-3 des plus belles pépinières de talent au monde. La qualité des joueurs qu’on retrouve en Ligue nationale de basket (LNB) fait en sorte que le circuit est très couru par les dépisteurs américains. Pas plus fou qu’un autre, le Québécois en a profité pour épaissir son carnet d’adresses.

« On a joué l’EuroLigue en 2014, donc on jouait contre Barcelone, Moscou, Fenerbahçe, Belgrade, des grosses équipes qui avaient elles aussi des prospects. Il n’y a pas un match qui se joue sans qu’il y ait deux, trois, six scouts là. Quand ils ont besoin d’infos, ils viennent dans le staff et un des avantages que j’avais, c’est que les entraîneurs français baragouinent vraiment l’anglais. Alors quand ils voient un gars comme moi, ils sautent au plafond! Ils veulent ton numéro, ils te donnent le leur, ils restent en contact. »

Retour par la grande porte

Ce sont ces liens, entretenus un coup de pouce à la fois, qui ont tranquillement tracé le chemin du retour à la maison pour Charles Dubé-Brais.

La première porte s’est ouverte à San Antonio. Pendant trois ans, de 2015 à 2017, il a joint l’organisation des Spurs dans un rôle d’entraîneur invité dans leur programme de ligue estivale. Se promener à Las Vegas avec un écusson des quintuples champions de la NBA sur votre blouson et risque de vous faire remarquer par les bonnes personnes.

En 2017, à l’approche de la fin de son contrat à Nanterre, une discussion avec Patrick Engelbrecht, le directeur du recrutement des Raptors, a découlé sur une promotion concrète de l’autre côté de l’Atlantique : une place sur le banc du club-école torontois. Mais au même moment, une offre pour diriger un club chinois est arrivée sur la table.  

« C’était rendu le temps de fermer le chapitre par rapport à ce que je faisais au centre de formation de Nanterre. Éventuellement, tu veux voler de tes propres ailes. J’avais déjà coaché dans le pro plus jeune et j’avais envie de me relancer là-dedans. C’était dur de dire non, sachant que mon rôle avec les Raptors 905, si ça c’était fait il y a un an, aurait été une coche en-dessous de ce que j’ai là. »

Avec la bénédiction des Raptors, Dubé-Brais est parti garnir son CV en Asie. Dans la section des accomplissements, il a pu y ajouter le titre d’entraîneur de l’année de la Asean Basketball League. À peine son trophée entreposé, le téléphone a sonné. Code régional : 416. 

« Il y a 27 équipes en G League, une seule au Canada. Si la même opportunité s’était présentée à Northern Arizona ou au Wisconsin, je ne dis pas que j’aurais dit non, mais c’est sûr que de toutes les places, celle-là était la plus attrayante. En plus à Toronto, il y a vraiment un gros boum du basket présentement. La proximité avec le grand club n’est pas négligeable non plus. Tous les morceaux collaient bien ensemble pour que ça se fasse. »

Dans le personnel du nouvel entraîneur-chef Jama Mahlalela, Dubé-Brais a des mandats multiples dont il s’acquitte sans aucun complexe.

« Les deux ou trois joueurs qui font les allers-retours dans la NBA, j’ai une super relation avec eux. Chris [Boucher] est quelqu’un qui a le talent et qui croyait – qui croit encore – beaucoup en lui-même, mais qui avait besoin que quelqu’un lui donne une chance. Quand on est allés à Las Vegas lui et moi l’été dernier, ça m’a permis de développer une bonne relation avec lui. On est les deux Québécois de la NBA, avec Khem Birch d’Orlando, et j’ai à cœur qu’il réussisse parce que forcément, ça me fait quelque chose que quelqu’un de Montréal y arrive. Pour le reste, il suffit de savoir de quoi tu parles et d’être confiant. Je pense que les joueurs le ressentent assez vite et même à ce niveau, il y a beaucoup de choses qu’on peut leur apprendre. »

Aussi près du but puisse-t-il être, une place en G League ne vient avec aucune garantie de promotion pour un entraîneur. Au moment de raconter son histoire dans un coin du centre d’entraînement des Raptors, notre globe-trotter professionnel ne savait même pas si son contrat serait renouvelé l’année suivante. Mais il a des précédents à proximité desquels s’inspirer. Nick Nurse, l’actuel pilote des Raptors, a fait ses classes dans la G League pendant six saisons avant que ses compétences lui ouvrent les portes de la NBA.

Et puis, ce n’est pas comme si un petit détour avait déjà effrayé Charles Dubé-Brais.

« Honnêtement, je ne pense pas avoir autant progressé dans ma carrière, aussi rapidement, que dans les six derniers mois. Ce n’est même pas comparable. »