Cela faisait des semaines que le gala qui mettra en vedette le champion des poids mi-lourds du WBC Adonis Stevenson et Badou Jack devait être officialisé. Cela faisait des semaines que la réponse d’Yvon Michel aux journalistes était essentiellement la même : « soyez patients ».

 

Mais au fur et à mesure que les jours passaient, l’étau se resserrait de plus en plus autour du promoteur, qui était à court d’explications pour justifier cet étrange retard. Il y a quelques jours encore, Michel disait qu’il n’avait pas tous les éléments en main pour fournir une réponse claire.

 

Les raisons officielles de ce report ne seront probablement jamais exposées publiquement, mais en coulisses, on chuchote que le dossier trainait en longueur uniquement parce que Stevenson refusait obstinément de signer le contrat à cause d’une clause qui obligeait le gagnant du duel du 19 mai à se mesurer ensuite à Eleider Alvarez. Aux yeux de Stevenson, c’était inimaginable.

 

Pourquoi? Parce qu’après avoir laissé entendre que sa ceinture de « super champion » des mi-lourds de la WBA serait à l’enjeu, tout indique que l’organisme aurait changé son fusil d’épaule en raison de l’absurdité de la situation. Il faut dire que Jack avait renoncé à son titre « régulier » à la suite de sa victoire sur Nathan Cleverly et qu’un combat contre Alvarez aurait contrecarré les plans d’unification de Stevenson, lui qui a déjà soufflé ses 40 bougies en septembre dernier.

 

Mais contrairement à ce qui s’était produit dans le passé, Alvarez et son équipe étaient résolus à faire respecter leurs droits. S’ils acceptaient – encore une fois – de se tasser afin de permettre à Stevenson d’en découdre avec Jack, il était hors de question qu’ils y consentent de nouveau par la suite. L’attente avait assez duré : Alvarez était aspirant obligatoire depuis novembre... 2015.

 

Bref, tout ce beau monde se retrouvait dans une impasse et à moins d’une intervention divine que même les auteurs des pires téléromans n’oseraient pas imaginer, l’événement du 19 mai était réellement en péril. Mais un texto reçu à 16 h 24 mardi a bouleversé le cours de l’histoire. « Yvon, faut qu’on se parle ». Hé non, il n’était pas du tout question d’une éventuelle tournée d’assemblées de cuisines en vue d’une candidature vedette aux prochaines élections provinciales.

 

Ironiquement, ce texto provenait d’une ancienne partenaire qui avait également été échaudée par une décision de Stevenson dans le passé. Kathy Duva avait résolument besoin d’aide, car son boxeur Sergey Kovalev se trouvait sans adversaire à plus de trois mois d’une défense de titre sur les ondes de HBO. Elle se demandait si c’était le genre de chose qui pouvait intéresser Alvarez et elle voulait surtout s’assurer que le principal intéressé ne changerait pas d’idée en chemin.

 

« Je te donne ma parole », a été la réponse. L’affaire s’est réglée en moins de 72 heures comme quoi il y a des gens plus d’adon que d’autres. Le gérant Stéphane Lépine, l’entraîneur Marc Ramsay, Alvarez et l’influent conseiller Al Haymon ont tour à tour donné leur bénédiction. Le Montréalais d’origine colombienne a ainsi pu franchir la première étape dans sa quête de devenir champion du monde et probablement la plus difficile d’entre toutes : obtenir le combat.

 

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Au moment d’écrire ces lignes, les billets en vue du gala du 19 mai n’ont toujours pas été mis en vente, même si Michel a reçu l’assurance qu’il y avait maintenant « 100 pour cent » des chances qu’ils le soient au cours des prochains jours. Vendredi après-midi, une publicité roulait déjà à un rythme effréné sur les écrans du métro de Montréal pour faire la promotion de l’événement.

 

Ainsi, Stevenson effectuera la neuvième défense sa ceinture des mi-lourds du WBC – ce qui lui permettrait d’égaler la marque de Lucian Bute –, mais tel que mentionné précédemment, il est pratiquement acquis qu’il n’aura pas la chance de devenir champion unifié, son seul et unique objectif depuis qu’il a joint l’équipe d’Al Haymon en février 2014. À cette époque, il pensait qu’il affronterait le champion WBA et IBF Bernard Hopkins, mais cela n’est jamais matérialisé.

 

Après avoir été nommé boxeur de l’année par Ring Magazine en 2013, les plus fidèles partisans de Stevenson s’imaginaient qu’il se hisserait ensuite parmi les deux ou trois meilleurs boxeurs « livre pour livre » de la planète, mais il a plutôt enchaîné les défenses faciles et sans intérêt.

 

Son refus d’affronter Kovalev alors qu’une entente de principe avait été conclue entre Michel et Duva après la victoire de Stevenson sur Tony Bellew le hantera probablement jusqu’à la fin de ses jours, car l’occasion d’unifier les ceintures ne s’est plus jamais représentée. Il pensait bien que ç’a y était à l’été 2016, mais Kovalev s’est finalement tourné vers le prodigieux Andre Ward.

 

Ultimement, Stevenson pourrait encore se retrouver le bec dans son désir d’obtenir un combat d’unification. Rien ne garantit qu’il disposera de Jack et son prochain défi pourrait être encore plus compliqué, car l’Ukrainien et champion intérimaire Oleksandr Gvozdyk attend patiemment son tour dans l’antichambre. Le médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Londres en 2012 n’a pas été exceptionnel jusqu’à maintenant chez les pros, mais il est loin d’être un incompétent.

 

En acceptant l’offre de Kovalev, Alvarez renonce évidemment à sa position d’aspirant obligatoire au WBC. Alvarez parti, Stevenson et son équipe n’ont plus aucune emprise sur cette position qui avait également été occupée par Jean Pascal à une certaine époque. Si jamais Alvarez battait Kovalev, il faut savoir qu’une clause de combat revanche figure au contrat. Devant les scribes, Ramsay s’est d’ailleurs fait un malin plaisir de dire que Stevenson devrait patienter « deux ans ».

 

Lépine a été davantage nuancé en entrevue avec RDS.ca, expliquant qu’un combat contre Stevenson pourrait s’avérer extrêmement lucratif pour son protégé. Il a également reconnu qu’il ne détesterait pas qu’Alvarez cloue le bec à celui qui lui fait passer plusieurs nuits blanches au cours des deux dernières années. Diplomate, le principal intéressé ne veut pas que ces histoires envahissent son esprit. Il a répété que toute son attention est désormais portée vers Kovalev.

 

Mais en regardant sèchement le portait de la division des mi-lourds et les deux autres champions qu’elle compte – Dmitry Bivol (WBA) et Artur Beterbiev (IBF) –, nul besoin d’avoir à lire entre les lignes pour comprendre qu’Adonis Stevenson est aujourd’hui de plus en plus isolé.