La saison de la NBA a pris fin le 11 octobre dernier et on peut penser (espérer) ne jamais en revivre une exactement pareille. Non pas parce que le divertissement n’était pas au rendez-vous. Au contraire. Mais parce que des campagnes qui s’étirent sur douze mois et qui perturbent entièrement les activités à venir, ce n’est pas simple à gérer pour quiconque.

Le point culminant de cette campagne : le triomphe du duo James/Davis en hommage au regretté Kobe Bryant. Une performance dominante dans des conditions pas évidentes.

Et aujourd’hui, alors que la campagne 2020-2021 arrive à une vitesse fulgurante, je pourrais vous parler d’une panoplie de sujets d’actualité. Chris Paul échangé aux Suns. Russell Westbrook qui veut quitter Houston. James Harden qui souhaite faire de même, ciblant même comme destination un nouveau « Big Three » à Brooklyn avec KD et Kyrie. Holiday et Bogdanovic débarquent à Milwaukee, mais Giannis continue de faire suer les Bucks. Dennis Schroder se greffe aux champions en titre. Les Warriors qui souhaitent redevenir des aspirants instantanés. Un repêchage imprévisible à nos portes. Et les Raptors confrontés à de grandes décisions avec VanVleet, Ibaka, Boucher, etc..

Toutes ces trames narratives, j’y reviendrai avec plaisir au cours des prochaines semaines.

Mais mon but est de mettre une jolie boucle sur la plus récente saison avant de passer à la suivante. Et pour y arriver, je crois qu’il faut s’affairer quelques minutes à une mise à jour du fameux débat Michael Jordan c. LeBron James.

Alors... c’est qui le meilleur de tous les temps?

En avril dernier, alors que la pandémie commençait à faire rage, je proposais à mes collègues du RDS.ca d’offrir au public un sondage sur le top-15 de l’histoire. Près de 2400 partisans se sont prêtés au jeu et les résultats furent éloquents.

Nous étions tous du même avis à l’époque. MJ était le numéro 1 incontesté. LeBron était bien ancré au 2e rang. Et ça devenait davantage matière à débat par la suite. Depuis ce temps, monsieur James a toutefois réussi à graver son nom sur le trophée pour une quatrième fois... et dans un troisième uniforme différent. Assez pour chambouler sa place dans ce palmarès? Probablement pas. Mais assez pour ravoir une discussion éclairée? Tout à fait.

Ainsi, permettez-moi – Mathieu Jolivet, un des plus grands fans assumés de Air Jordan de tous les temps – de mettre de l’avant quelques arguments démontrant que la conversation est plus complexe que « MJ est 6-0 en finale et LeBron est 4-6, fin de la discussion!»

L’argument statistique

Commençons d’abord par examiner en détail l’ensemble de l’œuvre de ces deux dieux du basket dans un joli tableau bien propre si vous le voulez bien...

Michael Jordan                                                                                 LeBron James

                15                           Saisons totales                                             17

                10                           Saisons top 5 vote MVP                                14

                30,1                        Moy. points par match                                   27,1

                5,3                          Moy. aides par match                                    7,4

                6,2                          Moy. rebonds par match                                7,4

                1039                       Matchs saison régulière                                 1265

                179                         Matchs en séries                                            260

                119-60 (66 %)      Victoires/défaites en séries       172-88 (66 %)

                6                              Présences en finale                        10

                24-11                     Victoires/défaites en finale       22-33

                6                              Trophées                                             4

Conclusions?

Jordan était le meilleur marqueur naturel des deux. James est plus complet dans ses contributions.

Ils ont le même pourcentage de victoires en séries. James était plus efficace dès le début de sa carrière pour remporter des matchs et des rondes, mais toujours à la traîne en grande finale. Michael a pris plus de temps pour concocter la formule magique idéale, mais l’a utilisée à merveille une fois le sommet atteint. Sa fiche immaculée en finale est indéniable.

Et il n’y a aucune façon de contourner cette évidence : LeBron est d’une durabilité que MJ n’aura jamais pu égaler. Il a déjà plus de 300 matchs d’avance au total sur son rival, et il demeure à près de 36 ans, un des joueurs les plus dominants de la planète. Du jamais vu!

Bref, les chiffres ne permettent pas de déclarer un vainqueur évident.

L’argument intellectuel

Je me suis donc tourné vers mes amis ou collègues que je respecte le plus, pour sonder leurs pensées profondes sur le sujet. Mon co-descripteur Alex Tourigny soulevait le point suivant : «Est-ce mieux d’avoir atteint seulement 6 finales, mais de toutes les gagner? Ou d’en atteindre 10, mais d’en perdre plus de la moitié?»

Excellente question.

LeBron : combien de titres pour surpasser Jordan?

Pour le statut mythique de la chose, le 6-0 a plus de valeur historique. Mais les gladiateurs du ballon rond vous diront que d’atteindre dix finales dans l’ère moderne relève presque de l’impossible et mérite tout autant son pesant d’or.

Je me tourne ensuite vers Peter Yannopoulos. Pour ceux qui ne le suivent pas encore sur les médias sociaux, sachez qu’il aura été un des plus fervents supporteurs de MJ. Sans être toujours tendre envers le King d’Akron. Le lendemain de la finale, il disait ceci : « Pour moi, James n’a pas encore rejoint MJ, mais il se rapproche drôlement. L’ensemble de son œuvre est difficile à nier. »

Et lors d’une longue discussion téléphonique avec Charles Dubé-Brais, une des têtes de basket les plus passionnées et réfléchies du Québec, il me faisait réaliser à quel point il est dangereux de s’apitoyer seulement sur la fiche en grande finale. Un de ses points majeurs.

« Combien de fois MJ et les Bulls ont-ils débuté la finale en étant établis favoris? Six sur six. Oui, ils ont fait leur boulot chaque fois. Mais ils ne se sont jamais frottés à des clubs d’exception. Des adversaires très solides, oui, mais pas hors norme. En contrepartie, combien de fois les clubs de James étaient-ils favoris à l’aube de la série ultime? Probablement 5 sur 10. Selon moi, c’était le cas lors des 4 finales avec le Heat et de sa seule avec les Lakers. À Cleveland, il se frottait généralement à des dynasties et on ne peut pas coller les échecs sur son dos. La pire défaite, c’était celle en 2011 du Heat contre les Mavericks de Dallas. Mais il a compensé avec un triomphe inespéré en 2016 contre les Warriors. Son bilan d’insuccès en grande finale est donc un peu injuste à mes yeux. »

Doublement intéressant comme point de vue.

L’argument générationnel

Les amateurs aimeraient que LeBron dégage la même aura de superhéros que Michael Jordan pour le comparer favorablement à MJ. Ils ont regardé «The Last Dance» en grand nombre au printemps et se sont rappelé à quel point Michael était « larger than life », comme disent nos amis américains. Un phénomène mondial qui allait au-delà du sport. Un standard impossible à accoter pour James.

Ces mêmes partisans, mettant volontairement de côté l’étrange escale de Jordan à Washington en toute fin de parcours, auraient aimé que LeBron passe l’ensemble de sa carrière dans son patelin de Cleveland. Changer de club 3-4 fois, c’est lâche disent-ils. Reste au même endroit, malgré vents et marées, et les victoires seront encore plus savoureuses. Kobe, Duncan, Nowitzki l’ont fait (trois anomalies modernes...). Pourquoi pas toi?

OK, je veux bien. Mais Jordan et James sont des produits de deux générations bien différentes. MJ ne pouvait pas quitter sa chambre d’hôtel à l’étranger, de peur que les paparazzis s’acharnent sur lui à sa sortie. Mais les médias sociaux n’existaient pas et on ne parlait que de toi et tes performances à la télé, la radio et les journaux.

LeBron a grandi dans un univers où ses matchs d’école secondaire étaient souvent présentés en direct sur ESPN. Son visage faisait la une du Sports Illustrated à 18 ans avant ses débuts professionnels. Ses moindres faits et gestes étaient décortiqués 24 heures sur 24 sur les médias sociaux. Loin d’être évident à naviguer. Et pourtant, son comportement hors-terrain a été essentiellement irréprochable malgré tout.

Sa plus grosse (et seule véritable) erreur en matière de perception publique? L’annonce de son départ de Cleveland pour Miami en juillet 2010. « The decision » fut un fiasco sur le champ. Et cette idée le hante encore dix ans plus tard. Jeune et mal conseillé, il devenait instantanément le symbole sportif d’une génération gâtée pourrie qui fuyait quand la soupe devenait trop chaude. Sportivement, c’était une bonne idée. Et il avait nettement mérité l’autonomie lui permettant de le faire. Mais il s’agissait d’une approche qui allait au-delà du sport.

Tout ça pour dire ceci : je ne crois pas que LeBron devrait encore être pénalisé en 2020 pour des choix effectués en 2010 dans un univers qui le poussait dans cette direction.

Conclusion

Après mûres réflexions, j’en arrive aujourd’hui à ce constat : Michael Jordan demeure le champion le plus accompli de l’histoire du basket. Un athlète captivant, unique et polarisant.

Mais LeBron James le devance dorénavant en matière d’excellence sur la totalité du parcours. Il a maintenant 15-16 saisons de basketball émérite dans le corps et il ne montre aucun signe évident de ralentissement. Je le qualifie de phénomène de la nature et nous sommes privilégiés de le voir encore à l’œuvre année après année.

Ses Lakers seront encore parmi les plus sérieux prétendants en 2021. Mais la compétition s’annonce encore plus féroce que la saison dernière.