MONTRÉAL – Normalement, Marie-Ève Dicaire aurait dû suivre les traces de Joachim Alcine, Jean Pascal, Hermann Ngoudjo, David Lemieux et... Simona Halep en foulant le ring du Stade IGA pour effectuer la deuxième défense de sa ceinture des poids super-mi-moyens de l’IBF vendredi.

 

En cette belle et chaude journée d’été où le mercure a flirté avec les 30 degrés à Montréal, le quartier Villeray aurait assurément été un cadre enchanteur pour fêter la première championne du monde de l’histoire de la boxe professionnelle québécoise entre les deux journées fériées.

 

Ce scénario a d’ailleurs été évoqué, mais rapidement écarté, car la popularité de Dicaire ne se traduit pas encore aux guichets. C’est pourquoi ses deux premières défenses ont été tenues au Cabaret du Casino de Montréal, là où les risques financiers sont à peu près inexistants pour le promoteur Yvon Michel, car le propriétaire des lieux assume une grande partie des dépenses.

 

Pour la première fois en plus d’une décennie, Michel a présenté tous ses galas de janvier à juin dans l’enceinte située sur l’île Notre-Dame, une situation qui témoigne à elle seule du creux de vague dans lequel est plongé l’industrie locale. Il y a peut-être des projets d’envergure pour des soirées à l’automne avec Dicaire, Mikael Zewski, Eleider Alvarez et Oscar Rivas en vedette, mais rien n’est joué. Alvarez et Rivas sont notamment condamnés à gagner à leurs prochaines sorties.

 

« Nous serons tributaires des prochaines performances d’Oscar et Eleider, a reconnu Michel au cours d’un entretien sur le portrait de la situation de la boxe au Québec avec RDS.ca un peu plus tôt cette semaine. Si Oscar et Eleider l’emportent – le premier se mesurera à Dillian Whyte le 20 juillet à Londres et le deuxième vraisemblablement à Jesse Hart en septembre aux États-Unis –, nous aurons alors les leviers nécessaires pour organiser de grands événements ici au Québec.

 

« Pour organiser un gros show ici, tu as besoin d’avoir un lead important et c’est ce que nous essayons de bâtir avec Marie-Ève. Il y aurait eu un gros événement ici si Eleider avait disposé de [Sergey] Kovalev [le 2 février dernier à Frisco, au Texas]. Il y aurait 10 000 personnes à Québec. »

 

Reste que Michel aura fort à faire pour convaincre les observateurs de l’industrie que Dicaire et la boxe féminine en général pourra attirer un jour les foules. Le gala de vendredi a été présenté à la télévision à la carte et les échos entendus par RDS.ca laissent croire que très peu d’amateurs ont finalement déboursé les soixante dollars requis pour regarder la carte de seulement six duels.

 

Mais l’expérimenté promoteur reconnaît d’emblée que les choses seraient sans l’ombre d’un doute plus simples si l’industrie mondiale ne s’était pas consolidée en trois grandes alliances : ESPN-Top Rank, DAZN- Matchroom Boxing ainsi que FOX-Showtime­-Premier Boxing Champions.

 

« Avant, je pouvais cogner directement à la porte des dirigeants des réseaux de télévision, a expliqué Michel. J’allais souper avec eux et je leur parlais de tous mes boxeurs. Il n’y avait pas d’intermédiaire. J’ai eu beaucoup de succès avec cette recette, parce qu’ils sont tous venus ici : ESPN, Showtime, HBO, etc. Aujourd’hui, toutes ces portes qui étaient ouvertes sont refermées.

 

« Il faut passer par un autre promoteur qui n’a pas les mêmes préoccupations que les dirigeants des réseaux de télévision avaient avant. HBO aimait venir au Canada, alors que Top Rank calcule toujours par rapport ce que l’entreprise pourrait obtenir aux États-Unis. Dans tous les contrats que mes boxeurs ont paraphés avec Top Rank, il a fallu insister pour que Top Rank vienne ici. »

 

Sans l’appui des réseaux de télévision, il devient donc impossible de présenter des événements d’envergure internationale. C’est précisément pour cette raison qu’Alvarez a disputé ses deux derniers combats aux États-Unis et que Rivas traverse l’Atlantique pour se battre en Angleterre.

 

À la belle époque, la présentation d’événements de grande envergure permettait également de disposer de budgets intéressants pour former la relève dans les chocs présentés en sous-carte. À l’opposé, l’absence de moyens rend très compliqué le développement des talents de demain.

 

Sauf qu’il ne faut pas désespérer. Le bassin d’amateurs est grand et l’engouement très palpable. Après tout, plus de 700 000 téléspectateurs ont regardé le combat revanche entre Simon Kean et Dillon Carman, une affiche résolument locale. C’est possible de susciter un certain intérêt...

 

« Je me souviens quand j’ai commencé avec Stéphane Ouellet. Nous étions arrivés à Montréal en grand et nous n’avions même pas vendu 300 billets, a rappelé Michel. Éric Lucas contre Alex Hilton n’a même pas vendu 1000 billets. Mais aussitôt qu’Éric est devenu champion, il s’est mis à remplir les arénas. Ça n’a pris qu’une étincelle pour qu’il devienne extrêmement populaire...

 

« D’un autre côté, nous faisons vraiment le plus que nous pouvons avec ce que nous avons. Je regarde présentement l’équipe nationale et ce n’est pas très fort. Le bassin de Québécois et de Canadiens est très limité. C’est grâce à notre recrutement à l’extérieur que nous survivons. »

 

Les mauvaises langues pourront évidemment rétorquer qu’il y a ponctuellement du talent qui ressort, mais que tous les boxeurs prometteurs ont été mis sous contrat par le concurrent Eye of the Tiger Management. Peu importe, Michel réplique à ceux qui prétendent que les jours de son entreprise sont comptés qu’il est encore là pour longtemps. « La compagnie ne s’est jamais aussi bien comportée financièrement que maintenant. Je suis d’ailleurs très optimiste » a-t-il conclu.