MONTRÉAL – Le futur membre du Temple de la renommée Bernard Hopkins a vite évoqué « un manque de professionnalisme », tandis que le promoteur Camille Estephan et l’entraîneur Marc Ramsay ont démontré leur incompréhension la plus totale dans les heures qui ont suivi les faits.

 

L’incapacité de David Lemieux de respecter la limite de 160 livres en vue de son combat face à Tureano Johnson prévu samedi soir à New York a suscité de vives réactions dans le monde de la boxe et signé le chant du cygne pour le Québécois dans la lucrative division des poids moyens.

 

C’était la troisième fois en l’espace de deux ans et demi seulement que le cogneur ne parvenait pas à honorer ses obligations la veille d’un affrontement. À deux reprises – contre James De La Rosa en mars 2016 et Johnson vendredi –, le duel a été annulé, alors que Karim Achour avait dû être compensé pour que le Français monte dans le ring avec lui pas plus tard qu’en mai dernier.

 

Cette fois, Lemieux n’a même pas été en mesure de se présenter à la pesée, Ramsay l’envoyant plutôt à l’hôpital après avoir réalisé que son protégé était ennuyé par des étourdissements dans la dernière portion de sa déshydratation. Malgré la « catastrophe financière pour tout le monde là-dedans », il était hors de question pour l’entraîneur d’hypothéquer la santé de son boxeur.

 

Mais il faut savoir que Lemieux part de très loin chaque fois qu’il tente de respecter la limite de 160 livres. À 30 jours de son choc contre Gennady Golovkin, il affichait un poids de 175,4 livres et à 7 jours du duel, son poids était de 167,6 livres. À l’opposé, il avait respecté la limite la veille de son combat face à Curtis Stevens en mars 2017, mais avait renoncé à la deuxième pesée de l’IBF le samedi matin et pesait 181,25 livres à 18 h 30 selon une pesée non officielle du Turning Stone & Resort Casino.

 

La perte de poids en vue du duel contre Golovkin s’étant avéré pénible, Estephan avait ensuite suggéré une nouvelle avenue pour que Lemieux arrive à ses fins, ce qui a mené à l’embauche du réputé Jean-François Gaudreau, un expert en alimentation et naturopathie. L’association n’a pas été fructueuse, car Lemieux avait fait osciller le pèse-personne à 163 livres avant son choc face à De La Rosa. Gaudreau avait servi de bouc émissaire dans cette histoire qui s’est ensuite répétée.

 

« [Respecter la limite], c’est une décision qui appartient à l’athlète, a dit Gaudreau en entrevue téléphonique à RDS.ca pendant la fin de semaine. C’est dommage ce qui est arrivé à David, car c’est un boxeur exceptionnel, mais je le répète : c’est une décision qui appartient à l’athlète. »

 

La méthode de perte de poids préconisée par Gaudreau peut être qualifiée d’extrême, mais les résultats sont exceptionnels. À la fin de l’année, il juge qu’il aura aidé ses clients – parmi lesquels Patrick Côté et Marie-Ève Dicaire – à réussir 500 déshydratations depuis le début de sa carrière. À noter qu’il travaille en étroite collaboration avec des médecins afin de prévenir tout problème.

 

Son secret? Une technique appelée flushing qui consiste d’abord à « noyer » le corps pendant une semaine pour créer un réflexe d’urination répétée et de sudation passive avant de passer à la déshydratation avec des saunas et des bains chauds. L’ex-combattant de l’UFC Côté pouvait perdre entre 20 et 23 livres pour arriver sur le pèse-personne à 170 livres la journée de la pesée.

 

Mais pour obtenir ces résultats exceptionnels, Gaudreau est catégorique : il faut absolument respecter à la lettre le plan qu’il concocte pour chacun de ses clients. Avec Côté, le processus s’échelonnait sur 14 semaines. « Patrick est un ancien militaire, alors il faisait tout ce que je lui disais, blague Gaudreau. Cela dit, je n’ai jamais vu quelqu’un avec une telle force mentale. »

 

Avec ses formules mathématiques qui relèvent quasiment du secret industriel, il s’assure que l’athlète n’atteigne le poids cible que pendant 30 à 60 minutes afin de rapidement passer à la récupération. Mais attention, chaque manquement aux ordres qu’il donne aura inévitablement un impact important sur l’éreintant processus de perte de poids. Si l’athlète décide de troquer une portion d’un aliment qu’il a proposé pour des frites, il ne peut absolument rien pour lui. « Patrick et Marie-Ève trainent une table de cuisson portative avec eux », sous-entend Gaudreau.

 

Ultimement, sa technique de déshydratation est malléable. Il est très bien capable de s’adapter aux athlètes et a réussi à la peaufiner grâce aux résultats obtenus avec Côté. « Un gars comme Olivier Aubin-Mercier ne fait pas de sauna, alors il faut trouver d’autres moyens pour qu’il arrive à ses fins, précise Gaudreau. C’est un sport individuel, mais il y a un travail d’équipe derrière. »

 

L’expert n’a pas voulu s’attarder spécifiquement au cas de Lemieux, mais selon les différentes informations qui ont filtré dans les médias, il suggère que les étourdissements de l’ex-champion sont dus à une utilisation trop intense des moyens mécaniques comme le sauna, une hypothèse confirmée par plusieurs sources du monde de la boxe consultées par RDS.ca ces derniers jours.

 

Dans une entrevue accordée au Journal de Montréal en marge de son choc contre Gary « Spike » O’Sullivan en septembre un peu plus tôt cette année, Lemieux avait déclaré qu’il « pensait que de faire le poids était simplement de ne pas manger ». Il avait aussi ajouté qu’il « y allait à [sa] façon et ça [lui] a joué des tours. [Il a] mis [son] corps en état de choc et il ne répondait plus ».

 

Le passage de Lemieux chez les super-moyens a souvent été considéré dans le passé, mais la recherche de lucratifs combats contre Miguel Cotto, puis Saul « Canelo » Alvarez ont retardé ce qui s’avère maintenant inévitable. Mais à 5 pieds 9 pouces et demi de grandeur et 70 pouces de portée, il devra apporter des changements assez significatifs à sa boxe pour espérer connaître du succès dans la catégorie supérieure. Mais encore là, il s’agit d’une décision qui lui appartient.