Entendons-nous sur un point. La défaite contre Carl Froch a laissé des traces. C'est un boxeur hésitant par moment, pas toujours confiant, qu'on a vu à l'oeuvre au Centre Bell. Si Lucian Bute avait affronté Denis Grachev il y a un an, le coriace boxeur russe n'aurait pas fait 12 rounds contre lui. Il aurait rencontré son homme. Un homme confiant et dominant. Un champion.

Le clan Bute avait mentionné qu'on n'obtiendrait pas les réponses recherchées si sa victoire n'était pas décisive. On avait même dit qu'il n'y aurait pas lieu de continuer si Bute ne gagnait pas d'une façon très nette. Or, on ne peut pas parler d'un triomphe décisif quand un ex-champion du monde, qui a fait neuf défenses de son titre, l'emporte par décision, même unanime, contre un boxeur qui a une expérience de quatre ans dans la boxe.

Appelons les choses par leur nom. Le Bute qu'on a vu dans ce combat est loin d'être prêt pour une revanche contre Froch. La question lui a été posée à chaud, à sa descente du ring. Se sentait-il prêt pour honorer la revanche que lui a accordée Froch. Ça paraît qu'on était au Centre Bell un samedi soir. Bute en a patiné un coup à l'étage de la patinoire. Il a préféré s'en remettre au plan du patron, Jean Bédard, tout en précisant qu'il fallait d'abord attendre le résultat du combat de Froch, le 17 novembre. C'était plutôt évasif comme réplique.

Bute est intelligent. Il connaît ses ressources, celle d'un pugiliste de 32 ans qui commence à sentir le poids de son long parcours. Et on ne trompe pas un entraîneur d'expérience comme Stéphan Larouche qui a vu des failles dans ce combat, même si cela s'est terminé sur une note endiablée.

Malgré ce qu'en dit Grachev, Bute a bel et bien gagné ce combat. Mais, au risque de se répéter, la victoire en 12 rounds d'un ancien champion du monde contre un adversaire qui s'est surtout fait un nom en kickboxing, n'est pas ce qui lui est arrivé de plus glorifiant durant sa carrière. Appelons cela un soulagement, tout au plus.

Reconnaissons beaucoup de mérite à Grachev. Il était convaincu d'avoir gagné la bataille parce qu'il a livré un dur combat contre l'adversaire le plus réputé qu'il ait affronté jusqu'ici. Dans un moment comme celui-là, le perdant a toujours l'impression d'avoir été floué par une décision locale. En conférence de presse, il se disait même capable de battre tous ceux qui ont participé au tournoi du Super Six. « Je peux gagner contre n'importe quel boxeur dans le monde », a-t-il ajouté.

Ça, il sera toujours temps pour lui de le vérifier. Pour l'instant, ce qu'on sait de lui, c'est qu'il a la tête très dure. Une sorte de Tie Domi de la boxe. Quand tu lui cognes dessus, il n'offre pas la moindre réaction. C'est du béton, cette tête-là.

Larouche avait admis cette semaine que son protégé n'est pas un cogneur. On a compris assez tôt dans le combat que si un combattant allait se retrouver au plancher, Grachev n'était pas celui qui allait tomber le premier. D'ailleurs, pour la petite histoire, Grachev n'a jamais été mis hors de combat dans sa vie, ni dans les arts martiaux ni à la boxe.

Larouche s'est montré réaliste en accordant une note de six sur 10 à son protégé. Il aurait pu mieux se battre, selon lui. Souvent, il a porté un coup d'une seule main en pensant avoir ébranlé Grachev. S'il s'était battu plus souvent à deux mains, il l'aurait davantage malmené.

Une entrée euphorique

Il y avait une tonne de pression sur Bute qui a amorcé le combat avec énormément de prudence. D'ailleurs, c'était étrangement silencieux dans la salle durant ce premier round. On aurait dit que le public ressentait les mêmes craintes que lui. Les 10 122 spectateurs étaient assis sur le bout de leur siège dans l'attente du premier coup solide que Grachev allait lui porter. On appréhendait sa réaction. Allait-il s'écrouler quand les premiers mauvais souvenirs de Nottingham allait remonter à la surface?

Si Larouche avait obtenu toutes les réponses à ses questions durant la soirée, il affirme qu'il aurait donné une note parfaite de 10 sur 10 à Bute. Une façon d'admettre que son homme n'est pas encore prêt pour revoir Froch.

« Il nous reste beaucoup de temps pour apporter les corrections nécessaires. On a besoin d'une coche de plus pour le battre », a-t-il admis.

Bute avait fait son entrée sur le plancher dans une atmosphère euphorique. Il y avait beaucoup plus de spectateurs (2 000 de plus qu'anticipé) et on a senti que les gens étaient là pour lui livrer le message qu'ils ne l'avaient pas renié, contrairement à ce qu'on prétendait. Il y avait tellement de bruit durant sa marche lente vers le ring qu'il a dû revivre les plus belles défenses de son titre mondial. Sa performance époustouflante au 12e round lui a valu le même genre d'ovation et ce, même si on était venu dans l'espoir de le voir coucher son rival.

Les spectateurs ont apprécié. Après l'avoir vu terminer le combat sur une très bonne note, il serait étonnant qu'on le critique sévèrement parce qu'il n'a pas terminé la soirée comme on l'aurait souhaité.

Bute a été incapable de mener les choses à sa manière, comme il l'a fait si souvent dans le passé. J'imagine qu'il faudra s'y faire. L'âge commence à jouer contre lui et il y a de bonnes chances que la dégelée qu'il a subie en Angleterre le rende craintif à certains moments. On l'a rarement vu aussi souvent dans les câbles, là où il a encaissé autant de coups qu'il en a donnés. Chaque fois qu'il s'y retrouvait, il s'accrochait rapidement à son rival afin d'éviter de se faire sonner comme la dernière fois.

« Je sais que aviez peur quand il était dans les câbles; moi aussi, a lancé Larouche aux membres des médias. Cependant, Lucian est très dangereux quand il est adossé aux câbles. Sa cible est tout près de lui. Il peut regarder son adversaire dans les yeux et le frapper rondement. »

En somme, même si Bute et son entraîneur racontait des choses qui se voulaient encourageantes, il n'y avait pas de réjouissance sur le podium durant la conférence de presse. On avait la victoire modeste, disons.

« Il n'y a pas lieu de sauter au plafond, a admis Larouche. Ce fut une dure soirée. »

Une soirée au cours de laquelle Bute, contre un adversaire coriace qui n'a jamais reculé, aurait pu être à la merci d'un seul coup de poings. Un claque qui aurait pu mettre fin prématurément à une belle carrière et faire très mal à InterBox.

Il a gagné, mais il n'a convaincu personne. On dira tout ce qu'on voudra, mais le Bute, cuvée novembre 2012, ne ressemble en rien à celui qui nous a fait vibrer dans le passé. Il n'a pas dominé son rival. Il n'a pas mené les choses à sa guise. Elles sont probablement terminées les soirées où les adversaires étaient intimidés par sa réputation et par sa vitesse d'exécution. Peut-être que la suite des choses lui vaudra d'affronter uniquement des Froch, des Kessler ou des Ward. Des gars des ligues majeures. Ce qui veut dire que sa carrière ne devrait pas s'éterniser.

Bref, il faudra apprécier ce qui lui reste à nous donner car les choses ne seront plus jamais les mêmes. Avant, on assistait à ses combats dans l'espoir de le voir passer le K.O. à ses adversaires. Maintenant, on est sur les dents parce qu'on craint que ça se termine mal.

Ce n'est pas le même plaisir, loin de là.