Au moment où vous lisez ces lignes, Régis Lévesque doit être en grande conversation avec son bon ami Guy Émond, quelque part dans le ciel sur un nuage près de chez vous. 

Je savais que Régis était en phase terminale, mais comme un surhomme il s’agrippait quand même à la vie. 

S’il avait voulu, Régis Lévesque aurait pu gagner honorablement sa vie comme humoriste. Pour un type qui avait terminé ses études en quatrième année, il avait une facilité d’élocution hors de l’ordinaire 

En anglais, il y a une phrase parfaite pour brosser un tableau de Régis Lévesque :  « What you see is what you get! ». Cette phrase est Régis tout craché. Ce que vous avez vu de lui à la télé, c’est exactement comme ça qu’il était dans la vie de tous les jours. 

À 85 ans, Régis s’est éteint paisiblement auprès des siens mardi soir. Le pire, c’est un cancer de la langue qui l’a emporté, lui, qui avait la parole aussi facile et qui pouvait vous parler de boxe en vous faisant rigoler pendant quelques heures au cours de ses conférences de presse. 

Sur un paquet de cigarettes 

Pas besoin de répétition, il pouvait vous parler de son gala tout en regardant quelques notes écrites à la hâte sur son éternel paquet de cigarettes. C’est dans sa tête que ça se passait. 

Régis Lévesque, c’est un phénomène qu’on ne reverra pas de sitôt au Québec. 

Personnellement, je l’ai connu en 1963, alors que je travaillais au Journal de Montréal, aux sports, sous la tutelle de Paul Stuart. 

Régis venait lui-même porter ses communiqués de presse sur la rue Port Royal. Ce n’était pas de la grande prose, mais son message passait. Il travaillait parfois toute une nuit à découper, à coller et rédiger des bouts de papier pour finalement mousser la publicité d’un de ses galas.  

Régis est décédé le 28 octobre 2020. Le sort a voulu que 40 ans plus tôt jour pour jour, au Centre Paul-Sauvé à Montréal, son boxeur préféré Eddie Melo faisait match nul avec Lancelot Innis devant une salle comble. 

Avec 20$ en poche 

Régis se faisait un plaisir à raconter qu’il avait commencé sa carrière de promoteur avec seulement 20 $ en poche. Comment a-t-il fait pour s’en sortir? En empruntant de l’argent ici et là. Il a toujours remis ce qu’il avait emprunté. S’il faisait des gains avec ses galas, il payait ceux qui lui avaient si gentiment prêté les sommes désirées. S’il lui restait quelques milliers de dollars, il courait vite à Blue Bonnets gager sur un cheval. Il disait souvent qu’il avait des bons tuyaux. 

Malheureusement, ses bons tuyaux lui ont couté plusieurs milliers de dollars. Combien de fois m'a-t-il raconté que s’il avait gardé sa ferme de chevaux à Ste-Angèle et n'avait pas misé une fortune sur les courses de chevaux, il serait millionnaire. N’eût été ce défaut, Regis serait mort, riche comme Crésus. 

Régis le « waiter » 

Serveur dans une taverne de Trois-Rivières, au début des années 60, c’est au Colisée de cette ville qu’il a organisé sa première carte, mettant en vedette le poids lourd Robert Cléroux, en finale contre James Wiley. Cléroux l’avait  assommé au deuxième engagement. 

De tous les boxeurs qui ont œuvré sous la promotion de Régis, ses plus grands admirateurs ont toujours été Robert Cléroux, Fernand Marcotte et Donato Paduano. 

Si je me souviens, Régis a organisé pas moins de 33 galas au cours de sa carrière. Son premier en 1962 et son dernier en 2007. Comme gala d’adieu, c’est Dave Hilton fils, qui avait fait les frais de la finale à l’aréna Maurice Richard.  Il avait gagné la décision contre un certain Adam Green. 

Jamais durant ce temps je n’ai connu un boxeur qui n’ait pas reçu la totalité de sa bourse des mains de Régis après son combat. 

La dernière fois que j’ai vu Régis, c’était chez le barbier Ménick, en mars dernier. Il n’avait plus que la peau et les os sur le corps. Mais ses yeux étaient toujours perçants, un peu comme ceux de Maurice Richard ou encore ceux du Cardinal Léger.  

Il avait un peu de difficulté à parler à cause de son cancer de la langue, mais il rêvait toujours d’un dernier combat à « promoter ». 

Il savait que ses jours étaient comptés et pourtant, il parlait d’un dernier combat qu’il organiserait entre Dave Hilton et qui que ce soit. 

Quels ont été les moments qui m’ont le plus marqué avec Régis? 

-  Ma première rencontre avec Régis au Journal de Montréal en 1963. 

- Sa tentative d’organiser un combat entre Robert Cléroux et Joe Frazier à bord d’un 747. 

- La fois où il avait remplacé un des boxeurs sur le ring.  

Eh oui, Régis a livré un combat de boxe chez les pros. Son nom est dans les archives de BoxRec. C’est avec une défaite contre Paul Leblanc par K.-O. au 3e round, en 1966, que Régis a amorcé cette carrière.  

Pourquoi avoir remplacé un boxeur au pied levé, sans équipement et sans entraînement? Parce que Régis avait à cœur de toujours donner pour son argent aux amateurs de boxe. Je me souviens qu’il avait emprunté le maillot d’un autre pugiliste. En somme, tout ce qui lui appartenait quand il est monté sur le ring du Centre Paul-Sauvé, c’était ses sous-vêtements et ses bas. Même les espadrilles n’étaient pas à lui. 

- Sa découverte d’Eddie Melo. 

- Voyant qu’Eddie Melo était trop jeune pour boxer à Montréal, Régis a décidé d’organiser un combat contre Fernand Marcotte, à l’Auditorium de Verdun, où un record d’assistance fut enregistré. 

- Les trois rencontres de Melo contre Fernand Marcotte. 

- L’entente avec Dave Hilton, fils. 

- Les trois combats entre Hilton et Stéphane Ouellet 

- Ma prise de bec  dans les studios de CKAC avec Régis, sous l’œil attentif de Mario Langlois. 

- Ma première visite à son steak house à Montréal. 

- Régis est un des seuls gars pour qui Radio-Canada, Télé-Métropole, RDS et à peu près toutes les stations de radio montréalaises acceptaient ses « Tabarnak » en ondes sans en tenir compte et sans lui couper le son. 

Pas sur la même longueur d’onde 

Je n’ai pas toujours été sur la même longueur d’onde que Régis. Souvent, il croyait que les journalistes étaient tous contre lui.  Mais au cours des ans, j’ai appris à mieux le connaître. 

Pas plus tard qu’en matinée, mercredi, le promoteur Don King faisait parvenir ses condoléances à la famille en stipulant que si la boxe montréalaise était en si bonne santé présentement, c’est un peu à cause de Régis. 

Régis qui nous a égayés avec ses combats à saveur locale. Pourquoi n’a-t-il pas tenté sa chance avec des combats internationaux? Surtout parce qu’il ne parlait pas la langue de Shakespeare. 

Régis sera intronisé au Temple de la renommée de la boxe en 2021. Malheureusement, il ne sera pas là pour recevoir le mérite qui lui revient. 

Ce que je sais, c’est que le petit gars de Sainte-Angèle de Laval mérite tous les honneurs alloués aux plus grands sur la scène mondiale. 

Si Michel Beaudry et Gilles Proulx , tout comme le barbier Ménick, ont presque vénéré Régis Lévesque sur cette basse terre, dites-vous bien que l’attendent là-haut Guy Émond, Jacques Beauchamp, Lois Chantigny, Toto Gingras, Eddie Melo, Jean-Claude Leclair, Gérald Bouchard, Joey Durelle et l’ex-président de Blue Bonnets, Raymond Lemay, pour ne nommer que ceux-là. 

Aujourd’hui, c’est tout le monde de la boxe qui est en deuil. 

À sa famille, j’offre mes plus sincères condoléances.