MONTRÉAL – Dmitry Bivol a réussi l’une des grandes surprises dans le monde de la boxe jusqu’à maintenant cette année en battant Saul « Canelo » Alvarez par décision unanime des juges, samedi soir dernier à Las Vegas. Mais ce résultat était-il, malgré tout, un tantinet prévisible?

Jusqu’à un certain point aux yeux de Marc Ramsay. Le passage de « Canelo » chez les mi-lourds était finalement trop ambitieux, même si le premier duel du boxeur le plus populaire de la planète dans cette catégorie avait été couronné de succès avec sa victoire face à Sergey Kovalev.

« Ce n’est pas tant Bivol que les mi-lourds, a analysé Ramsay en marge d’un entraînement de son protégé David Lemieux organisé jeudi avant-midi à son gymnase de Montréal. Affronter Kovalev, c’est une chose, mais la victoire de « Canelo » avait beaucoup à voir avec le timing.

« À un moment donné, un de mes boxeurs avait le choix d’affronter [Adonis] Stevenson ou Kovalev et nous avions choisi ce dernier pour des questions d’environnement et de timing. Il n’était plus du tout à la même place dans sa carrière et nous doutions de sa motivation. Il faut savoir que nous lisons tout! Il faut toujours connaître le bon moment pour attaquer un boxeur.

« Dans le cas précis de ‘’Canelo’’, un athlète qui boxait énormément en puissance à ses derniers combats, je pense que son équipe a complètement sous-évalué la catégorie. Ce sont vraiment de gros bonshommes à 175 livres. Même s’il est massif, “Canelo” reste plus petit que David. »

Cela dit, Ramsay ne diminue en rien de la prestation de Bivol, qui a dominé Alvarez au chapitre des coups lancés (710 contre 495) et des coups qui ont touché (152 contre 84) la cible lors de chacun des 12 rounds. Il n’y a qu’au corps, bien évidemment, qu’Alvarez a été le plus efficace.

« Sans grande surprise, Bivol a dominé le début du combat avec sa portée et ses mouvements, mais tout le monde attendait le moment où “Canelo” réussirait à lui faire mal. Nous avons longtemps attendu ce moment-là pendant tout le combat, mais il n’est finalement jamais venu!

« Les rounds passaient et à un moment donné, “Canelo” ne semblait pas avoir d’autres solutions. Il n’a jamais essayé de boxer et de travailler en combinaisons. Il y allait avec la même recette, le coup unique, en espérant que son adversaire finirait par craquer comme les autres.

« Il faut dire que Bivol avait un plan de match taillé sur mesure. C’était le principe de la trappe : il n’a rien donné à “Canelo”. Il tenait sa garde un peu plus rapprochée qu’à l’habitude et c’est pourquoi “Canelo” n’a jamais été en mesure de le toucher solidement et de lui faire très mal.

« C’est le genre de choses qui sont souvent arrivées dans l’histoire de la boxe. [Roberto] Duran, un boxeur aussi bon sinon meilleur que “Canelo”, a perdu contre [Thomas] Hearn, qui était juste trop gros. [Felix] Trinidad, qui détruisait tout le monde à 147 livres, a vécu la même chose à 160. »

« Un sport qui peut devenir très laid »

Évidemment, la défaite de “Canelo” aura un impact majeur sur l’industrie de la boxe, étant donné que tous ceux qui souhaitaient l’affronter devront remettre le projet aux calendes grecques. Parmi eux, le champion unifié WBC-IBF des mi-lourds, un certain Artur Beterbiev.

« Il y a un contrat à respecter avec [Gennadiy] Golovkin et il y aura une revanche avec Bivol, a précisé Ramsay. Les projets d’un peu tout le monde ont été reportés d’une couple d’années! De notre côté, nous allons laisser les médias débattre du meilleur adversaire pour Artur après sa victoire contre Joe Smith fils (le combat sera présenté le 18 juin prochain à New York, NDLR).

« Cela dit, nous n’attendrons pas après personne et nous allons simplement affronter le meilleur gars disponible. Tout ce que nous voulons, c’est une opposition forte. La meilleure possible. »

À 37 ans, Beterbiev, n’a encore montré aucun signe de ralentissement, mais il n’étirera pas inutilement sa carrière dans l’espoir de croiser le fer avec “Canelo”. À noter que le Montréalais d’origine russe a récemment signé une prolongation de contrat avec son promoteur Top Rank.

« Tant que nous allons avoir du plaisir et des performances, je serai à ses côtés, a juré Ramsay. De toute façon, Artur est un athlète bien trop fier pour accepter de faire les choses qu’à moitié.

« Une carrière, c’est comme un meter de taxi, ça ne recule jamais. Vient un jour où c’est juste assez. Tout le monde veut performer, mais le faire au détriment de la santé... c’est le genre de choses que je ne peux pas accepter. C’est du moins ce que mon éthique de travail me dicte.

« Je ne veux pas voir mes boxeurs devenir esclaves de la boxe. Je l’ai observé dans le passé dans d’autres équipes et je trouve ça tellement malheureux, c’est quelque chose de très laid. La boxe, ça peut être très beau, mais quand tu es rendu esclave, quand tu n’as pas d’autres options, quand tu es obligé de boxer pour ramener un petit peu d’argent à la maison parce que tu n’es pas capable de faire autre chose, c’est un sport qui peut malheureusement devenir très laid.

« Je ne veux pas aller dans cette direction-là avec aucun de mes boxeurs. C’est très clair. »