Je le précise tout de suite, je ne suis pas un amateur de ce sport extrême que représentent les arts martiaux mixtes. Extrême dans le sens extrêmement violent. Le sport le plus brutal qui existe. Deux hommes emmurés dans une cage et qui se frappent dans le but de se détruire est une activité qui n'a rien de très édifiant.

Je m'intéresse à Georges St-Pierre, mais certainement pas au sport qu'il a largement contribué à rendre populaire. St-Pierre est un être intrigant, super doué, courageux comme il ne s'en fait plus et qui est motivé par un profond désir de battre tous ses adversaires afin de maintenir son statut d'étoile incontestée de son sport.

Un sport dont il est prisonnier moralement et physiquement. Il avoue ressentir des peurs en route vers le combat qui l'attend. Le stress est omniprésent dans sa carrière. Je ne suis pas spécialiste, mais quand il affirme ne plus dormir et qu'il croit devenir fou par moment, c'est probablement qu'il a atteint la limite de ce qu'il peut endurer.

Ce genre de problème ne date pas d'hier chez lui. Avant son combat contre Carlos Condit, en novembre 2012, il avait commencé à faire allusion aux doutes et angoisses qu'il ressentait. Voyez ce qu'il avait raconté aux médias à l'époque : « J'ai ressenti une sorte de dépression sportive. Ça fait 22 ans que je m'entraîne tous les jours. J'étais surentraîné, je n'avais plus le goût. J'ai pris une longue pause à la suite de mon opération au genou et tout est rentré dans l'ordre par la suite ».

Les spécialistes vous diront que déjà les effets de commotions cérébrales à répétition s'étaient manifestés. Samedi soir, c'était excessivement troublant de le voir incapable de livrer deux phrases cohérentes de suite après cette autre victoire, pas du tout glorifiante celle-là. Il était triste alors qu'il aurait dû être triomphant. Il a dévoilé des problèmes personnels dont il n'avait jamais parlés auparavant. Bref, il était perdu et incapable de prédire la suite des choses pour lui.

Son désarroi était tel que ses proches, ceux qui le connaissent intimement et qui l'aiment, ont probablement eu le goût de pleurer avec lui. Soudainement, cet athlète qu'on croyait invincible affichait une vulnérabilité insoupçonnée. St-Pierre n'était plus le gladiateur plus grand que nature qui avait fait du UFC une machine bien rodée et dont la popularité a grimpé en flèche. Il semblait défait moralement et psychologiquement.

Du stress, il en ressent plus qu'un humain est capable d'en prendre. Il en éprouvera encore davantage s'il accepte de revenir dans quelques mois pour disputer un combat qui effacera, croit-il, les doutes provoqués par sa dernière bataille. Parce qu'il est le champion incontesté de sa catégorie, St-Pierre sait que chacun de ses adversaires rêve de lui arracher la tête. Parce que sa renommée est mondiale, il ne peut se permettre la moindre contre-performance. Il ne peut pas perdre. Plus important encore, il lui faut éviter de se faire blesser sérieusement. C'est tellement de pression tout cela.

Il est prisonnier de son sport parce qu'il n'a pas de porte de sortie. Pendant qu'il exprimait des doutes sur son retour, qu'il ressentait des douleurs des pieds à la tête et qu'on s'affairait à lui recoudre une partie du visage, le président de l'entreprise, Dana White, le plantait royalement sur la place publique. White, qui est encore plus macho que son sport, ne voulait rien entendre de son projet de s'octroyer une pause. Il avait une telle peur que cette pause débouche sur la retraite qu'il le brassait sans le moindre respect pour l'homme et pour le gladiateur. Il pensait uniquement à sa propre poche.

White n'avait rien à foutre de l'état de santé de sa tête d'affiche et de ses problèmes personnels. Compte tenu de l'énorme contribution de GSP à la compagnie qu'il préside, il aurait pu au moins souligner le courage qu'il a démontré face à un rival coriace et dangereux et l'inviter à prendre tout le temps nécessaire pour récupérer de ses blessures et pour régler ses problèmes. Au lieu de se préoccuper de sa santé, en gros, il lui a dit : « Branche-toi, bonhomme. Tu ne peux pas faire ça à ton sport et à ton adversaire qui mérite une seconde chance ».

Au diable, la commotion cérébrale, la dépression et le possible burn-out. Bref, il s'en balançait que sa vision soit embrouillée et que son élocution ne soit plus très claire. Il fallait qu'il revienne dans la cage.

Bref, White n'en a rien à foutre de St-Pierre, l'être humain. C'est St-Pierre, la machine à faire du cash, qui est sa priorité. Quand il mentionne que GSP est redevable à son sport, c'est de la merde. Certes, il est assis sur un compte en banque florissant, mais dans quelques années, quand sa vie sera diminuée à la suite de tous les coups qu'il aura encaissés à la tête, quand il ne se souviendra presque plus de sa glorieuse carrière, ses millions ne lui seront pas d'une grande utilité. Pour White, qui sera depuis longtemps passé à autre chose, St-Pierre ne sera plus qu'un vague souvenir.

À en donner des frissons

De tous les papiers que j'ai lus depuis le combat controversé GSP-Hendricks, celui de Gabriel Béland, dans La Presse, est celui qui donne le plus à réfléchir. Les propos qu'il a recueillis de Dave Ellemberg, professeur à l'Université de Montréal, donnent froid dans le dos.

Selon Ellemberg, St-Pierre présente tous les symptômes d'une commotion cérébrale sévère. Il a perdu des grands bouts de son combat. Il a révélé à White qu'il ne savait pas trop dans quel round il se battait. À la fin du combat, il ignorait que c'était terminé. De son propre aveu, son cerveau s'est promené dans son crâne à répétition sous la puissance des coups portés par Hendricks.

La nature du sport que pratique GSP rend les commotions cérébrales fréquentes. Selon Dave Ellemberg, St-Pierre en a probablement subi des centaines durant sa carrière. Il est probable qu'il souffre déjà de problèmes permanents et que chaque combat ajoute des dommages qui se cumulent au niveau du cerveau.

Des experts des arts martiaux soulignent qu'il n'a plus rien à prouver et qu'il devrait s'arrêter dès maintenant. Malheureusement, une bonne majorité de connaisseurs et d'amis disent espérer le voir remonter dans l'octogone. C'est de la partisanerie aveugle et de l'inconscience. Quand on aime un athlète, on ne lui conseille pas de retourner à l'abattoir.

St-Pierre a déjà déclaré qu'il aimerait se retirer au summum de sa carrière. Il avait deux objectifs suprêmes : être sacré le plus grand combattant de l'histoire, livre pour livre, et connaître une vie paisible avec une femme et des enfants une fois retiré de la compétition.

Quand il sera remis de ses blessures et parfaitement reposé, on craint que St-Pierre succombe à la tentation de prouver hors de tout doute qu'il est supérieur à Johnny Hendricks. Il voudra peut-être revenir pour un dernier combat, un seul autre combat.

Un combat de trop pour sa santé mentale, peut-être. Un combat qui pourrait le priver d'apprécier pleinement un jour la vie paisible dont il rêve hors de l'octogone.

Les amis qui souhaitent le revoir contre Hendricks ou contre tout autre combattant pourraient alors ne plus reconnaître le Georges St-Pierre qu'ils ont connu et aimé.