NEW YORK – À précisément 10 h 16 vendredi, après avoir fait osciller la balance à 184,4 livres lors de la pesée officielle de l’UFC 217, Georges St-Pierre a ouvert une bouteille d’eau à laquelle avait été ajoutée une combinaison d’électrolytes et d’acides aminés et en a doucement versé le contenu dans son système déshydraté.

 

De retour à sa chambre d’hôtel, on lui a offert quelques fruits, puis on lui a servi le déjeuner, des crêpes maison protéinées avec une teneur en sucre minutieusement contrôlée. Il n’irait pas au lit avant d’être retourné à la table à manger quatre autres fois, peut-être cinq, cette journée-là.

 

Au moment où vous lisez ces lignes, St-Pierre est encore à refaire ses forces. Par l’ingestion de portions soigneusement mesurées, sa réserve d’énergie est régénérée de façon à ce qu’elle atteigne un niveau optimal tard en soirée. Vers 20 h, il avalera une protéine légère – une viande blanche ou du poisson – accompagnée de pommes de terre rouges. Ce sera la dernière Cène. Une heure plus tard, il fera son arrivée au Madison Square Garden, s’installera dans son vestiaire et entrera une dernière fois dans sa bulle. Il en ressortira vers minuit pour aller affronter Michael Bisping.

 

Jean-François Gaudreau, le cerveau derrière ce trip de bouffe savamment calculé, sera alors confortablement assis dans un siège de l’amphithéâtre, impatient de voir à l’œuvre la bête qu’il a nourrie pendant six mois avec en tête ce moment bien précis.

 

Gaudreau est un consultant en alimentation bien connu du milieu sportif montréalais. Les combattants d’arts martiaux mixtes Patrick Côté et Olivier Aubin-Mercier, la boxeuse Marie-Ève Dicaire et les joueurs de hockey Lars Eller et Nicolas Deslauriers figuraient déjà au nombre de ses clients quand St-Pierre l’a contacté au printemps dernier.

 

En « arrêt de travail » depuis trois ans et demi, St-Pierre préparait son grand retour à l’UFC et avait besoin d’aide. Le plan de l’ancien champion de la division des mi-moyens était de revenir dans une catégorie différente que celle sur laquelle il avait régné à son apogée. Pour y arriver, il allait devoir prendre du poids, pas mal de poids.

 

Facile, vous dites. Un petit seau de poulet frit, un « extra mayo » dans le club sandwich, un deuxième morceau de gâteau au fromage et les résultats ne devraient pas tarder.

 

« Il aurait été capable de gagner 15 livres, convient Gaudreau. Mais avec ce qu’il aime manger, il serait probablement allé en chercher dix en gras et cinq en muscles! Là, on est vraiment allé chercher 15 livres de masse musculaire. Toute sa préparation a été faite en fonction de ça. »   

 

Avec la bénédiction – et le budget – de St-Pierre, Gaudreau a enclenché un processus sophistiqué visant un grand et unique objectif : créer la parfaite machine de guerre, un hybride entre un bulldozer et un bolide de course qui atteindrait sa vitesse de pointe et sa puissance maximale le 4 novembre au soir.

 

Grâce à la complicité de médecins greffés à l’équipe, Gaudreau a obtenu des échantillons sanguins qui lui ont permis de décoder de précieuses données sur le carburant qui coulait dans les veines de son poulain. Muni d’informations précises allant des taux de sucre et d’électrolytes dans l’organisme de St-Pierre jusqu’à ses besoins exacts en vitamines et minéraux, son profil hormonal, la condition de son foie et son niveau de stress, il a effectué une série d’expériences afin d’élaborer le régime qui procurerait à son athlète une croissance optimisée.  

 

« C’est comme une formule 1 », a comparé Gaudreau lors d’un généreux entretien accordé à RDS quelques heures après la réussite du test important qu’était la pesée officielle.

 

« Je suis habitué de me faire crier dessus! »

« Il fallait tester l’alimentation qu’il pouvait supporter. Il y a un équilibre à aller chercher entre les protéines, les glucides et les lipides. On s’assure aussi que les portions dans son assiette lui permettent d’aller chercher uniquement de la masse musculaire. Ensuite, on va composer avec des suppléments pour s’assurer qu’il n’y ait pas de carences. »

 

Aux deux semaines, Gaudreau mesurait le taux de gras de St-Pierre afin de s’assurer que sa composition corporelle tenait la route. De 9,8% au premier relevé, compilé avant que St-Pierre n’élève sa préparation à un autre niveau, il est passé à 8,4% lors de sa dernière évaluation, environ deux semaines avant le combat. GSP transportait alors 197 livres de muscles.

 

Une bedaine d’abdos

 

St-Pierre pesait 185 livres la première fois qu’il est entré dans le bureau de son nouveau collaborateur. Il savait qu’il voulait passer chez les poids moyens, mais à quel point sa charpente en serait-elle affectée au quotidien? Il n’en savait trop rien.

 

« On a cherché à pousser sa masse musculaire au maximum qu’il était capable d’aller, relate Jean-François Gaudreau. On a fait plusieurs tests en se disant que si on se rendait à 205 livres, on se rendait à 205 livres. Facilement, on est monté à environ 195, 196. On a ajouté quelques trucs, puis on est monté jusqu’à 199, 200 le matin, à jeun. Ça veut dire qu’en soirée, il s’entraînait probablement à 203 livres. À ce moment-là, on a réajusté le tir pour qu’il soit aux alentours de 198 en sortant du lit. (Samedi soir), il devrait être à 200, 201 livres. »

 

La métamorphose est rapidement devenue détectable à l’œil nu. Lors de ses rares sorties publiques, les chemises ou les t-shirts de St-Pierre n’arrivaient pas à camoufler l’évolution de son physique. Lorsque des images de son entraînement ont commencé à circuler, la différence fut encore plus flagrante. Les cuisses, les bras et, surtout, le tronc de l’ancien champion avaient visiblement pris de l’expansion.

 

La transformation n’a pas échappé à Michael Bisping. Jamais à court d’insultes, le Britannique a exploité le filon en disant de St-Pierre qu’il était devenu gras. Selon Gaudreau, le provocateur

« Après notre combat, Georges disparaîtra »

s’est laissé avoir par une illusion d’optique.

 

« Probablement qu’il se fie à son ventre. Mais la différence, c’est que Georges n’a pas de gras sur le ventre. Moi, j’appelle ça une bedaine d’abdos. Ses abdos sont à peu près ‘ça’ d’épais, plaide le préparateur physique en écartant le pouce et l’index. Ça donne l’impression qu’il a un petit ventre, mais en réalité il n’en a pas du tout. Il a une ceinture abdominale extrêmement forte. »

 

Ventre ou pas, St-Pierre sera plus lourd qu’il ne l’a jamais été dans un cadre compétitif lorsqu’il franchira la porte de l’octogone ce soir et il est peu probable que cette nouvelle réalité n’ait pas d’impact sur sa performance. Certains craignent qu’il ait perdu un peu de sa vitesse, d’autres estiment que son endurance sera affectée. Si le combat devait s’étirer dans les rounds de championnat, ces quinze livres additionnelles risquent d’être de plus en plus difficiles à déplacer.  

 

« C’est vrai dans le sens où ce n’est pas naturel pour Georges d’être à 200 livres, approuve Gaudreau. Mais on l’a testé beaucoup au niveau de ses entraînements. Il faut aussi prendre en considération l’influence du combat : le stress et l’excitation peuvent influer sur le système d’énergie. Selon moi, ça va peut-être se faire sentir aux quatrième et cinquième rounds, mais je ne pense pas que ça soit un problème dans les trois premiers. Georges est très intelligent, il respire bien et il est capable de contrôler ses efforts. D’après moi, ça devrait très bien aller. »

 

Traité comme un prince à New York

 

En plus de pouvoir compter sur son conseiller spécial à New York, St-Pierre s’est payé le luxe d’amener deux cuisiniers au sein de son équipe. En début de semaine, le chef du restaurant montréalais Joe Beef, Marc-Olivier Frappier, et un de ses assistants sont entrés dans une épicerie de Manhattan et ont acheté le nécessaire pour respecter le menu ébauché par Gaudreau.

 

Comme ce trio de cuistots a obtenu la permission d’utiliser la cuisine de l’hôtel, St-Pierre peut manger chaque jour à sa faim sans sortir de sa chambre, habillé en mou dans le creux d’un pouf.

 

« Travailler avec des chefs, ça a été incroyable, dit Gaudreau. Tout fonctionne à la perfection. Je suis avec eux en cuisine, on calibre tous les repas, je supervise les quantités. Et quand on sait qu’il doit quitter, on prend tout ça pour emporter. On se rend où on doit être et on apporte tout ce dont on a besoin. »

 

Traité aux petits oignons, St-Pierre n’a eu aucune difficulté avec sa coupe de poids même si, pour la première de sa carrière, il a dû se plier à une pesée officielle matinale. Il s’est réveillé vendredi avec un surplus de cinq livres qu’il a été capable de faire fondre simplement en passant une petite heure dans le sauna.

 

« La préparation cette semaine a été facile, résumait Jean-François Gaudreau. Il fallait juste suivre le plan. »