Quand David Lemieux s’est incliné pour la deuxième fois en autant de combats contre Joachim Alcine un soir de décembre 2011, plusieurs en étaient ainsi venus à la conclusion que le cogneur n’avait pas l’étoffe nécessaire pour évoluer dans les hautes sphères de la boxe professionnelle.

 

Alors âgé de 22 ans, Lemieux avait été brutalement ramené sur terre, lui qui avait connu des débuts fulgurants en enregistrant 24 de ses 25 premières victoires avant la limite. Même si l’entraîneur Marc Ramsay et le gérant Camille Estephan s’étaient joints à lui avant le duel face à Alcine, c’est au cours des six années suivantes qu’ils l’ont véritablement aidé à se reconstruire.

 

Le duo a finalement permis à Lemieux de confirmer les attentes qui avaient été placées en lui en le menant à la conquête de la ceinture des poids moyens de l’IBF à la suite de sa victoire sur Hassan N’Dam en juin 2015 à Montréal. Il a cependant subi la défaite contre Gennady Golovkin quelques mois plus tard, et encore une fois, le Québécois s’est relevé avec brio de cet échec.

 

C’est ainsi que Lemieux aura la chance de redevenir champion du monde, ce soir à la Place Bell de Laval, alors qu’il affrontera le détenteur du titre des moyens de la WBO Billy Joe Saunders.

 

Retour sur cette deuxième renaissance en compagnie de ses principaux acteurs et témoins.

 

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Au cours des dernières années, Ramsay a maintes fois répété que Lemieux était peut-être trop vert pour être lancé dans la mêlée contre des vétérans de la trempe de Marco Antonio Rubio et Alcine. Même s’il totalisait 25 combats avant d’affronter le Mexicain, le Québécois ne comptait que 55 rounds d’expérience. Cela ne faisait pas le poids face à Rubio (55 duels et 239 rounds).

 

« David, c’était vraiment un bébé physiquement, s’est rappelé le bras droit de Ramsay, Luc-Vincent Ouellet, en entrevue avec RDS.ca un peu plus tôt cette semaine. David a amené à un autre niveau la gestion de son environnement et la façon de faire les choses à l’entraînement.

 

« À chaque défi que nous lui mettions dans les pattes, il avait une réaction et cette réaction, ç’a toujours été de grandir. Nous n’avons jamais vu David régresser physiquement, moralement, mentalement, techniquement ou tactiquement. C’est un gars qui est encore super sharp. »

 

« C’est une belle tête de cochon, continue Ramsay. Quand je l’ai récupéré après Rubio, il n’y a personne qui croyait en David à part lui et c’est ce qui l’a sauvé. Ce n’est pas une qualité qui est donnée à tout le monde, mais il ne doute jamais [en ses moyens]. Il connaît vraiment qui il est. »

 

« Ce ne sont pas tous les boxeurs qui apprennent de leurs erreurs, fait remarquer Antonin Décarie, qui a commencé à côtoyer Lemieux au gymnase Ring 83 alors que ce dernier était âgé de seulement 14 ans. Ça montre une grande force de caractère et la capacité de se relever. »

 

« Ce n’est pas facile de se dire que tu ne pourras pas battre les meilleurs juste avec ton talent. Il s’est toujours entraîné fort, mais dès qu’il sortait du gym [à cette époque], c’était le party. Sans dire qu’il se défonçait, il ne mangeait pas bien et buvait des boissons gazeuses. C’était un gars début vingtaine qui pensait que rien n’allait l’arrêter. Il s’est révélé plus fort que les obstacles. »

 

Après avoir remporté ses quatre combats suivant sa défaite contre Alcine en un ou deux rounds, Lemieux a tranquillement, mais sûrement écarté chaque adversaire censé freiner sa marche vers un titre mondial : Marcus Upshaw, Jose Miguel Torres, Fernando Guerrero et Gabriel Rosado.

 

Du coup, le Montréalais est retombé dans l’œil des réseaux de télévision américains et Golden Boy Promotions est tombé sous le charme au point de racheter une partie de son contrat. Il est ensuite devenu champion du monde en battant N’Dam et tout semblait possible à ce moment.

 

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Devenu champion des moyens de l’IBF, Lemieux a immédiatement tenté d’unifier sa ceinture avec Golovkin dans un duel présenté au Madison Square Garden de New York en octobre 2015.

 

Un combat explosif à prévoir

Même si le pari pouvait s’avérer extrêmement payant, il était néanmoins risqué, étant donné que Golovkin démolissait absolument tous les pugilistes qui osaient se présenter devant lui. Le Kazakh avait gagné avant la limite les 14 combats de championnat du monde qu’il avait livrés.

 

Comme cela avait été le cas contre Rubio et Alcine, Lemieux est redescendu de son nuage en étant complètement dominé par Golovkin avant de s’incliner par arrêt de l’arbitre au 8e round.

 

« David est devenu un homme ce jour-là, révèle Ouellet. Autant il était tellement fâché en sortant de là, autant il avait soif d’apprendre et le désir de pousser la machine encore plus loin. Ç’a été un résultat négatif, mais c’est aussi ce qui s’est avéré le plus positif pour sa carrière. »

 

« Il a beaucoup appris de ce combat-là, pense Décarie. C’était le genre de combat make it or break it dans lequel il n’y a pas juste la victoire qui est importante. Il a vendu chèrement sa peau, mais comment allait-il réagir? Allait-il s’écraser, être satisfait de sa bourse et se dire que la boxe, c’est difficile finalement? Ou allait-il prendre ça comment une source de motivation? »

 

« David a accepté sa défaite et vu que c’était un apprentissage, ajoute Estephan. Il a tout mis en place pour s’améliorer. C’est un gars très intelligent et très impliqué dans sa carrière. Je l’informe de tout ce qui le concerne et le conseille, mais c’est lui qui prend toutes les décisions.

 

« Il est aussi devenu un grand leader par la suite. Avant le début de son camp d’entraînement pour préparer son combat contre Saunders, il a réuni son équipe pour leur dire qu’il n’avait pas l’intention de participer, qu’il voulait gagner. Que ceux qui n’y croyaient pas devaient partir. »

 

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Encore aujourd’hui, les membres de la garde rapprochée de Lemieux sont toujours étonnés d’entendre des ragots au sujet de son niveau d’engagement et de son sérieux à l’entraînement.

 

« Plus jeune, David avait peut-être de la difficulté à avoir le désir de travailler, mais il a commencé à aimer ça et c’est maintenant un standard pour lui, avoue Ouellet. C’est devenu le gars qui pousse tout le monde. C’est ce qui démarque les champions des athlètes normaux. »

 

« David est un gars qui parle très peu, mais s’entraîne de façon très intense. Chaque fois que je lui fais faire du sac, il veut l’arracher, confirme Ramsay. [Christian] M’Billi me disait qu’il montre ce que ça prend pour devenir champion. Chaque exercice est fait pour avancer et apprendre. »

 

L’équipe est également dubitative quand les membres de médias et même les adversaires répètent ad nauseam n’est qu’un cogneur et que sa technique est son point le plus faible.

 

« David a la chance d’avoir une force de frappe phénoménale et mon travail c’est de peaufiner tout ce qu’il y a autour, explique Ramsay. Si les autres [boxeurs et entraîneurs] ne sont pas assez expérimentés pour le voir, ils tombent dans le piège et ça ne peut être qu’à notre avantage. »

 

« Quand on regarde les meilleurs au monde, peu importe leur plus grande qualité, il n’y a pas que ça, conclut Décarie. C’est un amalgame de tout ça qui permet de performer au niveau le plus élevé. Tous les boxeurs sont confrontés à ça à un moment ou l’autre de leur carrière et certains n’ont malheureusement pas la force mentale ou l’intelligence qu’il faut pour s’en sortir.

 

« À ses premiers combats, David était peut-être trop confiant en ses moyens, mais les épreuves qu’il a vécues lui ont permis de devenir un boxeur complet. Il a du plomb dans les deux mains, mais il est également capable de démontrer de belles qualités athlétiques. Maintenant, c’est un travail acharné qui part après ses rivaux et les travaille. Il a remonté les marches une à la fois. »