« C’est bon, on y va ». C’est dans ces mots que mon rédacteur en chef m’a annoncé dans l’après-midi du 17 octobre 2007 que j’allais couvrir le combat de championnat du monde des poids super-moyens de l’IBF entre Lucian Bute et Alejandro Berrio au Centre Bell plus tard en soirée.

À l’époque, RDS.ca était composé d’une très petite équipe et les journalistes-rédacteurs web n’avaient pas encore l’habitude de sortir pour couvrir les événements présentés en ville. J’avais milité fort en ce sens dans les jours précédents, croyant que le déplacement en valait la peine.

Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’un boxeur québécois pouvait devenir champion du monde. Ils étaient neuf à avoir réussi l’exploit en un peu moins d’un siècle, sauf que les deux derniers – Leonard Dorin et Joachim Alcine – y étaient parvenus à l’extérieur aux États-Unis.

Comme plusieurs personnes de ma génération, j’avais découvert la boxe en suivant les exploits de Stéphane Ouellet, Alain Boismenu et Alain Bonnamie à Sports 30, mais c’est véritablement Éric Lucas qui m’avait incité à m’intéresser davantage au sport en se mesurant d’abord à Fabrice Tiozzo puis à Roy Jones fils avant d’être couronné champion grâce à sa victoire sur Glenn Catley.

Mais c’est assurément au contact de Bute et de son entraîneur Stéphan Larouche, dont j’étais le ghost writer de la plupart de ses chroniques à RDS.ca, que j’aurai développé un profond respect pour tous ceux et celles qui sont impliqués dans le noble art, et un intérêt pour sa couverture.

J’avais ainsi vécu en quelque sorte par procuration l’ascension de Bute vers un titre mondial en écrivant les chroniques de Larouche en marge des combats contre Sergey Tatevosyan et Sakio Bika. Il n’était donc pas question pour rien au monde de rater l’occasion de voir « Le Tombeur » comme on le surnommait systématiquement dans ce temps-là être sacré champion du monde.

Je me souviens également m’être dépêché pour aller récupérer mon ordinateur portable qui devait peser une tonne dans mon appartement de la Petite-Patrie avant de m’engouffrer dans le métro et de prendre la ligne orange jusqu’à la station Bonaventure pour accéder au Centre Bell.

Étonnamment, je conserve très fidèlement plusieurs détails en amont de l’affrontement, mais j’ai évacué depuis longtemps mes souvenirs du combat en tant que tel, si ce n’est que la tête de Berrio revolait de tous bords, tous côtés au 11e round quand le duel a été arrêté par l’arbitre.

Peu importe, les nombreux souvenirs qui ont suivi sont heureusement très bien ancrés dans ma mémoire. Je pense notamment au crochet de gauche au corps de Librado Andrade lors de la revanche à Québec, de « l’orgasme du cogneur » atteint grâce à un uppercut à Edison Miranda ou à la fanfare qui déambulait dans les marches du vieux Colisée avant qu’il ne s’amène vers le ring pour se mesurer à Glen Johnson – sa dernière victoire majeure sur la scène internationale.

Après cette domination complète d’un ancien membre du club sélect des dix meilleurs boxeurs « livre pour livre » de la planète, Bute était au sommet de son art. Un mégacombat d’unification avec l’éventuel vainqueur du Super Six était dans l’air et tous les espoirs étaient alors permis.

Mais au lieu d’Andre Ward, il a dû se contenter de Carl Froch et si Bute a qualifié cette défaite comme étant « assurément le pire moment de [sa] carrière » au moment de l’annonce de sa retraite mercredi soir, il s’agit de l’expérience la plus enrichissante m’ayant été donnée de vivre.

J’avais en effet décidé de me rendre à Nottingham, en Angleterre, par mes propres moyens, encore convaincu que quelque chose de spécial allait se produire. L’ambiance de feu à la pesée et la marche vers le ring de Froch au son de « No Easy Way Out » resteront gravées à jamais dans ma mémoire. La mine déconfite de l’ex-champion après sa défaite ne peut être oubliée...

Je me rappelle également très bien avoir échangé un regard avec le journaliste roumain assis à côté de moi après le deuxième round. Nul besoin de parler : nous savions pertinemment que Bute était dans le grand trouble et que son revers n’était plus qu’une question de minutes.

Des années plus tard, un professionnel travaillant avec plusieurs boxeurs d’ici m’avait offert un éclairage intéressant sur la prestation de Bute en m’expliquant qu’il méritait le plus grand des respects, parce qu’à court de solutions, il s’offrait la dernière possible, celle demandant le plus de courage : serrer les dents son mouth piece et échanger avec Froch dans l’espoir qu’il tombe.

Malheureusement, cette percutante défaite par arrêt de l’arbitre au 5e round a changé le cours de sa carrière et plus rien n’a jamais été pareil par la suite. Il fallait voir son visage rongé par la peur pendant sa marche vers le ring avant d’en venir aux coups avec Jean Pascal pour réaliser à quel point l’ancien champion des super-moyens de l’IBF était un homme complètement brisé.

Un homme qui s’est ensuite désespérément accroché à son rêve de redevenir champion du monde, mais qui n’y est jamais parvenu en s’inclinant devant James DeGale, puis en faisant match nul contre Badou Jack. Ce verdict nul a ensuite été changé en défaite en raison d’un contrôle antidopage positif et la fin des émissions a été signée après qu’il se soit fait passer un violent knock-out par Eleider Alvarez dans un Centre Vidéotron plutôt dégarni en février 2017.

Ironiquement, c’est peut-être pendant cette période un peu moins glorieuse sportivement parlant que Bute paraissait le plus détendu avec les journalistes, du moins avec moi. Pour la première fois, c’est comme s’il n’avait plus rien à prouver et que le sort de toute une entreprise ne reposait plus entièrement sur ses épaules. Il pouvait enfin vivre dans le moment présent.

Il serait cependant injuste de juger Bute sur les dernières années de sa carrière, étant donné qu’il a été l’un des principaux acteurs d’un âge d’or que nous ne revivrons malheureusement plus. Rappelez-vous, des foules de 12 000 ou 13 000 personnes étaient la norme pour ses défenses de titre et plus de 16 000 amateurs ont assisté aux deux duels face à Andrade.

Si la boxe québécoise est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, Bute a certainement une part de responsabilités, ne serait-ce que pour avoir transmis la passion du sport à une autre génération d’amateurs. Son ancien entraîneur Stéphan Larouche l’a souligné en lui rendant hommage : il a donné un second souffle à une industrie qui en avait besoin après la première retraite d’Éric Lucas. Bute l’a d’ailleurs dit lui-même, il peut aujourd’hui se retirer la tête très haute. C’est vrai.

« Merci à tout le peuple québécois »
Une retraite bien méritée pour Lucian Bute