C’était une guerre intense. Depuis plusieurs rounds, ils s’échangeaient des coups, au corps et à la tête, et nul ne pouvait prédire avec certitude quel boxeur sortirait gagnant du duel.

 

Celui qui était le négligé commençait à faiblir, alors que son adversaire, bien servi par son instinct de prédateur, augmentait la cadence. Les dommages de cette guerre étaient maintenant visibles, mais l’hémorragie cérébrale avait en fait commencé 4 rounds plus tôt.

 

Cette histoire n’est pas celle d’Adonis Stevenson, hospitalisé depuis son combat du 1er décembre. Il s’agit du récit d’Aubrey Morrow, qui en 2015 a été hospitalisé pendant deux semaines à la suite de son combat contre Francis Lafrenière à Repentigny. Alors âgé de 28 ans, l’athlète de la Colombie-Britannique a reposé dans un état d’inconscience pendant une semaine à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Trois ans plus tard, j’ai pu m’entretenir avec lui au téléphone alors qu’il venait de terminer un entraînement au gymnase.

 

« Je suis presque rétabli à 100 %. Mais cet événement a changé ma vie. Tout a complètement changé, même mes relations interpersonnelles. Sauf que maintenant je suis plus fort qu’avant. »

 

Moments d’inquiétude

 

Avant d’affronter Francis Lafrenière, Aubrey Morrow n’avait jamais subi de K.-O. en 12 combats professionnels. Au contraire, 7 de ses 8 victoires étaient survenues par mise hors de combat.

 

« J’étais en forme avant le combat. Mais au 4e round,  Lafrenière m’a atteint avec un coup accidentel derrière la tête. C’est à ce moment qu’a commencé l’hémorragie à l’arrière de la boîte crânienne. Je me doutais que j’étais blessé, mais dans la boxe, admettre une blessure, c’est admettre la défaite. J’étais en mode « combat » et je ne voulais pas ressentir cette douleur pendant le duel. »

 

Le combat s’est poursuivi et Morrow a continué d’encaisser des dizaines et des dizaines de coups. Le combat s’est arrêté au 8e round, soit environ 15 minutes après le premier impact dommageable, alors que Morrow a encaissé une série de coups à la tête, ce qui a forcé l’intervention de l’arbitre, le regretté Marlon B. Wright.

 

« La décision d’arrêter le combat était la bonne. Je crois que j’étais K.-O. pendant que j’étais encore debout. Mais je n’étais pas inconscient. J’étais désorienté et étourdi. J’ai aussi régurgité sur mon entraîneur, ce qui est un indice sérieux d’une commotion cérébrale. » 

 

Morrow est demeuré conscient pendant son transport à l’hôpital et se souvient même parfaitement que l’ambulance qui le transportait (comble de malchance) a été frappée par un autre véhicule, sans causer de dommages. Selon le récit de Morrow, l’hémorragie a pu être contenue sans qu’une perforation du crâne soit nécessaire.

 

« Après mon éveil, j’ai recommencé à marcher, mais j’y allais bien lentement. Je n’avais aucune difficulté à parler, sauf que j’étais incapable de lire, moi qui était friand de lecture. J’ai dû réapprendre à lire, comme un enfant, lettre par lettre. Je suis retourné à la base et j’ai reconstruit mon cerveau comme on peut reconstruire son corps. Aujourd’hui, je me considère en très bonne forme. »

 

Le paradoxe de la boxe

 

Plus de trois ans après son accident cérébral, Aubrey Morrow n’entretient aucune amertume envers Francis Lafrenière, envers l’arbitre ou envers qui que ce soit. Il conserve de précieux liens avec le monde de la boxe, qu’il refuse de condamner, malgré les dommages qu’elle lui a infligés à lui, comme à Tim Hague, David Whittom et actuellement Adonis Stevenson. L’épreuve a été difficile, et lorsqu’on lui demande quelle partie a été la plus pénible, un long silence se fait entendre au bout du fil.

 

Celui qui aura bientôt 32 ans aime encore la boxe, sauf qu’il semble également bien critique envers le sport que l’on désigne comme « le noble art ».

 

« Sérieusement, la boxe consiste en partie à frapper la tête d’un adversaire, mais personne dans le monde de la boxe, que ce soit les entraîneurs, les arbitres ou même les boxeurs,  ne connaît le cerveau humain et personne ne peut déceler les hémorragies cérébrales. C’est bizarre! »

 

Aubrey Morrow souhaite une présence médicale accrue lors des combats, soit au moins un médecin dans chaque coin, ainsi qu’un spécialiste certifié dans les dommages cérébraux.

 

Il souhaite aussi qu’Adonis Stevenson s’en sorte sans de trop graves séquelles, comme ce fut le cas pour lui.

 

« Il y a de grandes similitudes entre mon histoire et celle d’Adonis. C’est un guerrier. Je suis convaincu qu’il va s’en sortir, pour sa famille. »