MONTRÉAL – Kajan Johnson avait faim et ce soir-là, l’esprit de Noël l’a emporté sur le gros bon sens.

Après tout, il n’y a rien de mal à vouloir s’offrir un repas décent en cadeau. Mais les options sont limitées quand on a la mâchoire en charpie.

Johnson a donc décidé de broyer du spaghetti.  

« C’est probablement la pire idée que j’ai jamais eue. Je l’ai tout bu, mais c’était tellement mauvais! Je me suis senti malade pendant des heures après ça», se remémore-t-il aujourd’hui avec un sourire de dédain au visage.

Johnson est habitué d’avoir un goût amer en bouche. En 2011, alors qu’il venait de signer une septième victoire à ses huit derniers combats, il est sorti d’un entraînement qui a mal tourné avec une fracture de l’orbite, une grave blessure qui l’a mis sur les tablettes pendant une année complète. « Et quand j’ai été prêt à me battre de nouveau, je n’ai jamais pu trouver quelqu’un qui voulait m’affronter », racontait-il la semaine dernière avant une séance d’entraînement.  

Il n’avait donc pas combattu depuis deux ans lorsque la providence l’a illuminé l’automne dernier. Son retour à la compétition s’effectuerait devant les caméras de la série The Ultimate Fighter, qui l’avait recruté et lui avait fait miroiter la chance inouïe de se tailler une place au sein du UFC.  

On venait de lui ouvrir les portes du paradis. Mais bien sûr, une chaudière d’eau allait lui tomber sur le crâne dès qu’il en franchirait le seuil. À son deuxième combat du tournoi télévisé, Johnson se tirait bien d’affaire quand une droite de son coéquipier Chad Laprise a fait éclater sa mâchoire.  

D’où la nécessité de réveillonner avec une paille aux lèvres.

« La fracture initiale a été extrêmement douloureuse, pire que tout ce que j’avais connu avant, et ma convalescence a été très ennuyante. Je n’ai probablement jamais été aussi maigre dans le temps des Fêtes! Ce n’était pas l’idéal, mais tout va bien maintenant. Rien n’arrive pour rien dans la vie. »

Aujourd'hui, les sept plaques de métal qui façonnent son visage rappellent à Kajan Johnson tout le chemin qu'il a parcouru pour arriver à ses fins.

Égoïsme volontaire

La douleur et la déception ont fait ruisseler les larmes vers son menton, mais n’ont pas affaibli ses ambitions.

« Peu importe ce qui m’est arrivé dans le passé, je ne me suis jamais dit que c’était la fin. J’en ai tiré les leçons appropriées et j’ai continué à regarder vers l’avant. Je ne suis pas prêt à abandonner mon rêve aussi facilement. »

La première leçon que Johnson a retenue de son plus récent échec est celle-ci : fini l’époque où il jouait les gentils garçons. Laprise et lui sont de bons amis et des partenaires d’entraînement au Tristar Gym de Montréal. Avant leur affrontement fratricide, Johnson a été incapable de reléguer cette amitié à l’arrière-plan. Laprise, plus concentré, est arrivé dans la cage mieux préparé et mieux entouré.

Kajan Johnson« À l’avenir, je m’assurerai de m’occuper de moi-même d’abord et avant tout, a appris Johnson. Oui, je souhaite toujours que mon adversaire soit au sommet de son art, mais ma priorité doit être placée sur ma propre préparation. Je ne peux plus placer les besoins des autres avant les miens. Chad est mon ami et je voulais l’aider, mais je pense que j’en ai fait un peu trop. »  

« Ça ne fait pas de moi quelqu’un de plus méchant. Seulement, je pense davantage à moi. Je me fous de ce que mon adversaire fait et de tout ce qu’il a dû traverser. Je me concentre maintenant sur mes affaires », promet-il.

Arrivé à destination

Johnson (19-10-1) aura la chance de mettre sa nouvelle philosophie à l’épreuve cette semaine. Malgré sa sortie peu élégante à TUF – le tournoi a éventuellement été remporté par Laprise – le natif de la Colombie-Britannique a reçu l’appel du UFC pour combattre sur le gala de Vancouver qui aura lieu samedi.

« Je ne me pouvais plus quand j’ai reçu l’appel. Ça fait quelques années que je n’habite plus dans le coin, alors ça sera comme un retour aux sources pour moi, avec toute ma famille et mes amis. Et en plus, j’aurai l’occasion de cogner. C’est formidable! »

Johnson affrontera le Coréen Tae Hyun Bang (16-8), qui a perdu son seul combat au UFC. Il le décrit comme un athlète endurant, aux poings pesants. « Mais je ne m’attarde pas trop sur ce qu’il peut faire, pour être honnête. C’est lui qui devra s’ajuster à moi et non l’inverse », spécifie-t-il.   

Johnson a profité de son camp d’entraînement pour prendre une petite revanche sur son bon ami Laprise, qui a lui aussi repris le travail au gymnase montréalais.

« Comme je me prépare à affronter un gaucher, Chad s’est offert comme cobaye pour m’aider. Disons qu’il n’a pas l’avantage dans les échanges, mais ça démontre qu’il veut me voir réussir autant que je veuille le voir réussir », rigole celui qu’on surnomme « Ragin’ ».

Sans savoir s’il reviendra de Vancouver avec la vingtième victoire de sa carrière, Johnson peut sourire, cette fois sans aucune douleur, en pensant au second souffle qu’il a finalement réussi à donner à sa carrière.  

« Je suis fier de ce que j’ai fait, de ce que j’ai accompli. Je ne changerais rien à mon histoire. »