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RÉSULTATS

La passion de Kim Clavel

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Le promoteur Yvon Michel le reconnaît sans détour : il a vraiment eu peur que Kim Clavel ne se remette de la déception du troisième report de son combat contre Yesenia Gomez. Initialement prévu le 17 décembre 2021, puis en mars 2022, le duel devait finalement avoir lieu le 21 avril. Elle a toutefois contracté la COVID-19 trois jours auparavant et encore vécu une vive déception.

« Je lui ai parlé deux semaines après qu'elle eut attrapé la COVID et c'est là que j'ai réalisé que c'était quelque chose d'extrêmement difficile à accepter pour elle, a raconté Michel à la veille du choc entre les boxeuses qui sera enfin présenté ce soir au Cabaret du Casino de Montréal.

« J'ai vu plusieurs boxeurs qui avaient du potentiel et un super encadrement, mais qui n'ont jamais réussi à passer par-dessus des obstacles importants. Mais je me suis aussi dit que si elle réussissait à surmonter ça, elle aurait ensuite ce qu'il fallait pour accomplir de grands exploits. »

Ce n'est évidemment pas le premier écueil qui jonchait le parcours de la boxeuse québécoise. Et elle a réagi exactement de la manière qu'elle l'avait fait auparavant, c'est-à-dire en se remettant en question avant de réaliser une fois de plus qu'une seule et véritable passion l'anime : la boxe.

Portait de celle qui pourrait devenir la deuxième championne de l'histoire de la boxe professionnelle québécoise et qui ne vit que pour ce moment depuis plus d'une décennie.

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Un soleil de plomb frappe déjà de plein fouet le Centre Claude-Robillard en ce jeudi avant-midi de juillet. Clavel s'époumone à l'entraînement sous la supervision de son préparateur physique Fred Laberge. Aux côtés du médaillé de bronze olympique Mathieu Bauderlique, elle monte et descend l'une des rampes bétonnées du vieil édifice de l'avenue Émile-Journault dans Ahuntsic.

Les exercices demandés par Laberge sont exigeants. Après sa course, Clavel devra notamment agiter frénétiquement une longue corde tressée ou projeter au mur un ballon qui semble peser une tonne. Chaque fois, elle obéit aux instructions du souriant Laberge avec un sourire radieux.

S'en suivra un bain de glace amplement mérité et même l'auteur de ces lignes sera mis à contribution pour acheminer à bon port les sacs de glaçons que son entraîneuse Danielle Bouchard a achetés. L'aspirante en est dans les derniers moments d'un éreintant camp d'entraînement de huit semaines et aucun détail n'est négligé pour favoriser la récupération.

« Des remises en question, c'est certain qu'il y en a eu, avait précédemment confié Clavel en entrevue. Une vie d'athlète, d'artiste ou même une vie en général, je ne pense pas que c'est un long fleuve tranquille. J'en ai eu des hauts et des bas, mais souvent, ce que nous montrons sur les réseaux sociaux, ce ne sont que les bons côtés. Oui, j'en ai eu des moments assez creux...

« Je me suis demandé si je faisais tous ces efforts pour rien. La boxe professionnelle féminine, ç'a été long avant que ce soit payant. Le camp d'entraînement d'un gars qui va gagner 300 000 $ par rapport à celui d'une fille qui va gagner 10 000 $, c'est la même chose. Ça va coûter autant. »

Clavel n'a pas un rapport tordu avec l'argent, mais comme tous ceux et celles qui ont vécu une certaine précarité financière dans leur jeunesse, cela les marque pour la vie. « J'ai une mère qui m'a appris la résilience. Elle était monoparentale, elle n'avait pas d'argent et pas de voiture. Ma sœur et moi avons connu la misère. Mais ma mère était une battante et elle n'a jamais baissé les bras. Ce sont des valeurs que j'ai toujours en moi. Oui, quelques fois, je suis chez moi et je pleure, mais je me relève les manches et je trouve des solutions parce qu'il y en aura toujours. »

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L'anecdote peut aujourd'hui faire sourire, mais dans les premiers temps de son association avec Bouchard, Clavel lui mentait pour ne pas avoir à se déplacer dans la métropole pour s'entraîner. « J'habitais à Joliette et je lui disais que je travaillais, mais la réalité, c'est que je n'avais pas 10 $ pour mettre de l'essence dans mon char. C'était gênant de lui dire que je n'avais pas d'argent. »

L'histoire arrache un sourire à Bouchard, qui a toujours su que sa protégée était déterminée.

« Kim a toujours été sérieuse à l'entraînement. Elle était travaillante et lorsqu'elle avait un défi à relever, elle performait, explique l'entraîneuse. Elle avait tout ce qu'il fallait, mais il faut quand même finir par le réaliser. Et même après de grosses défaites, elle finissait toujours par revenir.

« Des fois, ça paraît simple, surtout quand les résultats sont là, mais si vous saviez tout ce qu'il y a derrière ça. C'est incroyable, tous les petits détails, toutes les petites décisions qui sont prises. C'est un équilibre qui est extrêmement fragile, mais Kim s'est toujours donné à 300 pour cent. »

« Mes amies ont des enfants, elles sont mariées, elles ont tout ce que les gens rêvent d'avoir en général, alors que de mon côté, je n'ai pas d'enfant et pas de chum, mais j'ai la boxe et ça me rend heureuse, avoue Clavel. Tous les matins, je me dis que je suis très, très chanceuse de vivre ça.

« C'est certain que l'épisode de la COVID m'a jetée par terre, mais ça m'a rendu plus solide... »

« Éric Lucas en a connu des obstacles avec ses défaites contre Roy Jones fils et Fabrice Tiozzo, mais il a ensuite utilisé toute cette expérience pour devenir le champion qu'il a été, rappelle Michel. À son retour au gym après la COVID, elle battait des records, elle a capitalisé là-dessus. »

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L'une des facettes les plus méconnues de la personnalité de Clavel est probablement sa capacité à fédérer les gens autour d'elle. Devant les caméras, la boxeuse est affable et articulée, mais il ne s'agit pas d'un rôle. Derrière les portes closes, elle s'assure que tout le monde soit à son aise.

« Kim est drôle, elle a de l'humour, elle est créative, elle trouve toujours le moyen de faire rire tout le monde, elle est rafraîchissante, témoigne son conseiller spécial Stéphan Larouche. Elle nous fait du bien, elle fait du bien à toute l'organisation. Elle est impliquée et allumée. Elle a des idées. Ce n'est pas pour rien si nous l'avons envoyé comme gérante d'équipe à Porto Rico.

« Elle est allée s'entraîner là-bas et tout le monde est tombé en amour avec elle. Elle s'arrange pour que tout le monde se parle en mettant tout le monde à l'aise. Je trouve ça beau et c'est le genre de valeur que je souhaite transmettre parce que nous n'avons pas connu autre chose!

« C'est tellement un sport difficile, mais il y a un moyen d'être professionnel et sérieux sans toutefois se prendre au sérieux. Kim incarne exactement ça et ça s'est fait naturellement. »

Il est temps de partir. Clavel enfourche un vélo pliable afin de retourner chez elle avant de revenir au Centre Claude-Robillard quelques heures plus tard. Une routine qu'elle répète depuis des semaines et même des années pour les 20 minutes les plus importantes de sa vie vendredi.

« Des fois, je me demande ce que je vais être quand je ne serai plus une athlète et j'essaie de développer une sorte de sentiment d'appartenance... j'essaie de travailler là-dessus pour ne pas être juste une boxeuse, mais un être humain avec des valeurs », conclut Clavel. C'est bien parti.