Il y a 10 ans, RDS me confiait la couverture des activités de boxe, une activité que je convoitais. J’ai été témoin de scènes tellement fantastiques grâce à la boxe québécoise au cours de la dernière décennie que je pourrais en faire un film.

Scène 1

Montréal, mai 2011. Les deux boxeurs viennent de terminer le 18e round de leur confrontation amorcée 6 mois plus tôt. Le jeune champion est toutefois incapable de distancer son aîné de 17 ans sur les cartes de pointages des juges. Le vieux renard de 46 ans est dans une forme resplendissante pour cette soirée historique. Il est même prêt à reprendre l’action avant le favori de la foule au 7e round. Dans l’attente, le maître de la science de la boxe s’allonge parallèlement au sol, supporté par ses gants, et exécute une série de pompes, rapidement, calmement. Six rounds plus tard, à l’issue de 2 combats enlevants, le vieux boxeur passera à l’histoire, alors que le jeune champion sera détrôné après un trop court règne. (Bernard Hopkins c. Jean Pascal II)

Scène 2

Nottingham, mai 2012. Un jeudi soir. Une silhouette se présente à la sortie de l’hôtel. L’homme est seul. Il porte un chandail kangourou avec le capuchon rabattu sur sa tête jusqu’aux sourcils. Contrairement à l’habitude, son visage est fermé. Il n’arbore pas le sourire habituel qui lui a permis de conquérir des milliers de partisans dans son pays d’adoption. Pendant que son équipe et le reste de la délégation s’amusent dans le lobby de l’hôtel, à deux jours du duel qui ne semble inquiéter personne, le boxeur part courir dans la ville de son ennemi. (Carl Froch c. Lucian Bute)

Scène 3

Montréal, avril 2011. Son regard croise le mien. Il est sur le ring, en difficulté, alors que je suis assis à la table de presse, perplexe. De cette position privilégiée, j’ai déjà vu ses adversaires tomber sous mes yeux, déjà senti l’impact de ses coups sur le corps de ses victimes. Mais pas cette fois, car le boxeur mexicain qu’il a devant lui esquive et accepte des coups qui ont fait plier une vingtaine d’autres boxeurs par le passé. À court de solutions, dépassé par cette tournure d’événements qu’il n’a jamais connus, il regarde dans ma direction et tire la langue après avoir décoché une série de coups sans effets. Une réaction enfantine pour un jeune homme dont le rapide début de carrière frappe soudainement un mur, mais qui servira à bâtir un futur champion. (Marco Antonio Rubio c. David Lemieux)

Scène 4

Montréal, 2013. Une décharge d’adrénaline et d’incrédulité se propage chez les spectateurs au moment où la tête du champion s’écrase sur le ring du Centre Bell. Soixtane-seize secondes, c’est tout ce dont le boxeur de 35 ans a eu besoin pour obtenir les ceintures. Pendant les minutes qui suivent, la foule acclamera son nouveau champion : celui qui quelques mois plus tôt avait dû convaincre son promoteur de lui donner une autre chance après avoir tenté une percée aux États-Unis. Le Québec fait la connaissance d’un boxeur spectaculaire qui a tout pour devenir une grande vedette adulée et respectée. Mais la suite sera moins idyllique. (Adonis Stevenson c. Chad Dawson)

Il y a ces scènes et il y a bien d’autres images marquantes accumulées au cours de la dernière décennie...

Celle de Librado Andrade qui soulève dans ses bras Éric Lucas après l’ultime combat de l’ancien champion du monde.

Celle de Dierry Jean épuisé, complètement vidé de ses énergies avant une pesée.

Le regard moqueur de Marc Ramsay lors d’un entraînement rigoureux destiné à des journalistes.

Il y a ces efforts surhumains...

Les prestations courageuses de Jo Jo Dan et Herman N’Goudjo qui ont combattu malgré une mâchoire fracturée.

Jean-Francois Bergeron qui tient tête à Nikolay Valuev à qui il concède 90 livres.

Il y a ces mots qu’on entend...

Ceux de la mère d’un boxeur qui encourage son fils sur le ring pendant un combat.

Les boxeurs qui se mentent à eux-mêmes à l’approche d’un combat perdu d’avance.

Les boxeurs au sommet du monde après une victoire.

Les propos philosophiques de Stéphan Larouche.

Les anecdotes amusantes de Pierre Bouchard et Russ Anber.

Les mots de Stéphane Ouellet et Régis Levesque.

Il y a des silences qui frappent...

Le silence de la foule au stade du Parc Jarry après la défaite de Joachim Alcine contre Daniel Santos.

Le silence au bout du fil, d’un boxeur blessé, à qui l’on vient d’apprendre qu’il vient de rater l’opportunité de se battre en combat de championnat du monde.

Le silence après les questions dérangeantes, mais essentielles, aux athlètes qui viennent de subir la défaite.

Il y a ces athlètes formidables...

J’ai eu la chance de voir à l’action de formidables boxeurs, comme Floyd Mayweather fils, Andre Ward, Gennady Golovkin, Mikkel Kessler et bien d’autres.

J’ai toutefois constaté que les meilleurs combats n’opposent pas toujours des champions du monde. Les Sébastien Gauthier, Kevin Bizier, Sébastien Bouchard et autres nous ont donné des frissons. J’ai aussi appris que quiconque décide de grimper dans un ring de boxe pour livrer un combat professionnel mérite notre admiration. À part, peut-être Roberto Bolonti.

... et il y a ceux qui gravitent autour.

La boxe, c’est une faune particulière.  C’était d’ailleurs le premier avertissement de mon prédécesseur à RDS, Martin Dion. En tant que journaliste dans ce milieu, il faut souvent garder la tête froide et s’assurer de bien informer les gens sans tomber dans la bête retransmission du communiqué de presse.

Les promoteurs sont essentiels et supportent l’industrie du mieux qu’ils le peuvent. Les Yvon Michel, Camille Estephan, Bernard Barré, Antonin Décarie, Jean Bédard sont des bâtisseurs. Sauf que dans cet univers hétéroclite, on retrouve aussi des gens qui profitent des athlètes et qui placent leurs propres intérêts avant ceux qui mettent leur vie en jeu entre les câbles. Heureusement, je peux compter sur les doigts d’une main ces personnes qui ne méritent aucunement mon respect.

Protéger la boxe et les boxeurs

Pour le non-initié, la boxe est un spectacle horrible. Je garderai toujours en tête le 1er K.-O. auquel j’ai assisté en personne aux abords d’un ring, à Jonquière en 1995, quand Stéphane Ouellet a endormi Alain Bonnamie. J'étais sous le choc! Il m’a fallu quelques années pour apprécier ce sport extrême.

Mais il faut protéger les boxeurs et ne pas baisser la garde en ce qui a trait à leur sécurité. Au Québec, l’équipe de Michel Hamelin doit continuer son bon travail. Les arbitres ne doivent pas hésiter à intervenir rapidement pour protéger la santé des pugilistes, pour éviter que se produisent ici les drames vécus récemment en Alberta et au Nouveau-Brunswick.

On continue!

Le hasard a fait que j’ai couvert la boxe pendant l’une les périodes les plus excitantes de ce sport au Québec. Au cours des 10 dernières années, la boxe m’a fait voyager et j’ai pu y travailler comme journaliste, analyste, descripteur, annonceur de ring et même caméraman. Je compte bien poursuivre, mais ne vous attendez pas à ce que dépasse le vénérable Jean-Paul Chartrand père en terme de longévité!