C’est une sorte de dialogue de sourds qui se déroule actuellement au sujet de la situation de la boxe professionnelle au Québec.

D’un côté, plusieurs amateurs de sports en général estiment que la boxe québécoise se porte mal : elle semble loin l’époque où les Jean Pascal, Lucian Bute et Éric Lucas remplissaient le Centre Bell.

Pour un bon nombre d’observateurs de la boxe, la perception est inverse (malgré les défaites d’Adonis Stevenson et Eleider Alvarez) : jamais le Québec n’a pu compter sur une aussi grande quantité de boxeurs de grand talent que ce que l’on a pu voir au cours des deux dernières années. Une dizaine de boxeurs (Oscar Rivas, Eleider Alvarez, Artur Beterbiev, Jean Pascal, David Lemieux, Erik Bazinyan, Steven Butler, Patrice Volny, Mikael Zewski, Yves Ulysse) sont classés dans le top-15 des quatre grandes associations, en plus de Marie-Ève Dicaire, championne du côté féminin. Plusieurs de ces boxeurs signent des contrats avec des diffuseurs ou des firmes de promotions américaines.

En ces temps où tout sens de la nuance a complètement été évacué, la vérité se trouve peut-être entre les deux situations. L’amateur de boxe occasionnel qui adorait se rendre au Centre Bell admirer Lucian Bute marcher vers le ring sur la musique de U2 n’a plus l’occasion de vivre pareille chair de poule depuis des lustres. Il y a maintenant près de deux ans que l’édifice de l’Avenue-des-Canadiens n’a pas accueilli un gala de boxe. Dans la métropole, le dernier grand événement de prestige a eu lieu il y a plus d’un an déjà, quand David Lemieux n’a pu attirer plus de 8 000 personnes à la Place Bell de Laval, dans un combat de championnat du monde contre Billy Joe Saunders. Depuis cette soirée de décembre 2017, les sept derniers combats de championnat du monde des boxeurs d’ici se sont d’ailleurs déroulés à l’extérieur du plus grand marché de la province.

Le Centre Videotron de Québec a accueilli quatre événements de boxe en 2018, mais pour bien des amateurs de la grande région de Montréal, il s’agit de galas « à l’extérieur », au même titre que celui de Toronto, où Adonis Stevenson s’est battu en mai dernier. 

Les amateurs de boxe montréalais sont donc invités à regarder leurs boxeurs sur leur écran préféré, ou à se rendre au Casino de Montréal (pour les galas Kean du 16 mars et de Dicaire du 23 mars), ce qui, vous en conviendrez, n’égale jamais l’intensité que l’on pouvait ressentir il n’y a pas si longtemps au Centre Bell.

Think Big!

Malgré leurs différends, Camille Estephan et Yvon Michel se retrouvent exactement dans la même situation et partagent les mêmes objectifs pour leurs organisations respectives, Eye of the Tiger Management et Groupe Yvon Michel.

« C’est un petit pas de recul pour mieux sauter », estime Yvon Michel, qui donne dans la promotion depuis près d’une trentaine d’années. « Ça fonctionne par vagues. À l’époque, nos boxeurs attiraient beaucoup de spectateurs et la télé américaine venait. Maintenant c’est plus compliqué de vendre des billets, pas seulement dans notre industrie. Nous allons donc faire le contraire, soit faire connaître nos gars à la télé américaine pour ramener ça ici pour la suite. »

« C’est très important aussi d’aller se battre aux États-Unis pour la reconnaissance internationale et d’amener la télé américaine ici. Je pense que ça va juste faire rayonner le reste», croit également Camille Estephan, dont trois de ses boxeurs, Steven Butler, Yves Ulysse et Erik Bazinyan, ont rejoint David Lemieux avec Golden Boy Promotions. « Le fait que David Lemieux se soit battu aux États-Unis et qu’il ait ramené la télé américaine HBO ici lors de son combat contre Saunders a pu contribuer éventuellement à la visibilité d'Ulysse, de Butler et de Bazinyan, qui en ont profité. Tout ça bénéficie à la boxe québécoise actuellement. »

« C’est sûr qu’on aimerait ça avoir les 20 000 spectateurs. Bute-Pascal c’était magique et on aimerait rebâtir ça », commente monsieur Estephan. « Je rêve d’une journée où on pourra avoir Lemieux, Butler, Ulysse, Bazinyan, Simon Kean et Arlsanbek Makhmudov, dans une seule carte au Centre Bell. J’ignore si ça pourra se produire, peut-être que ça pourrait se réaliser en décembre, mais je ne peux pas le promettre. Le contrat qui vient d’être signé aux États-Unis nous permettrait d’avoir les budgets pour réaliser ce rêve. »

Yvon Michel pense que tant les boxeurs de GYM que ceux d’EOTTM sont en très bonne position.

« Je pense qu’avec la qualité des boxeurs qu’il y a ici dans les deux équipes, c’est une bonne chose qu’on ait accès de part et d’autre à la télé américaine, de façon à ce qu’ils puissent se développer pour atteindre leur plein potentiel, et revenir ici disputer des combats majeurs. Pour avoir de grands événements comme ce fut le cas par le passé, il faut une finale de haut niveau avec l’implication de la télé américaine, et on va les amener ici et ça fait partie des plans. »

Ce moment n’est peut-être pas aussi loin qu’on le croit. GYM a l’intention de ramener ESPN au Québec bientôt, souvent et pour longtemps.

« Christian M’Billi et Mikael Zewski vont se battre sous peu aux États-Unis. On a eu aussi une offre pour Marie-Ève Dicaire. Le plan est de les faire connaître à la télé d’ESPN, pour ensuite organiser des événements ESPN au Québec sur une base régulière. Notre premier gala sera probablement au mois de juin (avec Rivas et Alvarez) et l’objectif sera ensuite d’en faire cinq ou six par année. Entre-temps, on fait connaître nos boxeurs à l’extérieur. »

Popularité affectée?

L’adage « loin des yeux, loin du coeur» ne semble heureusement pas s’appliquer pour la boxe en ce moment. Camille Estephan peut le constater avec sa plateforme de webdiffusion « Punching Grace ». «Les taux de renouvellement sont élevés. Ça veut dire que la base de partisan est loyale et en croissance. À chaque gala, on a été chercher plusieurs centaines de personnes additionnelles. Ça devient un revenu non négligeable qui est très important pour nous. »